Ile Maurice: L'ICTA pourrait se retrouver avec une facture de plus de Rs 700 millions...

Le jugement contient 89 pages et a été rendu lundi. Le Privy Council a pris une décision d'importance en renvoyant les réclamations d'Emtel contre l'Information and Communication Technologies Authority (ICTA), Mauritius Telecom et Cellplus devant la cour d'appel de Maurice. Cette décision fait suite à une sévère critique de la façon dont ces derniers ont agi dans l'affaire.

Les Law Lords du Privy Council se sont dits préoccupés par les mesures prises par le ministère des Technologies de l'information et de la communication (TIC), l'ICTA et Mauritius Telecom, ainsi que par la durée des procédures devant les tribunaux et les coûts juridiques engendrés. Ils ont exhorté les défendeurs à réfléchir aux conséquences de leurs actions et à reconsidérer leur résistance à la réclamation d'Emtel, eu égard aux objectifs statutaires de l'ICTA et de l'intérêt public.

En 2017, l'ancienne juge Ah Foon Cheong Yew Choeng avait donné gain de cause à Emtel, les sommant de payer des réclamations de Rs 554 millions. Avec ces réclamations initiales et les intérêts accumulés, l'ICTA pourrait se retrouver confrontée à payer des réclamations de plus de Rs 700 millions au final.

Cette affaire trouve ses racines dans un premier jugement rendu en 2017, où l'ancienne juge Ah Foon Cheong Yew Choeng avait donné gain de cause à Emtel. Elle avait alors conclu que Mauritius Telecom avait utilisé sa position dominante pour nuire à Emtel, causant d'énormes pertes à cette dernière, et que l'ICTA n'avait pas exercé son rôle de régulateur pour contrôler la situation.

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Cette affaire avait été entendue en mai 2016 pendant sept semaines. La plainte avait été logée le 2 juin 2000. Quelque 753 documents avaient été produits par Emtel pour soutenir ses réclamations initiales de Rs 1,1 milliard. Dans le prolongement de cette saga judiciaire, Emtel maintient sa plainte de «concurrence déloyale» et de manquements du régulateur.

Le 17 novembre 2021, dans son dernier jugement avant qu'il ne quitte officiellement son bureau de chef juge, Asraf Caynhye, qui a siégé sur le bench aux côtés du juge Nicholas Ohsan Bellepeau dans l'appel interjeté par Mauritius Telecom et l'ICTA pour contester un jugement, les sommant de payer Rs 554 millions à Emtel, la Cour suprême avait donné gain de cause à Mauritius Telecom et l'ICTA.

Les juges avaient alors conclu que l'action en cour d'Emtel n'avait pu démontrer que Mauritius Telecom et l'ICTA avaient commis un acte répréhensible engendrant des pertes pour la compagnie. Dans ses observations, la Cour suprême avait statué que l'ICTA ne pouvait être rendue responsable des litiges et dommages encourus par son prédécesseur, soit la Telecommunications Authority.

Une affaire qui dure depuis de 25 ans

Les Law Lords Reed, Briggs, Sales et Lady Rose et Simler, qui avaient écouté cette affaire le 16 janvier, ont rendu un jugement de 89 pages en moins de trois mois, permettant donc à Emtel de faire appel du jugement, renversant la décision de la juge Ah Foon Cheong Yew Choeng. Les Law Lords ont conclu que les dispositions légales imposent la responsabilité à l'ICTA pour les lacunes réglementaires de l'ancienne Telecommunications Authority entre 1996 et 1998. «That is the case regardless of whether the Telecom Authority had legal personality or was separate from central government; it was an abuse of the process of the court for the ICTA to raise this argument at trial to prevent a consideration of the merits of the civil claim», ont souligné les Law Lords.

Le Privy Council insiste sur l'importance de la responsabilité et de la transparence dans le cadre réglementaire des télécommunications à Maurice et met en évidence le fait que les organismes de régulation doivent assumer leurs responsabilités, même pour des périodes transitoires, et ne peuvent pas éviter un examen d'une demande en invoquant des arguments procéduraux abusifs. La Cour suprême devra ainsi réexaminer cette affaire et il est inévitable, après les remarques des Law Lords, que le verdict sera en faveur d'Emtel.

Selon des hommes de loi, avec les réclamations initials et les intérêts accumulés, l'ICTA pourrait se retrouver confrontée à payer plus de Rs 700 millions à Emtel, outre les frais légaux encourus pendant toutes ces années. «La décision du Privy Council est particulièrement accablante pour le ministère et l'ICTA. Elle expose également leur mauvaise foi et leur inefficacité réglementaire. Ceux qui surveillent l'efficacité des autorités mauriciennes dans la lutte contre le blanchiment d'argent, le trafic de drogue, la corruption et d'autres activités criminelles à Maurice seront encore plus critiques après avoir pris connaissance de cette décision», fait ressortir un avocat basé en Angleterre.

Compte-goutte

L'affaire, qui a connu de multiples rebondissements et un long processus judiciaire, n'a pas manqué d'attirer les remarques des Law Lords quant à l'équité et à la légalité des actions des parties impliquées. L'un des points de préoccupation majeurs des Law Lords réside dans les tactiques employées par les organismes publics pour retarder et compliquer le litige, entraînant ainsi une utilisation excessive des ressources judiciaires et des coûts juridiques. Dans le jugement, les Law Lords ont relevé ce qu'ils qualifient d'objections et de défenses au «compte-goutte», soulevées à chaque étape de la réclamation civile, toutes rejetées pour leur absence de fondement.

