L'Arrêté n°006632, «portant création d'une Commission ad hoc chargée du contrôle et de la vérification des titres et occupations sur les anciennes et nouvelles dépendances du Domaine Public Maritime (DMP) dans la région de Dakar», pris le 13 mai 2024 par le Premier ministre Ousmane Sonko, apparaît comme une réponse aux préoccupations d'acteurs spécialistes du foncier et juristes.
En effet, invité de l'émission «Sortie» sur la RTS1, le dimanche 28 avril 2024, l'architecte Pierre Goudiaby Atépa a annoncé que, sur instruction du président de la République, Bassirou Diomaye Diakhar Faye, tous les travaux de construction sur la corniche de Dakar et la bande des filaos de Guédiawaye ont été arrêtés. Revenir sur le modus operandi pour l'appropriation privative du foncier du littoral par quelques privilégiés, dans des conditions scandaleuses, l'architecte déclare : «On l'achète à 2 450 FCFA le m2 ; on se fait octroyer un bail ; on prend le même terrain, on s'organise pour le faire déclasser et le transformer en titre foncier. Ils prennent ce titre, ils l'amènent à la banque. La banque leur donne l'équivalent d'au moins 1 million de FCFA le m2. Ils le revendent à 1,5 million le m2. C'est scandaleux», dénonce-t-il.
Une mesure qui sera confirmée par le Directeur général de la Surveillance et du Contrôle de l'Occupation des Sols (Dscos), le lendemain, lundi 29 avril dernier, puis par le gouvernement à travers une circulaire du ministre des Finances et du Budget adressée au Directeur général des Impôts et Domaines. Cette mesure de suspension des travaux, élargie à d'autres localités de l'intérieur du pays dont Mbour 4, sera validée par le président Bassirou Diomaye Diakhar Faye, lors d'une visite surprise sur ce dernier site à Thiès, une semaine après. Cependant, la décision des nouvelles autorités avait suscité des réactions diverses chez des acteurs et autres spécialistes qui, tout en appréciant positivement l'intention jugée «noble», s'interrogent sur la démarche qui pose de sérieux problèmes quant à la légalité et l'équité de la mesure. D'où la nécessité de l'encadrer.
La privatisation du littoral, avec les constructions sur la corniche, a toujours été dénoncée par les citoyens. En 2020, les travaux de construction d'immeuble au pied du Phare des Mamelles avait soulevé l'ire de plus d'un, y compris les riverains et les défenseurs du littoral. Le promoteur qui brandissait un titre de bail datant du 9 avril 2020, avait été stoppé par la révolte du collectif «Touches pas aux terres du Phare des Mamelles», qui s'était érigé en bouclier contre la dégradation de ce site historique.
Et face la forte pression, le président de la République d'alors, Macky Sall, en Conseil des ministres du 10 juin 2020, a donné instruction au ministre des Finances et du Budget, celui des Collectivités territoriales et au ministre de l'Intérieur de «veiller au respect des règles de gestion foncière au plan national..., la mise en place d'un "Plan global d'aménagement durable et de valorisation optimale du littoral national" et de veiller, sur l'étendue du territoire, à l'application rigoureuse des dispositions du Code de l'urbanisme et du Code de la construction». Une directive présidentielle restée en l'Etat. D'ailleurs, alors opposant, Ousmane Sonko, avait déjà promis d'arrêter toute cette poussée vertigineuse de bâtiments le long du littoral, une fois au pouvoir.
Au-delà de la corniche, la façade maritime de Yoff à Tivaouane Peulh est également concernée par le fléau, notamment la bande des filaos de Guédiawaye. Ainsi, le jeudi 13 avril 2023, le sous-préfet de l'arrondissement des Almadies, Papa Serigne Niang, avait ordonné la suspension des travaux de construction sur le littoral de Diamalaye, à côté de l'arrêt des bus Tata, dans la commune de Yoff, pour absence d'autorisation de construire approuvée par l'autorité administrative et risques réels de troubles à l'ordre public liés à des menaces d'affrontements entre les habitants du quartier et le promoteur.
De même, déclassée par le président Macky Sall, pour un programme dit «d'utilité publique», la bande des filaos de Guédiawaye a été morcelée en parcelles attribuées à des tiers, au grand dam des populations. L'Association pour la justice environnementale (AJE) a déposé un recours en annulation à la Cour Suprême du décret présidentiel portant déclassification de cette forêt côtière. La haute juridiction, lors de son audience du 25 avril 2024, a décidé d'instruire le dossier.