Le Tchad vient de réussir, quoiqu’on puisse dire, son élection présidentielle le 06 Mai 2024, au terme d’une transition qui a duré 2 ans. Cette année le Tchad réalise son point d’achèvement de la transition bien avant, la Guinée, le Mali, le Niger et le Burkina qui s’étaient engagés dans des délais, qui le moins qu’on puisse dire, sont aujourd’hui compromis.
Les résultats provisoires annoncés ça et là au Tchad, en attendant la proclamation du Conseil constitutionnel, annoncent une victoire au premier tour de Mahamat Idriss Déby Itno, avec 61% des suffrages valablement exprimés, devant son challenger et ancien premier ministre Succès Masra, qui a obtenu 18,53%.
De ce point de vue il n’y aura donc pas de second tour, qui aurait pu faire de Albert Pahimi Padaké avec ses 16, 91%, l’ancien 1er Ministre du Président Idriss Déby, l’arbitre de la confrontation qui semblait inéluctablement, selon certains observateurs, se dessiner entre Mahamat Idriss Déby et Succès Masra.
Avec un bon taux de participation de 75,89%, le scrutin revêt au demeurant un caractère largement participatif, c’est incontestable. C’est ce qui donne d’ailleurs aux résultats qui seront proclamés un cachet assez significatif du vote des tchadiens, quoiqu’ici et là on relève des contestations de la part des autres candidats malheureux.
Le fait est important et mérite d’être salué. Toutefois il faut noter que les événements qui ont précédés ces deux dernières années la vie politique au Tchad n’ont pas été sans conséquence sur la mobilisation des tchadiens et surtout autour de Succès Masra, le leader charismatique de l’opposition, et très populaire au niveau des jeunes.
Il reste entendu que jusqu’à présent, les scores des candidats n’ont pas été validés par le Conseil Constitutionnel. Mais il y a d’ores et déjà un autre fait qui dans tous les cas de figure a infléchit la courbe de popularité de Succès Masra et qui semble « valider » son score de challenger. Pour avoir choisi de rejoindre Mahamat Déby et d’être sous ses ordres comme premier Ministre, Succès Masra a compromis ses chances de succès. Pour ses partisans comme pour les autres acteurs politiques, la raison fournie n’a pas convaincu. Après le nombre de morts qu’il ya eu, une autre issue était attendue. Aujourd’hui, malgré la surenchère de contestation des résultats provisoires, tout semble accréditer l’idée d’une obsession du pouvoir de la part de Masra , qui passe ainsi par pertes et profits les nombreux morts ( le bilan macabre varie encore) pour diriger le gouvernement de Déby . Les plus tranchés y ont vu un scénario de deal avec Déby, qui veut rester au pouvoir drapé d’une « nouvelle » légitimité élective et démocratique.
Si tel est le cas, un large boulevard s’ouvre aujourd’hui devant Mahamat Déby vers l’exercice d’un mandat frappé d’une « clause d’éternité ».
Masra serait alors le plus grand perdant dans la future reconfiguration de l’espace politique. N’oublions pas cependant que seul 1,56% le sépare de l’autre premier ministre candidat, Albert Pahimi Padaké. Tout porte à croire qu’une alliance Déby/Padaké mettra hors de course Masra, en tout cas pour ce mandat qui va courir. C’est dans l’ordre du possible, si l’on sait que Padaké a été 1er ministre de Déby père.
Toutefois, la mise à l’écart de la gestion des affaires de celui qui porte les espoirs d’une écrasante majorité de la jeunesse, ne serait pas sans conséquence dans un pays ou 50% de la jeunesse à moins de 30 ans, et où 45% de la population vie sous le seuil de pauvreté.
Un gouvernement de large rassemblement peut certes ne pas être la panacée au regard des résultats provisoires, mais il pourrait donner au Tchad le peu de stabilité, et de respiration, dont il a besoin, pour se remettre au travail, car il y a des attentes qui se font jour et dans l’urgence. De nouvelles retrouvailles entre Masra et Déby ne sont pas à exclure de ce point de vue.
S’il s’y ajoute que le pays riche en pétrole n’a pas encore pu exploiter ce gisement pour augmenter la prospérité des populations, la pression sera forte sur le pouvoir. Les foyers de risque autour du pays existent, notamment la tension au Soudan du Sud très proche, les pays de la bande du sahel qui ont fini de se présenter comme une « menace » relative (effet contagion des militaires), pourraient induire ou provoquer un infléchissement diplomatique dans un sens que certains qualifient de « souverainisme » plus populiste que réaliste, vers la Russie ou Déby s’est rendu récemment, ou vers les pays de l’Alliance des Etats du Sahel ( AES).
Rien n’est moins sûr.