Un autre aspect particulièrement troublant mis en exergue : la tentative des organismes publics de mettre fin à la réclamation sans un examen de fond juste avant le procès, en soulevant des points jusqu'alors non mentionnés et en contestant des preuves cruciales présentées par Emtel. Cette tactique, selon les Law Lords, a créé une situation d'injustice procédurale et a sapé le processus d'examen équitable des revendications de Emtel.

De plus, le Conseil privé a critiqué le revirement de position de l'ICTA concernant la compétence juridique de la Telecommunications Authority, soulignant que ce changement d'argumentation après des années de litige était un abus de procédure. Les Law Lords ont souligné que de telles défenses ne peuvent être invoquées de manière opportuniste après avoir utilisé d'autres voies procédurales pour éviter un examen complet des allégations.

Résistance continue v/s intérêt public

Malgré l'espoir que le recours à une procédure civile permettrait d'éviter des délais excessifs, ont fait remarquer les Law Lords, la réalité a montré que les procédures se sont prolongées, en grande partie en raison de la manière dont l'ICTA a choisi de conduire les procédures. Étant donné que le Privy Council n'a traité que quelques-uns des nombreux motifs d'appel soulevés par les défendeurs, les parties ont convenu que l'affaire devait être renvoyée à la cour d'appel de Maurice pour un réexamen complet.

Les fonctions de l'ICTA, telles que définies dans l'ICTA Act de 2001, comprennent la création d'un terrain de jeu équitable pour tous les opérateurs dans l'intérêt des consommateurs en général, ainsi que la promotion de l'efficacité et de la compétitivité internationale du pays dans le secteur des TIC.

Le Conseil privé a ainsi noté que le comportement de Mauritius Telecom et de Cellplus, tel qu'il est décrit dans le jugement principal, n'était «neither complicated nor subtle». Il s'agissait exactement du type de comportement que tout régulateur des télécommunications aurait dû anticiper et prévenir.

Cependant, selon les Law Lords, l'ICTA a totalement échoué à mettre en oeuvre ou à faire respecter ces mécanismes. Cela sera un sujet que la Cour suprême devra examiner si l'ICTA continue de poursuivre ses motifs d'appel restants. Les Law Lords ont exhorté les parties à réévaluer leur résistance continue à la réclamation d'Emtel, en tenant compte des objectifs statutaires de l'ICTA et de l'intérêt public.

Des frais très chauds

Cette affaire met aussi en évidence les coûts astronomiques associés aux frais judiciaires, avec des équipes juridiques composées de plusieurs avocats de renom, notamment des «King's Counsel» (KC) et des «Senior Counsel» (SC). L'équipe légale des organismes publics impliqués dans l'affaire était impressionnante, comprenant trois KC et trois SC, en plus de bénéficier de l'expertise des cabinets juridiques de Londres pour la préparation des dossiers.

L'ICTA, était representee par Guy Vassall-Adams KC, Louis Eric Wilson Ribot SC et Tim James-Matthews sous les instructions de Bridgewater Solicitors. La défense de Mauritius Telecom était, elle, assurée par Me Ravin Chetty, SC et Mes Khavi Chetty et Yashley Reesaul, sous les instructions du cabinet juridique RWK Goodman LLP (London).

Cellplus était défendue par Aidan Casey KC, Me Désiré Basset, Senior Counsel, Mes Gaël Basset, Heetesh Dhanjee et Nadraj Patten. Ils étaient assistés par l'avoué André Robert, Senior Attorney. Ils ont aussi bénéficié de l'expertise de RWK Goodman LLP (London). Le ministère des TIC était représenté par Alain ChooChoy, KC et Rajeshsharma Ramloll SC sous les instructions de Blake Morgan LLP (London).

Ces équipes, composées de KC et de SC de Londres, ont sans aucun doute engendré des coûts astronomiques pour l'État, avec des honoraires pouvant atteindre jusqu'à 35 000 livres sterling (Rs 2 millions) pour un KC dans ce type d'affaire et 10 000 livres sterling (Rs 580 000) pour les juniors. Les avocats de Maurice qui ont travaillé sur ces dossiers pendant des années ont également reçu des sommes considérables pour leurs services. On parle là de millions de roupies...

Des honoraires de Rs 19 m à Me Kailash Trilochun

Les honoraires exorbitants de Me Kailash Trilochun pour représenter l'ICTA avaient déclenché une série de réactions, aussi bien au sein du gouvernement que de l'opposition. Avec des «fees» s'élevant à Rs 19 millions, facturés à un taux de 400 dollars américains par heure, cette affaire avait fait grand bruit et a été qualifiée de «choquante» par l'ancien Premier ministre et ministre mentor, sir Anerood Jugnauth, lors de son intervention au Parlement le 9 août 2016.

L'opposition, représentée notamment par Navin Ramgoolam, avait appelé à une restitution d'une partie de cette somme à l'ICTA, tandis que le Bar Council avait décidé de ne pas intervenir dans le cas de Me Kailash Trilochun. Ce dernier avait réagi en affirmant que l'ancien chef du gouvernement était au courant des honoraires exigés par l'ICTA. l a souligné que ce n'était pas lui qui avait réclamé un tel montant, mais que c'était l'ICTA qui le lui avait imposé. Cependant, une enquête policière conduite par la suite sur l'agression de Bhanoodutt Beeharee, ancien président du conseil d'administration de l'ICTA, avait vite mis fin aux débats sur les honoraires controversés de l'avocat.

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