Mozambique: Terrorisme au pays - «La situation à Cabo Delgado est idéale pour que le trafic de bois précieux prospère»

interview

Une enquête publiée par l'ONG américaine Environmental Investigation Agency (EIA) met en évidence la participation des jihadistes affiliés à l'État Islamique dans le pillage des ressources naturelles dans le nord du Mozambique. Selon ce rapport, les shebabs, qui opèrent dans la province de Cabo Delgado, se financent en partie grâce à la coupe et à la vente illégale de bois précieux - qui alimente un trafic avec la Chine. Chaque jour, c'est l'équivalent de 1 000 terrains de foot de forêt qui disparaissent au Mozambique. Alexandra Bloom, analyste pour l'EIA et co-autrice de cette enquête, évoque le parcours de ce bois précieux. Entretien.

RFI : Alexandra Bloom, en quoi consiste le trafic qu'Environmental Investigation Agency décrit dans son enquête ?

Alexandra Bloom : Ces dernières années, on a vu une quantité impressionnante de bois précieux massif être exporté hors du Mozambique. On parle de plus de 500 000 tonnes par an en moyenne, dont 90% partent vers la Chine. Mais ce commerce s'inscrit en violation de la loi sur l'export du bois, entrée en vigueur en 2017 au Mozambique. Des sources nous ont même assuré que certains commerçants achètent le bois directement auprès des insurgés.

En fait, les jihadistes occupent des portions de forêt dans la région de Cabo Delgado, dans lesquelles ils prélèvent du bois, qu'ils vont vendre, parfois à travers un intermédiaire pour plus de discrétion. Ces troncs vont être amenés jusqu'à la ville de Montepuez où tout est mélangé : le bois vendu par les jihadistes, d'autres arbres coupés illégalement, mais aussi du bois prélevé sur des concessions légales. Tout ça est mis dans des containers, chargé sur des camions jusqu'aux principaux ports mozambicains, puis exporté en Chine.

Le rapport de l'EIA décrit un système sur lequel les douaniers mozambicains, la police et certains officiels ferment totalement les yeux, et dans lequel ils sont même parfois impliqués.

La situation à Cabo Delgado est idéale pour que ce trafic prospère. Il y a beaucoup de corruption autour du commerce de bois, et ça n'a rien d'unique. Nous avons enquêté sur une situation similaire, de conflit et de corruption autour du commerce de bois, au Sénégal et en Gambie, où certains groupes trafiquaient du bois de rose jusqu'en Gambie, où il était ensuite exporté vers la Chine également.

Vous évoquez aussi la responsabilité des compagnies de transport maritime. Que pourraient-elles faire de plus pour l'empêcher ?

Nous croyons fermement que les compagnies de fret maritime jouent un rôle crucial dans ce commerce illégal. La majeure partie du bois brut qui est exporté en Chine est transporté par des compagnies internationales très connues, comme Maersk ou CMA CGM. Donc, nous disons que ces compagnies devraient faire mieux, car ce ne serait pas si difficile de contrôler ces exportations, d'empêcher que les chargements illégaux prennent la mer et que ce trafic prospère. Sans même parler du fait que ces grandes compagnies n'ont pour l'instant aucun système en place pour identifier le bois issu de zones de conflit, dont la vente a pu financer des groupes terroristes.

Cabo Delgado: au moins 30% du bois extrait servirait directement à financer les activités jihadistes En décembre 2023, le gouvernement mozambicain a listé la vente de bois de rose comme l'une des sources de financement pour les jihadistes opérant dans le nord du pays et particulièrement dans la province de Cabo Delgado, l'une des plus densément boisée du Mozambique. « Les insurgés sont impliqués (...) dans le commerce illégal de drogue, de rubis, d'ivoire et de bois », relève ce document officiel.

Au moins 30% du bois extrait dans la province de Cabo Delgado servirait directement à financer les activités des jihadistes. La contrebande de bois et d'autres espèces protégées représenterait en moyenne 2 millions de dollars de revenus mensuel pour les insurgés, relève le rapport publié par l'EIA.

L'ONG s'est notamment entretenue avec des commerçants chinois peu scrupuleux, qui achètent du bois coupé illégalement, et dont les activités participent à la déforestation galopante des forêts du Mozambique.

Ces commerçants travaillent « depuis des années » main dans la main avec les autorités portuaires, note l'EIA. Ces officiels sont incités à fermer les yeux sur certaines cargaisons suspectes, en échange de généreux pots-de-vin.

L'ONG recommande au gouvernement Mozambicain de renforcer ses contrôles pour éviter la corruption et le blanchiment d'argent, et appelle la Chine à collaborer plus étroitement avec le gouvernement mozambicain, pour permettre une meilleure application de la loi interdisant les exportations de bois non transformé.

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