Crédits carbone, certificats de lutte contre la déforestation... Les instruments financiers créés pour protéger les forêts afin qu'elles absorbent plus de CO2 n'ont pas vraiment permis de préserver ces écosystèmes et les populations qui y vivent, selon une étude publiée lundi.
Ce rapport, coordonné par l'Union internationale des instituts de recherches forestières (IUFRO) qui synthétise plus de 10 ans de recherches, est présenté au 19e Forum de l'ONU pour les forêts qui s'est ouvert lundi.
Les projets de protection des forêts basés sur des mécanismes de marché n'ont permis que des progrès "limités" pour stopper la déforestation et ont parfois renforcé les inégalités économiques, affirme l'IUFRO, qui rassemble 15.000 scientifiques issus de 120 pays.
Les auteurs du rapport préconisent de "repenser radicalement" ces instruments qui pourtant se multiplient, présentés comme des moyens efficaces pour lutter contre la déforestation, limiter le réchauffement climatique et améliorer les conditions de vie des populations locales.
Les projets permettant de protéger les forêts de la déforestation ou d'améliorer leur gestion pour qu'elles absorbent plus de CO2 sont souvent menés dans des pays en développement, avec le risque que les populations locales soient exploitées ou chassées de leurs terres alors qu'une partie des revenus ainsi générés est censée leur revenir.
Pour chaque tonne de CO2 absorbée en plus par une forêt grâce à un projet, une entreprise peut acheter un crédit carbone lui permettant de compenser ses émissions.
"Le scenario gagnant-gagnant, voire triple gagnant avec des bienfaits pour l'environnement, l'économie et les populations, ne se retrouve pas sur le terrain", explique Maria Brockhaus, chercheuse à l'Université de Helsinki qui a contribué au rapport.
"Au contraire, dans certains cas, la pauvreté et la déforestation persistent (...) là où les instruments financiers sont parfois les seuls mesures mises en place depuis des décennies", affirme-t-elle à l'AFP.
Depuis la dernière évaluation de l'IUFRO en 2010, l'organisation a noté une multiplication de ces outils financiers, "avec des acteurs souvent plus intéressés par des profits à court-terme que par une gestion juste et durable des forêts".
Selon l'autrice principale, Constance McDermott, chercheuse à l'Université d'Oxford, tous les projets ne sont pas mauvais "mais dans l'ensemble il est difficile de dire que c'est un succès retentissant".
Un projet de 120 millions de dollars destiné à empêcher de la déforestation en République démocratique du Congo a par exemple "renforcé les intérêts déjà établis" en restreignant l'accès des populations à la forêt sans se préoccuper des abattages par de puissantes entreprises locales.
En Malaisie, une entreprise de plantation soutenue par des fonds étrangers avait promis à des communautés indigènes de meilleures conditions de vie contre des droits sur leurs terres, mais ces communautés n'ont finalement reçu aucun bénéfice, selon le rapport.
"Les gains sont souvent encaissés ailleurs", ajoute Maria Brockhaus.
Au Ghana, les taux de déforestation ont augmenté malgré l'instauration de règles sur la production de cacao durable et des projets de crédits carbone, alors que les producteurs locaux gagnent moins qu'il y a quelques décennies, abonde Constance McDermott.
Malgré des scandales à répétition ayant révélé l'inefficacité des crédits carbone liés à la protection des forêts, ces outils sont toujours considérés comme un marché d'avenir, qui pourrait passer de deux milliards de dollars par an à plusieurs centaines d'ici 2050.
Les acteurs du marché ont proposé des améliorations méthodologiques pour essayer de mesurer l'intégrité des crédits qu'ils vendent mais, pour de nombreux chercheurs, les garanties de protection des populations ne sont pas suffisantes.
L'accord de Paris prévoit l'entrée des Etats sur ce marché contesté mais les règles du mécanisme qui leur permettra de s'échanger des crédits carbone n'ont pas encore été définies.
L'organe onusien chargé de superviser ce futur mécanisme a toutefois annoncé vendredi la mise en place d'une nouvelle procédure permettant aux populations habitant sur des territoires concernés par ces futurs crédits carbone de déposer des recours s'ils s'estiment lésés par ces derniers.