*Ce qu'il faut retenir du premier voyage officiel de Félix Tshisekedi en France les 29 et 30 avril 2024, principalement de son tête-à-tête avec son homologue Emmanuel Macron, peut se résumer dans l'expression « double standard » signifiant existence d'un traitement discriminatoire devant une même situation. Paris entend rassurer Kinshasa du standard unique. Concrètement, le standard de l'Occident par rapport à la guerre en Ukraine sera désormais le même par rapport à la guerre en RDC, pays agressé par le Rwanda. Evidemment, personne n'est dupe en ce que l'Otan - qui vole au secours de l'Ukraine en lui fournissant des milliards et des milliards en termes d'assistance budgétaire et militaire assortie des sanctions ciblant l'Etat russe - puisse faire de même pour la RDC ! Réunis à Bruxelles les 3 et 4 avril 2024, les ministres des Affaires étrangères de l'Otan ont décidé de créer un fonds de 100 milliards d'euros sur cinq ans au titre de soutien militaire à l'Ukraine, en dehors de tout est mis à la disposition de ce pays dans le cadre bilatéral. Alors trêve d'illusion : le Congo Kinshasa n'obtiendra ni l'assistance budgétaire et militaire de la part de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord, ni des sanctions visant l'Etat rwandais. Peut-être que la France envisage de le faire en solo en référence à... Berlin 1885 !
Notez bien l'expression « défendre quand même"
Comme pour éviter toute déformation de sa position engagée officiellement par son locataire, l'Elysée a publié à l'issue de la rencontre un verbatim reprenant le discours et les questions-réponses d'Emmanuel Macron. Il s'est abstenu de reproduire les interventions du Président rdcongolais. Probablement pour éviter un « incident diplomatique et médiatique ».
Première curiosité notée par les observateurs avertis : en réponse à la première question, Emmanuel Macron a semblé consulter ses notes, regard fixé sur son pupitre. On dirait qu'il tenait à ne pas aller au-delà du » disable « . Ce qui peut se comprendre dans le contexte du rapprochement avec son homologue congolais après la passe d'armes d'avril 2023.
A la question relative à la proposition de Nicolas Sarkozy en 2017 du partage des ressources entre la RDC et le Rwanda, Félix Tshisekedi, laissant parler son corps comme à son habitude, a failli hypothéquer le processus de Luanda. Il a fait planer le doute sur la disponibilité de Paul Kagame à jouer franc jeu.
Emmanuel Macron a juste eu le temps de le rattraper ou de se rattraper (ce qui revient au même) pour sauver la mise. « D'abord, je voudrais défendre quand même le travail qui est fait par l'Angola et son président, parce que je peux toujours critiquer les processus, mais enfin, il a le mérite d'exister, et il n'y a pas beaucoup de concurrents. Donc l'engagement du président LOURENÇO est une chance pour la sous-région, et je crois vraiment pouvoir le dire pour la RDC aussi, et il le fait avec beaucoup d'engagement, de courage et de ténacité. Et donc, nous soutenons ces efforts, et nous nous coordonnons très étroitement avec ce qui est fait par le président LOURENÇO », a-t-il déclaré.
Notez bien l'expression « défendre quand même ».
Effectivement, ni l'Otan et l'Occident en général, ni la France en particulier ne peuvent désormais se passer de ce processus. C'est le seul cadre qui puisse rapprocher Félix Tshisekedi et Paul Kagame. Du reste, Macron a bel et bien reconnu avoir échangé au téléphone la veille avec l'homologue rwandais.
En plus, tous les pays membres du Conseil de Sécurité de l'Onu (Russes et Chinois compris) sont pour ce processus, et avec eux les pays membres de l'Union européenne, de l'Union africaine, des organisations sous-régionales comme la Cééac, la Sadc, la Cae, la Cirgl.
Deux non-dits : sort des Fdlr et sanctions contre l'Etat rwandais
Qu'est-ce qu'il faut alors comprendre de la rencontre de l'Elysée ? Macron a confirmé la position de son pays :
-d'abord par rapport aux groupes armés. Tous indistinctement, même si l'accent est mis sur le M23, doivent intégrer le Programme de Démobilisation, Désarmement, Réinsertion Communautaire et Stabilisation (P-DDRCS), et cela progressivement »(!) ;
-ensuite par rapport au Rwanda. Ce pays doit procéder au retrait de ses troupes présentes sur le sol congolais et cesser tout soutien au M23 ;
-enfin par rapport à la RDC. Le Gouvernement doit cesser tout soutien aux Fdlr et faire cesser tout discours de haine identitaire.
