Il y avait foule à Buea depuis quelques jours, une marée humaine au mouvement bien réglé, comme une armée de réserve désertant un régiment pour rejoindre l'ennemi. Nous sommes perdus. Oui, une foule, on aurait dit tous les jeunes d'un pays réunis avec le même regard, tournés vers l'au-delà d'un ciel obscurci par la fumée de la misère. Ils sont venus de partout, la nouvelle s'est répandue sur les réseaux, ils se sont organisés, ont pris la route, nombreux. Une foule animée par une seule idée : réussir un test de langue et filer pour le Canada.
Une foule... oui... une foule de Camerounais, semblable à des oiseaux libérés de leur cage. Une foule avec des chapelets à la main pour les prières sur le chemin de Buea ; cette zone anglophone où la terreur des « Ambasboy » sévit encore. Ils n'ont pas eu peur, ils sont venus avec l'espoir d'un avenir meilleur vers le Canada. Des armes ont tonné à 4 kilomètres de là, tous ont entendu mais personne n'a bougé, personne ne voulait perdre sa place dans cette file interminable.
Le Canada, une promesse. À peine un visage tourné vers la gauche que la droite était déjà saturée de monde. Ici, ce sont principalement les francophones qui confirmaient leur préférence pour cette partie du Cameroun lorsqu'il s'agit d'obtenir un visa. Mille, deux mille, trois mille, non, c'était bien plus que cela, tel une exode rurale en temps de guerre. Parmi eux, se sont glissés des pickpockets, comme en témoignent les cris : « My bag was stolen. » « Oh my god. »
D'autres ont cherché des contacts susceptibles de les aider. Certains étaient même hospitalisés mais, apprenant la nouvelle, ont quitté leur lit pour se rendre à Buea. D'autres encore avaient des funérailles familiales mais ont fait faux bond pour rejoindre la foule. Selon nos enquêtes, officieusement, le Canada n'en voulait que 11 personnes : une équipe de football pour travailler comme agents d'accueil dans un restaurant indien. Mais tout le pays voulait être parmi les onze indomptables. Beaucoup de fonctionnaires y ont été également aperçus, surtout des trésoriers payeurs.
Il y avait des candidats déjà inscrits dans les grandes écoles du Cameroun, mais qui ont préféré tenter leur chance. Les étudiants diplômés résidents à Betaré Oya ont particulièrement impressionné la foule : ils ont tout préparé, un sac, un matelas, un sac de couscous et un peu de poisson fumé, ainsi que leur marmite pour préparer là où ils vont chuter la nuit tombée. Parmi cette masse, on trouve aussi d'anciens Benguistes qui ont déjà été au Canada et qui racontent leurs péripéties. Nous sommes dans l'irréalité totale. Le gouvernement a laissé faire sans savoir que le Canada a voulu exposer aux yeux du monde la misère des jeunes à l'approche des élections présidentielles. Dans cette masse tumultueuse, chacun se donne sa chance.
Lorsqu'on dit à ces candidats que le Canada est difficile, qu'il fait froid... ils répondent que ce n'est pas leur problème : ils préfèrent aller faire l'expérience du froid. Pour un bon Camerounais, le froid n'est rien, il va s'habituer, surtout à un environnement social totalement différent. Les habitudes africaines de socialisation sont simples et décontractées. « C'est difficile, c'est ce que disent tous ceux qui sont déjà au Canada, mais personne ne revient, alors arrêtez de décourager les gens ». tonnent les candidats.
Chaque personne a son histoire, ses raisons. Avec un avenir incertain à l'approche d'une élection animée, car une rumeur urbaine qui laisse croire que ça passera ou ça cassera. Il vaut mieux partir. Le pays a atteint son « a dit ». c'est à dire son plus bas niveau. Le Cameroun est le pays dont on se moque le mieux au monde à cause de sa manière de fonctionner, mais que voulez-vous que cela fasse à nos dirigeants ? C'est un pays qui a tué la honte. On vous dira bien qu'il y avait quoi avant.