Soudan: Des organisations de défense des droits humains demandent au Conseil des droits de l'homme de l'ONU de prolonger la mission d'enquête sur le pays

communiqué de presse

À l'attention des Représentants permanents des États Membres et Observateurs du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies (Genève, Suisse)

Le 17 mai 2024

Soudan : Il faut renouveler le mandat de la Mission d'établissement des faits

Madame, Monsieur le Représentant permanent,

Un an après qu'il a éclaté, le 15 avril 2023, le conflit armé au Soudan se poursuit. Depuis que les combats font rage entre les Forces armées soudanaises (FAS ou SAF) et les Forces de soutien rapide (FSR ou RSF), ainsi que les forces qui leur sont affiliées, des milliers de personnes ont perdu la vie et 8,6 millions ont été déplacées. Au 15 avril 2024, 18 millions de personnes faisaient face à une insécurité alimentaire aiguë, dont 14 millions d'enfants, et 24,8 millions de personnes avaient besoin d'aide humanitaire. En outre, plus de 70% des hôpitaux n'étaient plus fonctionnels. Le Haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme a mis en garde contre une détérioration supplémentaire de la situation, notamment au Darfour du Nord[1].

Des violations du droit international des droits humains et du droit international humanitaire par toutes les parties au conflit, incluant notamment des attaques contre les civils, des violences sexuelles et des attaques à caractère ethnique, ont été rapportées. Certaines de ces violations pourraient être constitutives de crimes de droit international[2]. Sur le terrain, la situation continue d'évoluer rapidement, avec une escalade récente des violences dans et aux alentours de la ville d'El-Facher, au Darfour du Nord, soulignant le risque de commission d'atrocités supplémentaires.

Lors de la 54ème session du Conseil des droits de l'homme (11 septembre-13 octobre 2023), à la suite d'un appel[3] de la société civile et d'une session extraordinaire, tenue le 11 mai 2023, le Conseil a créé une Mission internationale indépendante d'établissement des faits (FFM, selon l'acronyme anglais) pour le Soudan. L'adoption de la résolution 54/2 du Conseil, avec le large mandat qu'elle a donné à la FFM[4], a été saluée comme une étape importante pour la reddition des comptes. L'impunité étant un moteur des cycles de violence au Soudan, la promotion de la redevabilité est une condition sine qua non pour combattre et dissuader la commission de violations.

Toutefois, depuis la décision du Conseil de créer la FFM, la crise de liquidités qui affecte l'Organisation des Nations Unies s'est également aggravée. Le système onusien fait face à son plus haut niveau historique d'arriérés, un nombre record d'États n'étant pas à jour dans le paiement de leurs contributions financières au titre des cinq dernières années[5]. La crise a un impact sur le Secrétariat de l'ONU dans son ensemble, y compris le Haut-Commissariat aux droits de l'homme (HCDH), ainsi que sur les organes des traités, les procédures spéciales et les contributions (notamment en termes de personnel) du HCDH au fonctionnement des mécanismes indépendants. Étant donné le moment où elle a été créée, la FFM pour le Soudan a été affectée de façon particulièrement sévère. Elle a fait face à des retards dans la constitution de son secrétariat et, au moment où la présente lettre est rédigée (soit sept mois après l'adoption de la résolution 54/2), la FFM demeure dans une situation de sous-dotation importante en personnel[6].

Si la FFM pourrait être raisonnablement fonctionnelle (mais sera toujours sous-dotée en personnel) d'ici la fin du mois de mai 2024, qu'elle collecte des informations (y compris des informations de première main provenant de sources pertinentes et des données ouvertes), et qu'elle produira une mise à jour orale lors de la 56ème session du Conseil (18 juin-12 juillet 2024), le rapport écrit qu'elle doit présenter au Conseil lors de sa 57ème session (9 septembre-9 octobre 2024) ne sera pas - pour des raisons indépendantes de sa volonté - véritablement complet. Alors le conflit, les violations qui y sont liées et l'impunité se poursuivent, davantage d'enquêtes seront nécessaires, y compris via des visites de terrain, afin de collecter des témoignages de première main et de vérifier les allégations supplémentaires de violations, dont certaines pourraient constituer des crimes de droit international.

