New York — Ce refus d'entrée reflète l'intolérance à l'égard de tout examen du bilan du pays en matière de droits humains
Les services d'immigration au Rwanda ont refusé l'entrée sur le territoire à Clémentine de Montjoye, chercheuse senior au sein de la division Afrique de Human Rights Watch, lors de son arrivée à l'aéroport international de Kigali le 13 mai 2024, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui.
Clémentine de Montjoye, qui se rendait au Rwanda dans le cadre de réunions avec des diplomates d'ambassades étrangères, a été informée à son arrivée qu'elle n'était « pas la bienvenue au Rwanda » pour des « raisons liées à l'immigration » qui ne lui ont pas été communiquées, et la compagnie aérienne Kenya Airways a reçu l'ordre d'assurer son transport hors du pays.
« Si le Rwanda se targue d'être une destination ouverte et accueillante, le traitement qu'il réserve à ceux susceptibles d'enquêter sur des abus révèle la profonde hostilité de son gouvernement à tout examen indépendant sur la situation des droits humains dans le pays », a déclaré Tirana Hassan, directrice exécutive de Human Rights Watch. « Les autorités rwandaises ont ici l'occasion de montrer que leur ouverture affichée n'est pas qu'une façade, en autorisant Clémentine de Montjoye à retourner au Rwanda et à y effectuer son travail sans entrave ni ingérence ».
Clémentine De Montjoye, qui a la double nationalité française et britannique, avait informé le gouvernement rwandais de son intention de se rendre dans le pays et envoyé, le 29 avril puis le 7 mai, des demandes de réunions auprès du ministère de la Justice, l'interlocuteur de Human Rights Watch au sein du gouvernement. Ces demandes sont restées sans réponse. Human Rights Watch avait également contacté la présidente de la Commission nationale des droits de la personne (CNDP), qui avait répondu qu'elle était hors du pays. Elle n'avait pas répondu à une proposition d'organiser une rencontre une fois de retour à Kigali.
Human Rights Watch avait également informé les autorités rwandaises quand Clémentine de Montjoye s'était rendue au Rwanda, munie des mêmes documents de voyage, en juin 2022 et en août 2023. Elle n'avait alors pas eu de difficultés pour entrer dans le pays.
Lorsque Clémentine de Montjoye est arrivée dans la matinée du 13 mai, les autorités d'immigration ont confisqué son passeport. Elle a reçu l'ordre de prendre un vol retour vers Nairobi, au Kenya, le soir même, où son passeport lui a été rendu avec un document déclarant que l'entrée au Rwanda lui avait été refusée pour des « raisons liées à l'immigration ».
Ce refus d'entrée témoigne de l'intensification de l'offensive des autorités contre les droits humains à quelques mois des élections générales de 2024, a déclaré Human Rights Watch.
Human Rights Watch effectue des recherches sur la situation du Rwanda en matière de droits humains depuis plus de 30 ans, avant le génocide de 1994. Clémentine de Montjoye est la quatrième chercheuse de Human Rights Watch à être empêchée d'entrer au Rwanda. D'autres employés de Human Rights Watch ont subi un traitement similaire en 2008, en 2010 et en 2018. En janvier 2018, après qu'un chercheur de Human Rights Watch s'était vu refuser l'entrée dans le pays, un consultant rwandais travaillant pour Human Rights Watch avait été placé puis maintenu arbitrairement en détention pendant 6 jours, dont les 12 premières heures au secret.
Le refus d'entrée subi par Clémentine de Montjoye fait suite à la publication en octobre 2023 d'un rapport exhaustif de Human Rights Watch qui documente le ciblage systématique par le Rwanda de détracteurs et de dissidents au-delà de ses frontières.
Lors d'une session parlementaire réunie pour discuter de ce rapport, un membre du Front patriotique rwandais (FPR), John Ruku-Rwabyoma, a accusé Human Rights Watch de « ne jamais mettre les pieds au Rwanda » pour effectuer ses recherches. S'adressant directement à Human Rights Watch, il a lancé : « Osez donc venir ici, vous n'avez pas besoin de visa ... vous pouvez en obtenir un à l'aéroport ... Alors vous verrez le véritable Rwanda dont vous essayez de ternir l'image ».
Les autorités rwandaises s'efforcent depuis longtemps d'empêcher tout examen critique indépendant, y compris en refusant l'entrée dans le paysà un certain nombre de journalistes internationaux, en dénigrant des militants des droits humains et des journalistes rwandais, et en les soumettant à des poursuites judiciaires abusives. Plusieurs journalistes, détracteurs du gouvernement et activistes rwandais ont été tués ou ont été portés disparus dans des circonstances suspectes.
Ces derniers mois, le bilan du Rwanda en matière de droits humains a suscité l'attention de la communauté internationale. Son armée a joué un rôle de plus en plus importantdans le conflit armé qui se poursuit en République démocratique du Congo voisine, où elle fournit un soutien logistique et opérationnel au M23, un groupe armé responsable d'abus.
En dépit du bilan déplorable du pays en matière de droits humains, le Royaume-Uni maintient son projet d'envoyer des demandeurs d'asile au Rwanda, où il affirme, en totale contradiction avec les faits observés, qu'un examen indépendant des conditions de vie des personnes expulsées sera possible. Le refus d'autoriser l'entrée de Clémentine de Montjoye soulève une nouvelle fois des questions quant à l'obstination du gouvernement britannique d'envoyer des demandeurs d'asile vers un pays qui entrave aussi explicitement tout examen des droits humains et refuse d'autoriser l'accès d'enquêteurs spécialisés en droits humains, a déclaré Human Rights Watch.
Trente ans après le génocide de 1994, le gouvernement rwandais a accompli d'importants progrès du point de vue de la reconstruction des infrastructures du pays, ainsi qu'en développant son économie et en améliorant l'accès aux services publics. Il devrait reconnaître le rôle précieux que la société civile peut jouer et permettre un accès libre à ceux qui évaluent le bilan du pays en matière de droits humains.
Human Rights Watch reste engagé à mettre en place un dialogue avec les autorités rwandaises et demande un accès au pays pour ses employés, afin qu'ils puissent rencontrer des responsables gouvernementaux et faire leur travail, comme ils le font dans plus de 90 pays à travers le monde.
« La décision du Rwanda illustre à quel point il est nécessaire que la communauté internationale revoit son approche vis-à-vis du bilan du Rwanda en matière de droits humains, qui ne cesse de se détériorer », a affirmé Tirana Hassan. « Un gouvernement qui refuse l'accès à une employée d'une importante organisation de défense des droits humains n'est guère susceptible de cesser sa répression des droits humains sans une pression plus forte de la communauté internationale. Cet épisode va au-delà d'une tentative d'empêcher Human Rights Watch de travailler au Rwanda, il s'agit d'efforts flagrants de bloquer l' examen de la conformité du Rwanda à ses obligations internationales en matière de droits humains ».