Impact indéniable sur la santé et la consommation de l'eau et de l'énergie
Depuis mardi, une vague de chaleur frappe plusieurs provinces du Royaume. Selon les prévisions de la Direction générale de la météorologie, cette vague de niveau «orange» atteindra les 40 et 44°c notamment à Assa-Zag, Es-Semara, Boujdour, Oued Ed-Dahab et Aousserd. Une hausse de température qui n'a rien de surprenant puisqu'il faut s'attendre, ou s'habituer plutôt, à une succession d'affolement du thermomètre.
Les résultats d'études appropriées sont accessibles à l'acteur politique qui, de ce fait, n'a aucune excuse de se cacher derrière quelque prétexte que ce soit
En effet, une nouvelle étude a révélé que «le changement climatique entraîne une hausse des températures dans les pays du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord, particulièrement plus importante la nuit que le jour». Les scientifiques à l'origine de cette étude «ont également mis en garde contre la multiplication de fortes précipitations dans ces pays».
Hausse des températures nocturnes
Diana Francis, professeure adjointe à l'université Khalifa d'Abou Dhabi et première autrice de l'étude, a déclaré que «les températures nocturnes augmenteront plus rapidement que les températures diurnes, car le réchauffement climatique entraîne une augmentation de la couverture nuageuse à basse altitude». Ce phénomène s'explique notamment, ajoute-t-elle, par l'augmentation de l'humidité atmosphérique due à l'évaporation accrue, et par la poussière due à la désertification continue des zones arides qui s'étendent.
«L'augmentation de la couverture nuageuse à basse altitude, que l'on devrait observer en Afrique du Nord-Est et dans la péninsule arabique, en particulier pendant les mois d'été, fera obstacle à l'augmentation des températures diurnes moyennes, mais limitera également le changement climatique», précise ladite étude. Et d'ajouter : «La tendance des températures à augmenter davantage la nuit que le jour est particulièrement prononcée pendant l'été».
Diana Francis a affirmé que "ce type de nuage réfléchit la lumière du soleil dans l'espace pendant la journée et a un effet refroidissant, mais il agit comme une couverture pendant la nuit parce qu'il absorbe la chaleur et la rediffuse à la surface de la Terre pendant la nuit".
Et comme une mauvaise nouvelle n'arrive jamais seule, l'étude prévient qu'il y aura des augmentations significatives des températures extrêmes, qui se produisent généralement pendant la journée. Le document en question met en lumière des recherches antérieures, publiées en 2021, qui suggéraient que dans le cadre d'un scénario de changement climatique "business-as-usual", la région MENA pourrait connaître des "vagues de chaleur extrêmement sévères".
"La moitié de la population de la région MENA (environ 600 millions de personnes) pourrait connaître des vagues de chaleur extrêmement fréquentes et graves, avec des températures de l'air de 56°C et plus pendant plusieurs semaines d'affilée, au cours du second semestre de l'année", indique l'étude. A noter qu'à mesure que les températures augmentent, l'évaporation devient plus forte, ce qui entraîne une augmentation de l'humidité atmosphérique.
Le professeur Lillyfield, chercheur en climatologie à l'Institut Max Planck de chimie en Allemagne et à l'Institut de Chypre et qui n'a pas participé à la dernière étude, soutient, de son côté, que «le principal facteur expliquant cette situation est le fait que la majeure partie de la région étant désertique, le sol est peu humide». Pour lui, et «d'une manière générale, les températures au Moyen-Orient augmentent plus rapidement que dans le reste du monde».
Accentuation des précipitations extrêmes
En outre, ladite étude met en garde contre le fait que cela "accentuera les précipitations extrêmes", en augmentant la probabilité de fortes pluies comme celles qui ont causé de graves inondations dans un certain nombre de pays du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord.
