Elle le doit aussi à ses infrastructures aéroportuaires et hôtelières et à une bureaucratie surannée
Dans l'univers du tourisme mondial, l'Algérie semble jouer le rôle d'un figurant oublié dans les coulisses. Avec seulement 1,6 million de touristes étrangers en 2023, le pays peine à rivaliser avec le Maroc et la Tunisie qui attirent respectivement 13 et 9 millions de touristes annuellement.
Avec ses villes fortifiées, ses anciennes cités romaines, ou encore ses belles plages, l'Algérie est un pays qui possède d'incontestables atouts naturels pour être une destination de choix et pourtant elle n'occupe que la 24ème place du Top 50 africain dominé par l'Egypte, l'Afrique du Sud et le Maroc, respectivement 1er, 2ème et 3ème de ce classement établi par le cabinet espagnol Bloom Consulting qui liste, chaque année, les destinations les plus prisées du monde.
Pourquoi l'Algérie ne parvient-elle pas à rivaliser avec ses voisins du Maghreb ? Comment n'arrive-t-elle pas à attirer autant de visiteurs étrangers que le Maroc et la Tunisie ?
En effet, il est impossible de comprendre le retard touristique algérien sans revenir sur les années 90 et la guerre civile qui a déchiré le pays. Durant cette décennie noire, l'Algérie s'est enfoncé dans un cycle de violences et des centaines de milliers de vies innocentes ont été fauchées dans ce tourbillon de haine et de terreur. Parmi les épisodes les plus tragiques de cette sombre époque figure l'assassinat des moines de Tibhirine en 1996, un acte odieux qui a ébranlé la conscience du monde entier.
Malgré les efforts déployés pour tourner la page de ce chapitre sinistre de son histoire, l'Algérie peine à se défaire de son image de pays instable et dangereux. L'attaque dévastatrice contre le site gazier d'In Amenas en 2013 a ravivé les craintes et dissuadé de nombreux acteurs du tourisme d'investir dans ce marché trop imprévisible. Une frilosité renforcée par l'instabilité politique chronique du pays.
Pourtant, l'image de la République algérienne n'est que le sommet de l'iceberg. Confrontée à une forte concurrence dans le bassin méditerranéen, l'Algérie souffre d'un véritable problème de promotion. Aucune grande campagne dans les médias, des sites web dépassés et une présence timide dans les grands salons... Pour les voyageurs étrangers intéressés par une escapade à Alger, les ressources en ligne se font rares et sont peu engageantes.
Ils doivent se contenter des pages Facebook de quelques opérateurs locaux ou des sites web de certaines institutions publiques, comme le ministère du Tourisme, qui offre une expérience limitée en étant seulement disponible en arabe et en français. Cette lacune flagrante dans la présence numérique du pays contraste vivement avec les stratégies de promotion multilingues adoptées par ses voisins. «Le site du ministère du Tourisme est frappé par une indigence, celui de l'Office national algérien du tourisme, la même chose.
Nos sites, nos portails, sont très loin par rapport à la concurrence dans le bassin méditerranéen. Le site de la Tunisie par exemple est en quatre langues. Celui du Maroc, «visitmorocco.com» est, lui, décliné en onze langues», déplore Said Boukhelifa, expert algérien en tourisme.
Cette situation handicape considérablement les efforts de l'Algérie pour promouvoir son patrimoine culturel, historique et naturel auprès d'un public international. En négligeant le potentiel des plateformes en ligne et en ne répondant pas aux besoins des voyageurs internationaux en termes de diversité linguistique, l'Algérie risque de rester dans l'ombre de ses concurrents africains et méditerranéens, perdant ainsi une précieuse opportunité de développer son industrie touristique et d'accroître sa visibilité sur la scène mondiale.
Si par miracle un voyageur parvient à franchir cet obstacle, il se retrouve rapidement confronté à un autre défi de taille : la lourdeur kafkaïenne des procédures de visas, qui décourage les candidats au voyage. Alors que le Maroc et la Tunisie assouplissent leurs formalités, Alger campe sur des conditions draconiennes. L'obtention d'un visa pour l'Algérie ressemble souvent à une épreuve d'endurance, où les candidats doivent jongler avec une myriade de documents et de conditions restrictives, dans l'espoir de décrocher le précieux sésame. Le taux de refus fait pâlir d'envie les régimes les plus autoritaires, frôlant les 30%, qualifié de record mondial par certains observateurs.
Mais ce n'est pas tout. L'Algérie doit également composer avec une série de handicaps structurels qui entravent son développement touristique. Tout d'abord, il y a la question des infrastructures aéroportuaires, souvent désuètes et mal adaptées aux standards internationaux. En dehors de la capitale Alger, les aéroports des autres régions du pays peinent à offrir un accueil digne de ce nom, reléguant ainsi l'expérience du voyageur à un calvaire dès son arrivée.
Même constat pour la capacité hôtelière. Avec à peine 110.000 lits disponibles (3 à 4 fois inférieure à celle du Maroc ou de la Tunisie), mal répartis dans des établissements vétustes et peu diversifiés, l'offre hôtelière algérienne est loin de rivaliser avec celle de ses voisins maghrébins. Pour le voyageur en quête de confort et de commodité, l'Algérie peut parfois ressembler à un désert, au sens propre comme au figuré. Quant au réseau routier et autoroutier, il demeure très lacunaire, rendant difficiles les déplacements à l'intérieur du pays. Pour plusieurs professionnels du secteur, l'Algérie reste très en deçà des standards internationaux, tant en quantité qu'en qualité.
Mais au-delà des chiffres et des statistiques, c'est peut-être dans les mentalités que réside le plus grand défi pour le tourisme en Algérie. Le pays doit également composer avec une résistance farouche de certains secteurs conservateurs de la société, qui voient d'un mauvais oeil l'arrivée de «hordes» de touristes étrangers. Dans certaines régions reculées, les comportements des touristes en tenue légère sont vécus comme une agression des valeurs traditionnelles, entraînant parfois des réactions hostiles, voire violentes, à leur encontre. Un climat de défiance savamment entretenu par une frange de la société, mais soigneusement occulté par les autorités.
Ces dernières peinent donc à définir une stratégie claire pour relancer la machine touristique. Malgré les discours volontaristes sur la nécessaire diversification de l'économie, le secteur n'a jamais été une priorité pour un pays qui vit essentiellement de sa rente pétrolière et gazière. «La malédiction du pétrole touche tous les secteurs», analyse Andrew Farrand, chercheur principal pour l'Afrique du Nord auprès de l'Atlantic Council, un groupe de réflexion spécialisé dans les affaires étrangères. «L'industrie fournit à l'État algérien l'argent dont il a besoin pour éviter le dur travail que représente le développement de secteurs plus complexes tels que le tourisme», souligne-t-il.
Il faur dire que pour un pays envoûté par les mirages de la rente pétrolière, le tourisme n'a jamais été une obsession. Le ministère du Tourisme, parent pauvre des finances publiques, compte ses sous tandis que les projets d'envergure restent confinés dans les tiroirs.
L'Algérie demeure ainsi un étonnant paradoxe du tourisme, entre un potentiel indéniable et une réalité terriblement décevante. Tant que les obstacles persistants ne seront pas levés et que les mentalités n'évolueront pas, le pays risque de rester encore longtemps dans l'ombre des destinations touristiques prisées. Et pendant ce temps, ses voisins continueront de jouer les premiers rôles sur la scène touristique mondiale, le reléguant au rang de figurant aux niveaux africain et méditerranéen.