Au regard de ce qui précède, il y a des non-dits qui méritent d'être relevés :
-le premier est le sort des Fdlr à désarmer et à démobiliser. En toute logique, elles sont concernées par DDR (Désarmement, Démobilisation et Rapatriement).
Or, Macron ne l'a pas évoqué. Comme pour dire à Félix Tshisekedi : faites-en ce que bon vous semble, mais à condition de ne plus les revoir dans des opérations armées. Sans le suggérer ouvertement, c'est comme s'il demandait au chef de l'Etat de s'inspirer de son homologue Denis Sassou Nguesso avec les réfugiés Hutus reconvertis en agriculteurs au nord de Brazzaville. Il est évident que Félix Tshisekedi ne se laissera pas piéger par cette formule car on ne voit pas un coin du pays qui accepterait de les abriter. La solution est et reste leur retour au Rwanda.
-le deuxième non-dit porte sur les sanctions. Pendant que Félix Tshisekedi les réclame à l'encontre du Rwanda-Etat comme le standard occidental le fait à l'endroit de la Russie-Etat, Emmanuel Macron fait plutôt valoir les sanctions individuelles !
Preuve, si besoin est, de l'existence du double standard...
La RDC en position de force face à la France
Qu'est-ce qui, en vérité, fait courir si tant la France en RDC aujourd'hui ?
Avec le « printemps sahélien » parti du Mali pour atteindre le Burkina Faso et la Guinée-Conakry, et dont les effets effleurent le Sénégal, la Côte d'Ivoire, le Bénin ainsi que le Togo, et en perspective la perte d'influence de l'Hexagone sur l'ex-AOF (Afrique Ouest-Africaine), le seul bastion qui reste sur le continent noir pour Paris est l' Afrique Centrale.
Et pour cause !
En Afrique australe continentale, il n'y a aucune ex-colonie française (Madagascar et Comores étant des îles). En Afrique Orientale, il n'y a que Djibouti d'ailleurs placé aussi sous influence américaine, russe et chinoise via des bases militaires.
Ainsi, en Afrique centrale où le Tchad, le Cameroun, le Gabon, le Congo-Brazzaville et la Centrafrique sont de plus en plus indisciplinés face à l'ex-puissance coloniale, Paris retrouve et sort son Joker : le droit de préemption obtenu de Léopold II lors de la Conférence Internationale de Berlin 1885.
Pour rappel, il avait été convenu de reconnaître à la France le droit de reprendre à son compte l'EIC si le roi Léopold II venait à s'en dessaisir. C'est ainsi qu'en 1908, lorsque la Belgique avait hérité de la propriété congolaise, la France avait brandi ce droit. En 1960, lors de la proclamation de l'indépendance du Congo-Belge, la France était revenue à la charge.
Depuis, Paris a de tout temps veillé à sa façon sur Kinshasa. Toutes les guerres connues par la RDC entre 1960 et 1990 ont vu la France voler au secours du Congo. Ironie du sort : Paris est lié au cycle des guerres de l'Est ayant pour origine la guerre civile (génocide) survenue au Rwanda en 1994, cela au travers de l'Opération Turquoise.
C'est pour dire que même en se rapprochant du Rwanda, la France ne s'est jamais formellement et véritablement éloignée de la RDC.
Tout compte fait, on peut dire à ce jour que la RDC est en position de force face à la France.
Maintenant, Kinshasa peut beaucoup, voire tout obtenir de Paris. Il s'agit cependant d'une position fragile. Car, les relations internationales ou inter-nationales ont pour mode opératoire le double standard.
Dans cette logique, pour reconforter sa position, la France va chercher à renverser la vapeur. Elle cherchera certainement le soutien de ses partenaires traditionnels (Otan) pour ramener la RDC dans les limites fixées pour elle.
Que ferait alors la RDC face à la nouvelle donne, au nouveau front ?
Suggérer au régime en place de battre le rappeler de toutes les forces politiques et sociales congolaises disponibles, tout en lui déconseillant l'ouverture d'autres fronts en ces moments délicats (comme il le fait) pourraient, malheureusement, susciter ce à quoi on doit désormais s'attendre dans ce pays : s'entendre crier haro sur le baudet, c'est-à-dire, se laisser traiter de traître, sort réservé à toute compatriote, tout compatriote qui en appelle au dialogue.
Au nom, on s'en doute, du double standard sur fond du TNB (Tour Na Biso), doublé maintenant de la consigne « TOB »* (Tosa O Bika) !