Rentrer dans un personnage de femme forte au parler cru. Une femme qui s'affirme et qui n'a pas peur de le faire savoir. C'est la thématique d'«Oze», le nouveau cinq-titres de Mélanie Pérès. À découvrir en live, ce soir, au Festival La Isla 2068, au Château Labourdonnais.
Bûcher pendant un an sur des cours menant à un mastère à l'université de La Réunion. C'est ne plus être la même au départ qu'à l'arrivée. Surtout après avoir bouclé le programme en un an, quand d'autres en mettent deux.
La métamorphose chez Mélanie Pérès est tout ce qu'il y a de plus audible. Loud, diraient certains. Tant pis pour les esprits étriqués, pour les coincés et les faiseurs de promesses de tout poil. L'artiste clame: «Pas de time pou sa.»
Pas de temps à perdre. Son énergie créative, elle la canalise vers une nouvelle phase d'évolution. Un album-concept de cinq titres intitulé «Oze». Sorti le jeudi 9 mai, il est disponible sur les plateformes de téléchargement.
Cinq titres qui nous font basculer dans un univers techno-voix. Ne cherchez pas la chanson-titre «Oze». Il n'existe pas. C'est le concept de cette démarche artistique, qui va dans le sens de l'audace, de l'impudence. Labous sal. Pour assener des vérités. Un exercice de lâcher-prise, qui lui a «coûté pas mal», confie-t-elle. «Mais ma mission est accomplie parce que cela fait réagir les gens.»
Ce que Mélanie Pérès ose, c'est l'affirmation d'un personnage féminin fort en gueule, fort en convictions. En cinq chansons, nous tombons nez à nez avec un personnage kare kare. Sans concessions. «Si to ankor dan zip to mama/Pa gagn letan pou al fatig mwa», dit la chanson Mo attract. Le dernier titre, Kan vini vinn drwat, lance la boucle : Mo bien kare (...) Monn ase bes lizie. Histoire d'enfoncer le clou.
Cette force, cette rage, «a tout le temps été chez la femme, mais elle a été amoindrie au fil du temps. C'est l'heure de faire sortir tout ça», affirme Mélanie Pérès. «Pour reprendre la place qui nous revient.» Elle s'inscrit dans une mouvance où de plus en plus de femmes libèrent leur parole pour «dire les choses telles qu'elles sont. Cela se fait beaucoup dans la musique en ce moment». Mélanie Pérès parle de la Réunionnaise Maya Kamaty comme de «l'exemple que nous avons de plus proche mais il y en a tellement d'autres que je suis allée écouter». Elle cite aussi Gotopo et Shygirl, entre autres.
Cette inspiration/transpiration a été travaillée pendant une résidence artistique, en mai 2023, à La Réunion, avec le beat breaker Be Bass. À l'époque, Mélanie Pérès est au beau milieu de ses questionnements académiques sur le «ghetto kreol à Maurice. Comment ce parler du ghetto kreol nourrit la langue». Elle estime que le moment est alors venu de faire sortir ce ghetto kreol «de la bouche d'une fille». Artistiquement, elle souhaite négocier un virage à la corde. «Je ne voulais pas refaire les mêmes choses en rentrant à Maurice.»
Par le biais du producteur Jimmy Veerapin, de Culture Events, le contact est établi avec Be Bass. Pour un «long travail avant d'arriver à ce personnage». Celui qui module sa fureur de vivre sur «Oze». «Jusqu'aujourd'hui, j'apprends à rentrer dans ce personnage», confie l'artiste. Un personnage qui n'est pas frileux question gros mots. Et qui balance dans «Vander», le morceau d'ouverture :
«Bann vander rev
Zot nek rass bouse manze
Apre zwe sin
Ar bann etranze
Zot deklar pli bel patron
Si tir tou sa res lapo kinton
Sanse sov ras kouyon
Pe pran ti dimounn pou enn bann boufon
Nou nepli ena letan
Nou gagn kont ki zot roulman
Ki pe krwar pe koz ar zanfan ?
Fode ena nou pou zot res divan»
En intro, «Oze» joue une bande-son de nos vies. Quelqu'un frappe à différentes portes. Quand la première s'ouvre, on entend sur fond de brouhaha, la phrase : «I order you out.» Suivie d'une déclaration restée dans les annales : «Vacoas pou vinn enn Manhattan.» Mélanie Pérès affirme : «Je voulais vraiment attirer l'attention sur tous ces classiques. Dire qu'il faut arrêter de nous prendre pour des cons.» Mise en contexte avant que ne démarre le titre «Vander». Car la techno-voix de Mélanie Pérès se veut chanson «engagée». Pour, en cinq morceaux, parler de politique, de féminisme, de société. Pour danser sur le beat. Tout en se laissant porter par le texte.
Équilibre entre l'artistique et l'académique
Mélanie Pérès a obtenu son mastère en linguistique et littérature de l'université de La Réunion fin 2023. Elle vise l'équilibre entre ses activités artistiques et académiques. Elle sera parmi les enseignants, qui assureront le Kour Kreol Morisien, qui démarre aujourd'hui à l'université de Maurice. Avant d'entamer un doctorat.
Be Bass, le complice de l'ombre
Avec le beat breaker réunionnais Be Bass, c'est un total de 24 chansons qui ont été conçues par Mélanie Pérès. Un répertoire que l'on pourra entendre, ce soir, au Festival La Isla 2068, au Château Labourdonnais. «Mélanie Pérès est côté soleil, moi je suis côté lune. Je viens du métal avant d'aller dans l'électro, tout en gardant l'influence du métal», explique Be Bass. «Je l'ai emmenée du côté dark.» Son travail a été de lui proposer des «sentiments nouveaux, un autre moyen d'expression».
Chansons qui ne passent pas à la radio
Dire les choses comme elles sont passe par des noms d'oiseaux, pour le nouveau personnage musical que s'est créé Mélanie Pérès. Sauf que les chansons où claquent des jurons ne sont pas diffusées. C'est ce qui s'est passé jeudi, sur les ondes d'une radio privée, où la chanteuse présentait son album-concept. «Cela en dit long sur la liberté d'expression. Il y a des jurons qui passent en français ou en anglais parce que beaucoup de personnes ne les comprennent pas. Mais quand c'est en kreol et que les claques sont données, c'est censuré.»