Ile Maurice: Budget 2024-2025 - Le dernier virage avant les élections

La publication lundi du writ de la partielle pour la circonscription n°10 (Montagne-Blanche-Grande-Rivière-Sud-Est) le 9 octobre, suite à la démission de Vikram Hurdoyal du MSM le 13 février, constitue la deuxième étape, après le meeting test du 1er-Mai, qui inexorablement s'acheminera vers les élections générales.

Car, à moins d'être naïf tout le monde a compris qu'il y a une chance sur un million que la majorité gouvernementale organise cette partielle. Cependant, le calendrier électoral deviendra plus clair après la présentation du cinquième et dernier Budget de cette législature par Renganaden Padayachy, fort probablement la première semaine de juin.

Ce dernier exercice budgétaire revêt une importance capitale pour le gouvernement sortant, qui doit jouer son va-tout avec un emballage populiste, voire électoraliste, pour vendre sa marchandise. Entre l'annonce publique des 20 mesures phares de l'alliance de l'opposition Parti travailliste-Mouvement militant mauricien-Nouveaux Démocrates (PTr-MMM-ND) et la rédaction des grands axes de ce Budget, le ministre des Finances et ses techniciens devront surpasser l'offre du tandem Ramgoolam-Bérenger en faisant preuve d'imagination créative pour identifier une série de mesures qui vont faire rêver les différents segments de la population, sans toutefois sombrer dans la démagogie facile. Cela, au risque de faire exploser la dette publique déjà en hausse de Rs 40 milliards pour les neuf mois de la présente année fiscale 2023-24.

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Qu'on le veuille ou non, les 20 mesures de l'alliance PTr-MMM-MD, annoncées le 1eᣴ-Mai, ont été largement discutées, analysées, décryptées, voire comparées, par des spécialistes, des dirigeants politiques de toutes les formations ainsi que par les syndicats. Tant mieux. Toutefois, outre les mesures qui ont fait l'objet de débats, telles que le congé de maternité d'une année, la gratuité des transports en commun ou encore l'admission en HSC pour des élèves jusqu'à trois credits , d'autres propositions liées aux réformes institutionnelles et à la redynamisation du secteur agricole et de l'élevage par le biais d'investissements massifs n'ont hélas pas eu suffisamment d'écho auprès des experts et des autres stakeholders , vu qu'elles sont loin d'être populistes.

Padayachy souhaite promouvoir la continuité dans le cinquième Budget de l'Alliance Morisien, cela, «pour répondre aux attentes de la population ainsi qu'aux attentes des opérateurs» . C'est une démarche salutaire, dira-t-on. Cependant, sans pour autant s'interroger sur l'ADN politique, «qui demeure la revalorisation du capital humain et la réduction des inégalités socio-économiques» , la tentation sera grande de céder aux pressions populistes, occultant ainsi la responsabilité fiscale et laissant à son éventuel successeur un lourd fardeau économique avec une caisse pratiquement vide, comme cela a malheureusement été la caractéristique de tout gouvernement sortant depuis des décennies.

Si le ministre des Finances inscrit ce cinquième Budget dans la lignée des quatre précédents, doiton comprendre qu'il apportera dans son bilan économique de cinq ans des solutions concrètes aux grandes problématiques ayant marqué son mandat ? Des problématiques qui vont, entre autres, de la baisse de compétitivité du pays d'environ 2,4 % en 2022 depuis 2019 au déficit chronique du compte courant (Rs 180 milliards en 2023), résultant de la baisse des exportations, de la dépréciation de la roupie face au dollar de 2019 à ce jour, en passant par les pressions sur la dette publique et un Produit intérieur brut (PIB) dont le chiffre serait jugé artificiellement élevé par certains économistes en raison d'une surestimation de la valeur des exportations.

Évidemment, il y a eu la crise du Covid en 2020. Mais peut-on tout attribuer à la pandémie pour justifier, par exemple, la cherté de la vie, considérée comme principale préoccupation des ménages aujourd'hui, la prolifération de la drogue dans chaque coin du pays et l'exode des jeunes professionnels de la finance vers des juridictions étrangères où, prétendent-ils, ils pourront trouver un emploi sans avoir besoin de prouver leurs liens avec le pouvoir, entre autres problèmes ?

Effritement du pouvoir d'achat

À la faveur d'une tournée dans les 20 circonscriptions du pays, réalisée ces jours-ci par la rédaction de l'express dans le sillage des prochaines élections générales, force est de constater que la principale préoccupation de la population, toutes classes sociales confondues, demeure l'effritement de son pouvoir d'achat, lié forcément à l'inflation et à une roupie qui a grandement perdu de sa valeur.

Résultat des courses : les prix augmentent à une vitesse vertigineuse dans les supermarchés, d'une semaine à l'autre. Impuissants, les ménages revendiquent des actions concrètes pour lutter contre la vie chère et retrouver leur pouvoir d'achat. Le premier baromètre politique Synthèse/l'express, réalisé en octobre 2023, avait déjà souligné cette urgence pour 79 % des Mauriciens interrogés.

Face à cette situation socialement précaire, on comprend qu'une frange de la population n'a pas les moyens de se rendre aujourd'hui dans des supermarchés, comme le souligne d'ailleurs l'économiste Pierre Dinan dans son interview dominicale de la semaine dernière. Le gouvernement peut bien sûr répliquer en énumérant toutes les mesures sociales accordées, allant de l'impôt négatif à l'augmentation du salaire minimum, en passant par la hausse des diverses prestations, dont la pension de vieillesse à Rs 13 500 pour les personnes âgées de plus de 60 ans.

Mais les économistes soutiendront qu'il s'agit là d'une illusion monétaire car, en réalité, avec une roupie qui s'est dépréciée lourdement, de près de 28 % depuis décembre 2019, et une inflation cumulée de 34 % depuis la même période, la population voit son pouvoir d'achat se réduire comme peau de chagrin.

Rajeev Hasnah, économiste, n'y va pas par quatre chemins pour soutenir que la décision de la Banque de Maurice en 2020 de faire tourner la planche à billets pour renflouer les caisses de l'État et soutenir l'économie à travers la Mauritius Investment Corporation (MIC) à hauteur de Rs 140 milliards est à l'origine de cette chute du pouvoir d'achat. «L'impression de billets est considérée comme une quasi- dette publique car, au final, ce sont tous les Mauriciens qui en paient le prix.»

Clairement, l'effet de cette intervention de la Banque de Maurice, renchérit Rajeev Hasnah, n'a fait qu'enflammer les risques inflationnistes, entraînant la dégringolade de la valeur de la roupie face aux devises étrangères, dont le dollar, et provoquant dans la foulée une flambée des prix. «Il faut comprendre que dans le prix d'un article de consommation courante aujourd'hui, presque 35 %, résulte d'une inflation cumulée depuis 2019. Un simple exemple : si un produit coûte aujourd'hui Rs 1 000, la part qui revient à l'inflation est de Rs 350», analyse l'économiste, expliquant ainsi pourquoi les personnes défavorisées ont du mal à joindre les deux bouts.

Cette situation risque malheureusement de perdurer car la monnaie locale souffre, à la base, d'une crise de confiance. «Il n'y a pas de solution magique. Il faut que tous les acteurs économiques croient en la nouvelle philosophie économique pour redonner confiance à la roupie», estime l'économiste.

La cherté de la vie demeurera incontestablement une thématique dominante de la présente campagne électorale. Nous saurons dans quelques jours quelle carte le magicien Padayachy retirera de son chapeau pour séduire davantage la population sur le front social et contraindre l'opposition à revoir sa copie.

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