À la lumière de ces développements, nous, les organisations non gouvernementales soussignées, vous écrivons afin de d'exhorter votre délégation à soutenir une résolution du Conseil des droits de l'homme qui :

  • Renouvelle le mandat de la Mission d'établissement des faits pour au moins une année afin de lui permettre de poursuivre son travail, avec des mises à jour et des dialogues interactifs réguliers au Conseil des droits de l'homme ; et
  • Exprime clairement le fait que le Conseil restera activement saisi de la question, notamment en évaluant la situation au Soudan et les réponses appropriées, lesquelles pourraient inclure des renouvellements supplémentaires du mandat de la Mission d'établissement des faits.

En outre, nous exhortons le Conseil à apporter un suivi aux résolutions S-32/1, 50/1 et S-36/1 en priant le Haut-commissaire, avec l'assistance de son Expert désigné, de lui présenter des rapports supplémentaires, au-delà de la 58ème session du Conseil (février-mars 2025)[7].

Enfin, nous exhortons les États à payer leurs contributions aux Nations Unies dans leur entièreté et en temps utile afin de résoudre la crise de liquidités actuelle et de permettre à la FFM pour le Soudan, aux autres enquêtes indépendantes et aux organes et mécanismes de protection des droits humains de remplir leurs mandats respectifs, y compris en produisant les documents et rapports demandés par les organes intergouvernementaux tels que le Conseil des droits de l'homme.

Nous vous remercions de l'attention que vous porterez à ces préoccupations urgentes et nous tenons prêts à fournir à votre délégation toute information supplémentaire. Nous vous prions de croire, Madame, Monsieur le Représentant permanent, en l'assurance de notre haute considération.

  1. AfricanDefenders (Réseau panafricain des défenseurs des droits humains)
  2. African Organization for Rights and Development (AFORD)
  3. Alliance for Peacebuilding
  4. Amnesty International
  5. Atrocities Watch Africa
  6. AWAFY Sudanese Organization
  7. Centre africain pour les études sur la justice et la paix (ACJPS)
  8. Centre pour la démocratie et le développement (CDD) - Mozambique
  9. Centre mondial pour la responsabilité de protéger (GCR2P)
  10. Civic Lab Home
  11. CIVICUS
  12. Coalition burkinabè des défenseurs des droits humains (CBDDH)
  13. Coalition burundaise des défenseurs des droits humains (CBDDH)
  14. Coalition des défenseurs des droits humains - Bénin (CDDH-Bénin)
  15. Coalition ivoirienne des défenseurs des droits humains (CIDDH)
  16. Coalition régionale des femmes défenseuses des droits humains en Asie du Sud-ouest et en Afrique du Nord (WHRDMENA)
  17. Coalition soudanaise des défenseurs des droits humains (SudanDefenders)
  18. Coalition togolaise des défenseurs des droits humains (CTDDH)
  19. Conseil oecuménique des Églises
  20. Consortium des organisations éthiopiennes de défense des droits humains (CEHRO)
  21. CSW (Christian Solidarity Worldwide)
  22. Darfur Bar Association
  23. Darfur Network for Human Rights (DNHR)
  24. DefendDefenders (Projet des défenseurs des droits humains de l'Est et de la Corne de l'Afrique)
  25. FIDH (Fédération internationale pour les droits humains)
  26. Fikra for Studies and Development
  27. Genève pour les Droits de l'Homme - Formation internationale (GHR)
  28. HUDO Centre
  29. Humanitarian Aid Relief Trust (HART)
  30. Human Rights and Advocacy Network for Democracy
  31. Human Rights Watch
  32. Initiative africaine des femmes défenseuses des droits humains (WHRD Initiative)
  33. Institut du Caire pour les études des droits de l'Homme (CIHRS)
  34. Institut des médias pour la démocratie et les droits de l'Homme (IM2DH) - Togo
  35. International Bar Association's Human Rights Institute (IBAHRI)
  36. Journalists for Human Rights (JHR) - Soudan
  37. Justice Africa Sudan
  38. Kamma Organization for Development Initiatives (KODI)
  39. Lawyers for Justice Sudan
  40. Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté (WILPF)
  41. Organisation mondiale contre la torture (OMCT)
  42. PAEMA
  43. Peace Catalysts
  44. People to People (PTP) - Soudan
  45. Project Expedite Justice
  46. Protection International Africa
  47. REDRESS
  48. Regional Centre for Training and Development of Civil Society (RCDCS) - Soudan
  49. Réseau capverdien des défenseurs des droits de l'homme (RECADDH)
  50. Réseau de la Commission indépendante des droits de l'Homme en Afrique du Nord (CIDH Afrique)
  51. Réseau des défenseurs des droits humains en Afrique centrale (REDHAC)
  52. Réseau des défenseurs des droits humains du Mozambique (RMDDH)
  53. Réseau nigérien des défenseurs des droits humains (RNDDH)
  54. Rights for Peace
  55. Rights Realization Centre
  56. Rural Extension Education and Development Organization (REEDO)
  57. Self Help Group Association - Soudan
  58. The Sentry
  59. Service international pour les droits de l'Homme (SIDH)
  60. Strategic Initiative for Women in the Horn of Africa (SIHA)
  61. Sudanese American Public Affairs Association, Inc. (SAPAA)
  62. Sudanese Defenders Center for Legal Aid
  63. Sudanese Human Rights Monitor (SHRM)
  64. Sudan Human Rights Hub
  65. Sudan Human Rights Network (SHRN)
  66. Sudanese Women Rights Action
  67. Sudan Social Development Organization (SUDO)
  68. Sudan and South Sudan Forum e. V.
  69. Sudan Transparency and Policy Tracker
  70. Sudan Unlimited
  71. SUDO (UK)
  72. Syndicat national des journalistes somaliens (NUSOJ)
  73. Tomorrow's Smile Inc. (TSI)
  74. US-Educated Sudanese Association (USESA)
  75. Women's International Peace Centre
  76. Youth Citizens Observers Network (YCON)

