Afrique: La pénurie de médicaments aggrave l'épidémie de diphtérie dans le continent

Vue d'une salle d'un hôpital soutenu par MSF où sont hospitalisés des patients souffrant de diphtérie. Nigeria. 2023. (photo d'archives)
9 Mai 2024

YAOUNDE — L'insuffisance des doses de vaccin et la rupture des stocks d'antitoxines diphtériques (produits qui neutralisent la toxine, poison sécrété par la bactérie responsable de la maladie) n'ont pas permis d'apporter une réponse efficace à l'épidémie de diphtérie qui a déjà fait plus 1 300 morts au Nigeria, au Niger et en Guinée.

A en croire Julien Potet, conseiller principal en charge des maladies tropicales négligées chez Médecins sans frontières (MSF), il n'existait « malheureusement » pas de stocks de secours d'envergure pour les vaccins et les antitoxines avant le début de l'épidémie.

« Il n'y avait avant l'épidémie aucun programme, à ma connaissance, permettant de faire basculer certaines doses de vaccin vers le rattrapage vaccinal. Les vaccins disponibles dans les pays étaient exclusivement réservés pour la vaccination de routine dans le cadre du programme élargi de vaccination », dit-il.

"Les producteurs de vaccins et d'anatoxines veulent avoir des garanties que leurs investissements pour augmenter leurs capacités de production se traduiront par une hausse des commandes au long cours, sinon l'investissement ne vaut pas le coup "Julien Potet, MSF

Par contre, MSF et l'Organisation mondiale de la santé (OMS) disposaient d'un stock de secours d'antitoxines en mai 2023. « Malheureusement, ce stock de secours était de taille bien insuffisante », regrette Julien Potet qui s'exprimait le 29 avril à la faveur d'une conférence de presse en ligne organisée par MSF sur cette épidémie.

Selon les explications de cet expert, la pénurie d'antitoxine diphtérique se situe dans un contexte particulier. Ce médicament biothérapeutique est produit à partir du plasma de chevaux et il y a aujourd'hui trois producteurs agréés dont deux seulement sont capables de produire en grande quantité.

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Seulement, dit-il, ces producteurs sont réticents à l'idée d'investir dans de nouveaux chevaux juste pour produire davantage de doses pendant un ou deux ans, le temps que durera l'épidémie.

Ainsi, relève Julien Potet, « les producteurs veulent avoir des garanties que leurs investissements pour augmenter leurs capacités de production se traduiront par une hausse des commandes au long cours, sinon l'investissement dans de nouveaux chevaux ne vaut pas le coup, selon eux ».

En revanche, la situation « est un peu meilleure » pour les vaccins avec pas moins de cinq producteurs préqualifiés pour le vaccin ; même si ces derniers fonctionnent quasiment en flux tendu pour servir le marché de la vaccination de routine.

Faible couverture vaccinale

Et pourtant, la présente épidémie de diphtérie est due à une faible couverture vaccinale, déclare Djeneba Thiam, biostatisticienne et responsable de la surveillance épidémiologique en Afrique de l'Ouest et du Centre au bureau de MSF à Dakar (Sénégal). « Seulement 24 % des cas confirmés avaient reçu deux doses de vaccin, ce qui est très peu », indique-t-elle.

« Il était connu que le taux de couverture de la vaccination de base contre la diphtérie, c'est-à-dire le fait que les enfants aient reçu au moins trois doses de vaccin, était très bas », renchérit Julien Potet.

« Non seulement cela, les données avancées par les ministères de la Santé au Nigeria, au Niger ou en Guinée avaient mis en évidence de nombreuses zones avec des taux de couverture inférieurs à 40 % depuis plusieurs années », déplore ce dernier.

En outre, dit-il, des études sérologiques indépendantes avaient confirmé une faible protection à l'échelle de la population. « Ce genre de données devaient rapidement susciter le lancement d'une campagne de rattrapage vaccinale avant même que les premiers signes d'une épidémie ne se montrent. Malheureusement, cela n'a pas pu avoir lieu », regrette l'expert de MSF.

Conséquences : 79 % des cas et 71 % des décès ont été enregistrés au Nigeria. Dans les détails, 35 324 cas suspects, plus de 17 000 cas confirmés et 923 décès ont été signalés dans ce pays depuis le début de l'épidémie en mai 2022, précise Djeneba Thiam.

Au Niger, des cas sporadiques sont apparus en 2021, suivie d'une flambée depuis 2022. Entre 2023 et les 15 premières semaines de cette année, 4 875 cas suspects ont ainsi été notifiés pour 296 décès. Quant à la Guinée, explique Djeneba Thiam, 2 240 cas suspects et 78 décès ont été enregistrés en 2023 et 2 709 autres déjà en 2024, dont 16 décès.

Stocks de secours

Le Cameroun, pays qui partage pourtant plus de 1000 km de frontière avec le Nigeria, n'est pas vraiment concerné par cette épidémie en ce moment. Jean Taguebue, pédiatre et infectiologue en service au Centre mère et enfant de la Fondation Chantal Biya à Yaoundé, a une explication...

Il rappelle tout d'abord qu'autrefois, la vaccination contre le tétanos administrée aux femmes enceintes, contenait juste le vaccin antitétanique.

Or, « il y a presque dix ans, nous avons proposé d'ajouter à cette vaccination une petite dose de vaccin antidiphtérique pour protéger à la fois la femme enceinte contre le tétanos et contre la diphtérie au même moment qu'on lui faisait ses rappels de vaccination pour protéger le nouveau-né. Cela a été fait », affirme l'infectiologue.

« Quand la diphtérie va rencontrer une dame qui a été vaccinée et qui a accouché ces dernières années, elle ne va pas transmettre la maladie. C'est une petite protection. Je ne pense pas que tous les pays africains l'ont fait... », soutient Jean Taguebue.

Aussi MSF appelle-t-il les Etats à mettre en place une vaccination de rappel contre le tétanos et la diphtérie, ainsi qu'à constituer pendant les périodes interépidémiques un véritable stock de secours de vaccins et d'antitoxines. En s'inspirant des stocks d'urgence de vaccins qui existent contre le choléra, la fièvre jaune ou Ebola.

L'organisation préconise enfin la constitution de fonds d'urgence pour aider les pays à faire face à des épidémies, à l'instar de celle de la diphtérie.

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