Sénégal: Le 'Bou El Mogdad', l'histoire d'une longue amitié avec les gens du fleuve

Le mythique bateau "Bou El Mogdad", du nom d'El Hadji Ibnou Bou El Mogdad Seck (1826-1880), un érudit musulman saint-louisien, continue à partager son histoire avec les riverains du fleuve Sénégal, en assurant depuis bien des années des navettes entre les villes de Saint-Louis et Podor, dans le nord du Sénégal.

"C'est un bateau qui a une vraie histoire qu'il a partagée avec les gens du fleuve. Il a emmené des bonnes nouvelles et des mauvaises nouvelles. Tout ce qui allait dans la vallée passait par le Bou", a dit à l'APS son propriétaire, Jean-Jacques Bancal.

Trouvé dans son bureau sis à l'Île nord, Jean-Jacques Bancal, né en 1960 à Saint-Louis, renseigne que ce bateau construit pour la vieille ville pendant l'époque coloniale, a été fabriqué dans les années 1950 en Hollande.

Le bateau est arrivé tout neuf et il faisait la navette entre Saint-Louis et Podor deux fois par semaine, rappelle M. Bancal, en insistant sur sa vitesse de croisière et ses équipements.

"Il y avait des bancs pour les passagers. A l'époque, il n'y avait pas de route pour aller à Podor. Donc, il emmenait 300 tonnes de fret plus les élèves, les courriers, tout ce qui transitait par le fleuve avant la route qui va à Bakel", explique-t-il.

Dans un français d'une rare subtilité, l'actuel propriétaire du "Bou" retrace le circuit de ce bateau qui a certainement marqué beaucoup de riverains du fleuve.

"Quand on a acheté le bateau, on devrait ouvrir l'ancien pont de Faidherbe qui était vieux et les gens étaient un peu inquiets. C'est un bateau qui a marqué beaucoup de gens, qui faisait des navettes entre Saint-Louis et Podor. C'était un peu compliqué, mais ils étaient contents", fait-il savoir.

Le navire comprenait quatre cabines et un restaurant, rappelle-t-il, signalant que tout le reste était réservé à ses passagers. Le voyage durait une journée pour Richard-Toll, avant que le bateau arrive un jour plus tard à Podor, sa destination finale, raconte son propriétaire.

Maintenant, le voyage dure cinq jours en raison des excursions au parc des oiseaux de Djoudj, à Richard-Toll, à Dagana, à Saldé et à Podor.

Le "Bou El Mogdad", un patrimoine de Saint-Louis

Âgé aujourd'hui de 75 ans, le "Bou El Mogdad" fait partie plus que jamais du patrimoine de la ville de Saint-Louis classée patrimoine mondial de l'UNESCO depuis 2000.

"C'est le dernier bateau du fleuve, il a 75 ans et il marche toujours. C'était la vieille mécanique. Les mécaniciens arrivent à réparer et à garder les pièces. On a essayé de conserver l'architecture" du bateau, explique M. Bancal.

Selon lui, le "Bou" fait partie du patrimoine de Saint-Louis. "Malheureusement, il commence à être vieux. Combien de temps il va durer encore, peut-être qu'il sera là après moi. Mais pas longtemps après", s'interroge-t-il.

"Et puis si on mettait un autre bateau neuf, poursuit-il, ça n'aurait pas la même qualité. Les gens peut-être ne le prendraient pas, en tout cas pas les touristes. Ils aiment bien l'histoire de ce bateau."

De la Sierra-Leone au Saloum et son retour à Saint-Louis

A un certain moment donné, le "Bou El Mogdad" avait quitté le Sénégal pour la Sierra-Leone, loin de son port d'attache, Saint-Louis. Jean Jacques Bancal, très attaché à ce bateau, a joué un rôle déterminant dans son retour au bercail.

"Il y a une période où le bateau était garé sur les quais pendant six ans. Après, il a été racheté. Il a développé le tourisme. Et après la construction du barrage de Diama, il est parti en Sierra Leone. Il est revenu dans le Saloum où il est resté pendant dix ou quinze ans", se remémore-t-il.

Il dit avoir "poursuivi" le "Bou" pour le ramener à Saint-Louis, soulignant que ce bateau avait marqué l'histoire de sa ville, et surtout, son enfance. "Finalement j'ai trouvé des partenaires qui m'ont aidé et on a pu le racheter et le ramener à Saint-Louis", raconte-t-il.

