Dakar — Le pillage des oeuvres d'art en Afrique est un "fait incontestablement historique" que le cinéma devait documenter, a estimé la réalisatrice franco-sénégalaise Mati Diop dont le film "Dahomey" est consacré à la restitution des oeuvres pillées au Bénin.
"Il me semblait fondamental que le cinéma s'empare et documente un fait aussi incontestablement historique", a-t-elle dit, jeudi, lors de la projection en avant-première de son film au Seanema Dakar, dans le cadre d'une sortie sénégalaise du film.
La cérémonie a été présidée par le secrétaire d'Etat à la Culture, aux Industries créatives et au Patrimoine historique, Bacary Sarr.
"Ce sujet de la restitution, estime Mati Diop, avait aussi besoin de toute cette dimension que le cinéma peut permettre à ce sujet."
Son film, "imminement politique", une docu-fiction d'une heure, met en exergue le point de vue de celles et ceux qui n'avaient pas été en réalité entendus sur ce sujet et qui sont, selon elle, pourtant les premiers acteurs et destinataires de la restitution.
Il s'agit, précise la réalisatrice de "Dahomey", de deux protagonistes du film à savoir ces statues et cette jeune génération héritière de ce patrimoine culturel pillé du temps de la colonisation par des troupes françaises, allemandes, belges, entre autres.
Sacré Ours d'or à la Berlinale (Festival international du film de Berlin), en février dernier, un trophée présenté au public dakarois, le film raconte le voyage retour des vingt-six trésors royaux du Dahomey rapatriés depuis Paris (France) vers leur terre d'origine, devenue le Bénin.
La voix des aphones
Mati Diop donne la voix à ceux qui étaient aphones jusque-là sur la question de la restitution, à l'image de ces "trésors" volés depuis 1892 par des troupes coloniales françaises et qui sont en exil au musée Quai Branly.
Dans une voix off, en langue Fon du Bénin, elle fait parler ces statues qui n'ont plus de nom, mais des numéros, à l'image du roi Ghézo avec le n°26 qui se plaint de sa vie en exil, loin de la terre natale à laquelle il a été arraché.
Dans une solennité et une atmosphère de requiem, les 26 oeuvres d'art sont rapatriées au Bénin où la question de leur emplacement intrigue avec un lieu où elles ne se retrouvent toujours pas.
Le débat sur l'appropriation de cet héritage postcolonial et du patrimoine culturel, un moment fort du film, soulève de nombreuses questions sur les relations des Africains avec leur patrimoine, la place des langues nationales, les politiques de sauvegarde de ces oeuvres d'art, et surtout, le discours à développer pour reconnecter ce patrimoine à ses héritiers.
"Comment redonner la vie à ces oeuvres d'arts ?". Là est la question qui interpelle tous, estime-t-elle.
C'est un défilé de personnalités, de gens anonyme venus de tous le Bénin et d'ailleurs pour célébrer le retour de ces "trésors"
Les étudiants insistent sur les seules 26 oeuvres d'art rendues sur les 7000 pillées au Bénin du temps de la colonisation très peu à leurs yeux du fait de l'ampleur des dégats
Son film ayant bénéficié du Fopica, Mati Diop encourage les autorités à accompagner et à soutenir les artistes.
Pour le secrétaire d'Etat à la Culture, Bacary Sarr, qui a transmis les félicitations du président de la République, Bassirou Diomaoye Faye, et du Premier ministre, Ousmane Sonko, à Mati Diop, ce film traite d'une question "cruciale", qui est la restitution des oeuvres d'art dont l'Afrique a été spolié.
"Ce sujet de haute portée symbolique a été traité selon une démarche qui allie réalisme narrative et liberté de formulation, donnant une dimension plus touchante, sensible et productive. Là se trouve le génie de la réalisatrice", a dit M. Sarr.
Il ajoute : "+Dahomey+ est un signe d'engagement, de prise de conscience et une direction d'action pour la souveraineté et la liberté. C'est aussi le sens du projet que porte le chef de l'Etat Bassirou Diomaye Faye, pour que soit recouvré la dignité".
Il a par ailleurs salué "les qualités professionnelles, d'excellence, de rigueur et de succès" de la réalisatrice Mati Diop, "une véritable lumière", selon lui.
L'idée du film "Dahomey" tourné entre la France et le Bénin, est née en 2021, selon la réalisatrice.