En effet, au début du mois, de graves inondations se sont produites après que certaines parties des Emirats arabes unis ont reçu plus de 250 mm de précipitations en 24 heures, un record dans l'histoire du pays, ainsi que des tempêtes et de fortes pluies à Oman, qui ont tué 18 personnes, et en Arabie Saoudite, en particulier à Médine et dans les régions de l'est du pays. Diana Francis a déclaré à ce sujet que "les fortes précipitations dans les pays subtropicaux devraient augmenter, tant en termes de fréquence que d'intensité, en raison du réchauffement climatique."
L'étude note également que la taille des zones arides dans la région MENA devrait continuer à augmenter, en partie à cause du changement climatique. "Les zones arides et semi-arides d'Afrique du Nord et d'Asie du Sud-Ouest se sont étendues au cours des dernières décennies, leurs effets étant exacerbés par la croissance rapide de la population, et il est probable qu'elles deviendront plus extrêmes sous l'effet du réchauffement climatique", a indiqué Diana Francis.
L'étude souligne que « dans d'autres régions, l'humidité du sol est généralement plus importante et absorbe l'énergie solaire lorsqu'elle passe de l'état liquide à l'état gazeux lors de l'évaporation, ce qui limite l'augmentation des températures ».
L'étude ajoute que, dans le scénario de changement climatique le plus extrême et vers la fin du XXIe siècle, les hautes températures subtropicales devraient migrer vers le pôle de 1,5 degré, conformément à l'expansion prévue des cellules de Hadley, le courant-jet équatorial de l'est en été s'affaiblissant jusqu'à un tiers et le courant-jet subtropical en hiver se renforçant généralement de 10%, sauf dans la région de la Méditerranée orientale où la trajectoire des tempêtes devrait se déplacer vers le pôle.
La durée des saisons devrait rester à peu près la même, ce qui indique que le réchauffement devrait être ressenti uniformément tout au long de l'année.
Accélération du réchauffement régional
Pour certains chercheurs, les résultats de cette dernière étude rejoignent ceux d'un rapport établi récemment par l'Institut de Chypre et publié dans la prestigieuse revue scientifique Reviews of Geophysics, et qui indique que « l'augmentation de la température observée dans la région a été presque deux fois plus rapide que la moyenne mondiale », tout en constatant que « la poursuite du statu quo entraînera un réchauffement régional moyen supplémentaire pouvant atteindre 5°C avant la fin de ce siècle, ce qui déstabilisera largement les écosystèmes et perturbera profondément les sociétés».
«L'accélération du réchauffement régional s'est aggravée au cours des quatre dernières décennies. La région MENA, déjà soumise à des contraintes environnementales, est considérée comme particulièrement vulnérable au changement climatique», indique George Zittis, chercheur associé au Centre de recherche sur le climat et l'atmosphère de l'Institut de Chypre et auteur principal du rapport.
Ce dernier ajoute que « la région est également particulièrement sensible au phénomène de désertification. L'Egypte, la Jordanie et la Palestine connaissent déjà un déclin de leur végétation, et jusqu'à 80% de leurs superficies terrestres. En plus d'augmenter l'aridité de la région, perturbant largement les modèles agricoles, ce phénomène devrait également accentuer le nombre et l'intensité des tempêtes de sable, qui coûtent déjà plus de 13 milliards de dollars à la région, selon la Banque mondiale».
Le Maroc n'est pas épargné
Et qu'en est-il de la situation au Maroc ? Selon le professeur Mohamed Hanchane, enseignant-chercheur en climatologie à l'Université Sidi Mohamed Ben Abdellah de Fès et membre de l'Associafion internafionale de climatologie (AIC), les résultats de ladite étude sur la hausse des vagues de chaleur nocturne dans la région MENA confirment les observations menées sur le Maroc et qui affirment que les vagues de chaleur nocturne sont en augmentation. «Notre laboratoire n'a pas été le seul à confirmer cette information. D'autres chercheurs, tels que Fatima Driouech, ont obtenu les mêmes résultats », nous a-t-il affirmé.
