Ile Maurice: Cocktails et agents explosifs

Bientôt quatre ans après son éclatement, l'affaire Soopramanien Kistnen continue à hanter le Parlement et va certainement dominer la présente campagne électorale.

Cette troublante affaire, qui touche aux moeurs et dépenses électorales, se révèle un cocktail explosif. Si Shakeel Mohamed a cru utile de revenir à la charge avec une deuxième PNQ sur la question, Pravind Jugnauth a, lui, compris qu'il ne doit plus tenter de défendre les agissements de son ancien agent ou de son colistier au numéro 8, mais doit surtout attaquer les coffres-forts de Navin Ramgoolam et le financement politique de son rival.

De toutes les explications macabres, pistes absurdes et autres hypothèses saugrenues mises en avant depuis le dimanche 18 octobre 2020, quand le corps en partie calciné de Kistnen a été retrouvé, l'express a surtout retenu l'éclairage du Dr Satish Boolell, médecin légiste rompu aux enquêtes policières, surtout celles qui ne tiennent pas la route.

Son expertise aiguisée au scalpel, sa longue expérience et pratique des Casernes centrales, son flair d'enquêteur nous ont permis de séparer, dans une large mesure, le concret du futile, et de mieux comprendre pourquoi la police a (assez maladroitement) tenté d'orienter l'enquête, dans un premier temps, vers un suicide, alors que pratiquement tous les éléments scientifiques pointaient clairement vers un meurtre de Soopramanien Kistnen - loin des champs de cannes de Telfair Square. C'est bien après que l'on a appris que le médecin légiste Ananda Sunnassee avait des liens de parenté solides avec des suspects de cette sordide affaire.

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L'affaire Kistnen ne peut que donner froid dans le dos. Elle expose un réseau obscur comprenant politiques, businessmen, hommes de loi, hommes religieux, policiers, médecins légistes, pseudo-enquêteurs et reporters, mis en place pour conditionner l'opinion publique et tenter de sauver un ex-ministre MSM de l'ignominie.

Or, les éléments qui sont remontés peu à peu à la surface, grâce à la détermination de la veuve Kistnen (qui a résisté à une campagne d'intimidation et de dénigrement), de la presse, des Avengers et du bureau du DPP, font voir que l'affaire Kistnen dépasse de loin le simple cadre d'un règlement de comptes entre politiciens. À tel point que le Premier ministre avait cru utile de préciser, dans un deuxième temps, qu'il n'avait jamais dit avoir fait une enquête sur l'affaire Kistnen et le rôle de Yogida Sawmynaden. Pravind Jugnauth avouera, bien plus tard, avoir «simplement rassemblé des éléments».

Si, au fil des actualités et des années, on a fini par s'habituer aux scandales impliquant des membres du gouvernement, l'on a définitivement franchi, avec l'affaire Kistnen, une ligne rouge, tant l'intrigue, la trame, les centaines de millions et les acteurs interpellent. Raison pour laquelle notre journal s'est intéressé à cette affaire bien avant qu'elle ne fasse la Une des journaux. Le Dr Boolell avait conclu qu'il n'y avait pas de blessure profonde au cou de Kistnen. Ce qui le pousse à conclure que si l'ex-agent du MSM a reçu un coup à l'aide d'un objet contondant à la nuque, le coup n'était pas assez fort pour le tuer, juste l'assommer. Mais comment est-il mort alors ? Réponse : «Probablement par asphyxie.» La réponse du Dr Boolell est loin des «explications sommaires du Dr Sunnassee» qui avait cité le passe-partout oedème pulmonaire comme cause possible de la mort...

Entre les séances lors de l'enquête judiciaire à Moka et les récits de presse, il y a, à n'en point douter, un dangereux mélange de menaces, d'intimidations, de faux documents, d'appels d'offres pour des équipements médicaux durant le confinement, avec la complicité experte de plusieurs ministères et de la State Trading Corporation, des compagnies, contrats et emplois fictifs, du trafic d'influence, de la corruption (petite et grande), de l'enrichissement illicite.

Ce n'est pas fini : il y a aussi comme ingrédients le rôle ambigu de la police et l'état des caméras de Safe City, les agissements des gardes du corps, les dessous-de-table, les instructions criminelles qui viennent pratiquement, selon la formule consacrée, toujours d'en haut, les élections et les moeurs électorales, une justice à deux vitesses, en bref, le condensé d'un pays à la dérive...

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La transition annoncée entre Shakeel Mohamed et Arvin Boolell comme leader de l'opposition est bien plus délicate qu'en apparence. Elle doit donc être opérée de la manière la plus souple possible. Les deux travaillistes sont bons amis et comprennent la sensibilité de ce fauteuil pour deux, d'une part vis-à-vis de leur leader et de l'autre par rapport à leur électorat respectif. Les attaques d'ordre communal du Premier ministre contre Shakeel Mohamed, lors du meeting du 1er-Mai, sont bien calculées. Elles visent à déstabiliser l'électorat du PTr dans les régions rurales en agitant Mohamed.

Au sein des Rouges, certains pensent qu'il faudrait protéger Shakeel Mohamed contre cette campagne communale, alors que d'autres pensent que Shakeel Mohamed est clairement en train de «deliver» et qu'il convient de lui laisser sa chance, du moins jusqu'à la présentation prochaine du Budget. Ramgoolam va trancher. Heureusement que Paul Bérenger, lui, n'a pas son mot à dire; il risque de compliquer la donne avec ses lunettes vieillies, teintées de communalisme scientifique.

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