Le président de la République vient de publier, dans la mouvance de la célébration le 24 mars 2024 du 39e anniversaire du Rassemblement démocratique du peuple camerounais ( RDPC, au pouvoir), une nouvelle édition de son livre Pour le libéralisme communautaire, publié pour la première fois en 1987, et objet d'une « nouvelle édition revue et actualisée » en 2018. Officiellement, il s'agit « d'évaluer le passé de manière lucide et de s'inscrire résolument dans son temps pour que triomphe le Cameroun ». À un peu plus d'un an, de l'élection présidentielle, pour laquelle Paul Biya, 91 ans, entretient un certain suspense quant à sa candidature.
En dehors de Paul Biya, qui mieux que les éditeurs, pouvait valablement décliner l'objectif de la publication d'une nouvelle édition du « Livre-programme » du président camerounais ? « L'illustre auteur, qui se caractérise par le dynamisme de sa pensée et de son action, a bien voulu procéder à la relecture et à la refonte de son livre-programme, en vue d'une nouvelle édition. Il a choisi de confronter ses analyses et ses propositions au temps qui passe et au temps qui vient, pour consolider sa contribution à la pensée et à l'action de développement », révèle la « note » introductive.
Ces indications, que l'on doit aux éditions Favre, confèrent tout son sens au sous-titre du livre, et le distinguent nettement des précédentes éditions publiées en 1987 et 2018 : « Une pensée dynamique à la mesure des temps présents ». Selon Luc Sindjoun, politologue respecté, et conseiller spécial du président Biya : « C'est la preuve d'une attitude intellectuelle qui intègre la critique et l'autocritique. Ce sous-titre à lui tout seul définit le libéralisme communautaire par rapport aux temps présents, non pas comme une pensée "néopathe" attirée de manière obsessionnelle par la mode, mais plutôt comme une pensée permettant de comprendre notre temps et d'agir de manière conséquente face aux défis de diverses natures (politique, économique, militaire écologique, etc. »
À certains égards, la nouvelle édition de Pour le libéralisme communautaire, laisse apparaître de la part de son auteur, « [...] une vision lucide et [...] une action méthodique d'amélioration, substantielle de conditions, du cadre et de la qualité de la vie des Camerounais », ajoute l'universitaire et proche collaborateur du chef de l'État camerounais. Et ceci, alors même que des avis critiques sur la mise en oeuvre du projet de société contenu dans l'ouvrage de Paul Biya, ne manquent pas. « L'espoir porté par Pour le libéralisme communautaire a depuis longtemps disparu, à tel point que l'avenir des jeunes Camerounais semble compromis.
Le problème se situe au niveau du gap démesurément grand entre le projet de société et sa mise en oeuvre. La mal-gouvernance désormais institutionnalisée a eu raison des belles promesses contenues dans l'ouvrage. Les narratifs du président-architecte ou du président-sauveur dont cet ouvrage contribuait à la construction ne portent plus. L'âge avancé de l'homme-président, la bataille à mort que se livrent les associés-rivaux autour de lui rendent suicidaire toute confiance en la réalisation de Pour le libéralisme communautaire », pointe le politiste Joseph Keutcheu de l'Université de Dschang (Ouest-Cameroun).
Publication fortuite ?
L'option de publier une nouvelle édition du livre-programme de Paul Biya en cette année préélectorale est-elle pour autant fortuite? Nombreux sont ceux qui en doutent. « À l'approche de grandes échéances électorales comme l'élection présidentielle de 2025, les discours et postures des acteurs politiques changent de façon très marquée. Les narratifs des entreprises politiques sont renouvelés. Rien de véritablement nouveau donc dans la réédition de l'ouvrage ici discuté. Dans ce théâtre politico-médiatique, le choix de la réédition n'a rien d'anodin. Il procède prioritairement d'une volonté d'agir directement sur l'opinion publique - parfois plus que sur l'adversaire - en reconfigurant sa perception des choses ou des situations en cours », analyse le politiste.
De fait, même si la parution de la version revisitée de Pour le libéralisme communautaire, semble n'avoir pas suscité un grand enthousiasme, même dans les rangs du RDPC, elle intervient dans un contexte politique particulier.
Les élections législatives, municipales et présidentielle, sont censées se tenir en 2025. Mais le calendrier électoral est en attente de clarification. Des sources crédibles n'envisagent que l'organisation du scrutin présidentiel. Le président Paul Biya, 91 ans, dont 42 au pouvoir, entretient une certaine ambiguïté sur son éventuelle candidature à cette compétition électorale. À coup de déclarations énigmatiques.
« Le Cameroun est dirigé conformément à sa Constitution. Selon cette Constitution, le mandant que je mène a une durée de sept ans. Alors, essayez de faire la soustraction et vous saurez combien de temps il me reste à diriger le pays. Mais autrement, quand ce mandat arrivera à expiration, vous serez informés sur le point de savoir si je reste ou si je m'en vais au village », déclarait-il en 2022, en réponse à la question de savoir s'il comptait briguer un nouveau mandat au terme de celui de sept ans, qui court depuis 2018.
Entre temps, dans une atmosphère de luttes à mort à l'intérieur du système dont certains analystes croient savoir qu'il fonctionne en mode « fin de règne », le nom du fils du chef de l'État, Franck Emmanuel Biya, officiellement soutenu par de mystérieuses associations, est évoqué parmi des éventuels candidats, pour sa succession. Les dénégations émises par l'intéressé, sous couvert de respect des textes du RDPC, n'ont manifestement pas mis fin aux polémiques sur ses ambitions réelles.
Pour sa part, le parti présidentiel ne se prive pas d'éloges pour son champion, comme les observateurs ont pu le noter, avec la diffusion récente, à grand renfort de publicité, d'un documentaire à la gloire de l'actuel chef de l'État, intitulé « Paul Biya, un grand homme d'État au destin prodigieux ». Le RDPC opère aussi par clarification. Les hiérarques de la formation politique de Paul Biya rappellent avec insistance les dispositions des textes de base, en l'occurrence l'article 27 des « Statuts », qui dispose que le président national « est le candidat du parti à l'élection à la présidence de la République ».
De même, plus que par le passé, le parti au pouvoir a fait de l'inscription de ses militants et sympathisants sur les listes électorales, un point d'action majeur pour 2024. Par ailleurs, la vie du RDPC est rythmée depuis de longs mois, par de nombreux « appels » adressés à son président, pour qu'il se présente à l'élection présidentielle de 2025.
Sur ce dernier point, les usages sont connus depuis 1992, date de la toute première élection présidentielle de l'ère multipartiste. Le scénario est invariablement le même : le président Biya, attend son heure, pour « accepter » de se déclarer candidat, en réponse aux « appels » accumulés dans le temps. L'histoire va-t-elle se répéter ?