Et d'expliquer : «Ce problème est palpable dans les statistiques et même la dynamique atmosphérique liée à ce problème est évidente. En effet, il ne s'agit pas d'un phénomène passager, mais derrière, il y a changement d'une dynamique atmosphérique en relation avec une certaine modification dans l'extension de l'air tropical».
Notre interlocuteur nous a rappelé qu'une étude menée sur la période 2021 /2022 a révélé que les vagues de chaleur journalière ont également changé puisqu'elles durent plus longtemps. Selon lui, on ne fait plus face à des vagues qui durent 2 ou 3 jours mais qui se prolongent sur 8 jours. «Tel a été le cas en 2022 dans la ville de Fès », rappelle-t-il.
En outre, le professeur Mohamed Hanchane souligne que ces hausses de la température nocturne risquent d'avoir des conséquences sur la santé, notamment dans les grandes villes, particulièrement sur les personnes souffrant d'asthme. «En effet, la vague de chaleur bloque les poussières et les polluantes qui restent piégées dans l'air, ce qui cause l'asphyxie pour les personnes atteintes d'allergie », note-t-il. Il soutient que cette vague impactera également la consommation de l'électricité du fait de l'utilisation intensive des climatiseurs. « Il y aura également davantage de consommation d'eau puisqu'il y aura plus de gens qui se douchent la nuit », ajoute-t-il.
Concernant l'appropriation de cette problématique par l'acteur politique, notre interlocuteur estime que les chercheurs publient leurs résultats dans des revues scientifiques accessibles à tous dont bien évidement l'acteur politique qui, de ce fait, n'a aucune excuse de se cacher derrière quelque prétexte que ce soit.
«Au niveau de l'université, nous n'avons aucun lien avec le monde politique. Nous pensons que ce serait bien qu'il y ait des projets lancés et financés par la région ou les communes concernant les problématiques climatiques. Malheureusement, il n'y a pas une lecture profonde du changement climatique en cours pour mener une action politique adéquate.
Prenons l'exemple de l'eau. Nous avons, des années durant, multiplié les alertes concernant le stress hydrique mais personne n'a jugé utile de réagir. Et cela en dit long sur le reste», a-t-il conclu.
La crise climatique
En plus d'aggraver les problèmes de gouvernance et d'intensifier les inégalités socioéconomiques, la crise climatique risque de déstabiliser la capacité de résilience des pays. «Si des efforts d'atténuation opportuns et efficaces ne sont pas déployés, certaines parties du Moyen-Orient, par exemple dans le Golfe, pourraient devenir inhabitables, au moins pendant les jours les plus chauds de l'année», avertit George Zittis. Les fortes chaleurs associées à une augmentation de l'humidité peuvent en effet être mortelles si le corps humain ne parvient pas à se rafraîchir par la transpiration.
Parallèlement, les zones basses et densément peuplées de l'Afrique du Nord côtière et du Golfe sont particulièrement sensibles à l'élévation du niveau de la mer Méditerranée, que les prévisions estiment pour le moment entre 20 et 90 cm d'ici à 2100. A l'image d'Alexandrie qui devrait subir un nombre croissant d'inondations, ce sont des millions de personnes qui devront se déplacer vers l'intérieur des terres et contribueront un peu plus à l'urbanisation massive des écosystèmes.
Autres conséquences, celles sur l'agriculture. 45% des terres agricoles devraient être exposées à la salinité, à l'épuisement des nutriments du sol et à l'érosion. L'élévation de la mer devrait ainsi largement aggraver la sécurité alimentaire dont la fragilité a déjà été mise en lumière par la guerre en Ukraine.
Et tous les pays ne sont pas égaux. «Dans des villes comme Dubaï avec une forte capacité d'adaptation, les conséquences de la crise climatique se feront moins ressentir, observe Lama Elhatow, consultante sur le changement climatique dans la région MENA, qui a notamment travaillé avec la Banque mondiale. Les personnes les plus pauvres seront les plus touchées par le changement climatique, pas les riches assis dans leurs gratte-ciel avec leur climatisation».