"Ce n'était pas facile d'acheter le bateau parce que c'est de l'argent. Au début, on voulait même s'associer avec des Mauritaniens. Le bateau était un petit trait d'union entre les gens de la Mauritanie et du Sénégal et de la vallée du fleuve Sénégal", rappelle-t-il.

Bou El Mogdad, un érudit musulman

De son vrai nom El Hadji Ibnou Bou El Mogdad Seck (1826-1880), l'explorateur sénégalais est issu d'une famille saint-louisienne très proche de l'administration coloniale. "Bou El Mogdad était le premier noir à avoir été décoré de la Légion d'honneur. Il a été interprète de Faidherbe. C'était un érudit musulman. Il connaissait El Hadji Omar Tall et les grands chefs musulmans mauritaniens", selon Jean Jacques Bancal.

"Le nom du bateau lui a été donné à cause de ça. On ne change pas de nom, on le garde tout le temps. Il n'y a que son portrait dans le bateau avec la Légion d'honneur", poursuit-il.

L'apport économique du bateau pour Saint-Louis

Le "Bou El Mogdad" qui ne navigue que six mois par an est d'un apport économique important pour la ville de Saint-Louis. "C'est un bateau qui apporte à l'économie de Saint-Louis à peu près 350 millions de francs CFA. 70 millions de francs CFA peut-être en salaire et les achats locaux", indique M. Bancal, soulignant que tous les produits embarqués sur le bateau sont locaux.

"Sur le bateau, tout est local : les produits (fruits et légumes), le personnel, la nourriture", précise-t-il. En plus, les passagers sont transportés par bus pour visiter le village artisanal de Podor, afin de soutenir les artisans.

"On paye aussi 40 ou 50 millions de francs CFA d'impôts à l'État. Donc, c'est déjà un apport pour la ville et c'est important", souligne-t-il.

Le propriétaire du "Bou" soutient qu'il fait travailler aussi des conducteurs de calèches, des agents de parcs, entre autres, assurant que c'est un bateau qui est lié aux populations du fleuve Sénégal.

"Je trouve que les Sénégalais ne connaissent pas les croisières. C'est rare de voir un Sénégalais acheter une croisière dans le monde. Sur le +Bou+, malheureusement, il n'y a pas assez de Sénégalais qui font la croisière", déplore-t-il.

Des commodités dignes d'un petit hôtel de luxe

Digne d'un petit hôtel, le "Bou El Mogdad" offre plus que jamais des commodités de nature à garantir une belle croisière pour le touriste. "C'est un bateau qui est un tout petit peu un hôtel de luxe. Il y a 25 cabines, une piscine, un bar, des terrasses, des couloirs extérieurs", décrit-il. "Les gens l'aiment bien parce que toutes les cabines ont une vue sur le paysage", explique-t-il, soulignant que "c'est un voyage qui montre le Sénégal des campagnes".

De Saint-Louis à Podor en passant par Dagana, le "Bou El Mogdad" offre un circuit magnifique aux passagers.

Quand le bateau arrive à Saint-Louis, les passagers visitent la ville, avant de se rendre au parc de Djoudj, considéré comme la troisième réserve d'oiseaux du monde, détaille le propriétaire du "Bou El Mogdad".

A Richard-Toll, ils font un tour dans les champs de canne à sucre, pour voir comment les ouvriers font pour brûler la canne, et à la "Folie du Baron Roger", un château devant son nom à Jean François Roger, ancien gouverneur du Sénégal (1822-1827).

À Dagana, ils visitent le marché de la commune, les écoles, le village Peul de Goumel. Les villages construits en banco de Saldé accueillent ensuite les passagers qui terminent la croisière à Podor par les teinturiers et les photographes. "Tout est joli et tout est différent !", s'exclame Jean Jacques Bancal.

Une vingtaine de personnes, dont un commandant, travaillent sur ce bateau qui assure la croisière de Saint-Louis, situé à l'embouchure du fleuve Sénégal, à Podor, ancien comptoir français bâti sur les berges de ce cours d'eau. Jean-Jacques Bancal collabore aussi avec l'Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS).

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