[1] UN News, « Sudan catastrophe must not be allowed to continue : UN rights chief Türk », 15 avril 2024, https://news.un.org/en/story/2024/04/1148556 (consulté le 16 avril 2024).

[2] Voir par exemple Human Rights Watch, « Soudan : Nettoyage ethnique au Darfour occidental », 9 mai 2024, https://www.hrw.org/fr/news/2024/05/09/soudan-nettoyage-ethnique-au-darfour-occidental ; « Soudan : Une année d'atrocités nécessite une nouvelle approche mondiale », 12 avril 2024, https://www.hrw.org/fr/news/2024/04/12/soudan-une-annee-datrocites-necessite-une-nouvelle-approche-mondiale ; Amnesty International, « Soudan : Un an après le début du conflit, la réaction de la communauté internationale reste totalement insuffisante », 12 avril 2024, https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2024/04/sudan-one-year-since-conflict-began-response-from-international-community-remains-woefully-inadequate/ (tous consultés le 13 mai 2024).

[3] DefendDefenders et al., « Le Conseil des droits de l'homme devrait créer un mécanisme indépendant sur le Soudan », 1er septembre 2023, https://defenddefenders.org/sudan-hrc-should-establish-mechanism/ (consulté le 16 avril 2024).

[4] Voir : https://www.ohchr.org/en/hr-bodies/hrc/ffm-sudan/index

[5] Amnesty International / Sarah Jackson, « Soudan : Il faut donner sa chance à la mission d'établissement des faits de l'ONU », 4 mars 2024, https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2024/03/sudan-give-un-fact-finding-mission-a-chance/ (consulté le 15 avril 2024).

[6] Le HCDH a sollicité un total de 17 postes d'assistance générale temporaire (GTA) pour soutenir la FFM, tous les experts devant être basés à Nairobi. Toutefois, en raison des restrictions de recrutement, la FFM n'a été en mesure de commencer à recruter neuf membres du personnel qu'en mars 2024. D'octobre 2023 à mai 2024, le HCDH a formé une petite équipe de démarrage (« start-up team ») afin de commencer à remplir des tâches substantielles et opérationnelles liées à la FFM. À la lumière des retards de recrutement, cette équipe a continué à soutenir les experts indépendants nommés et à impulser un élan vers les objectifs de la FFM, dans la mesure du possible. ONU Femmes a aussi mis à disposition un membre de son personnel, qui restera avec la FFM à la fin de mai 2024. En conséquence, la FFM disposera d'environ 12 membres du personnel à la fin mai 2024. Outre les retards importants dans la dotation en personnel, ce chiffre reste en-dessous des 17 experts autorisés par l'Assemblée générale de l'ONU à la suite de l'adoption de la résolution 54/2.

[7] En l'état actuel des choses, les rapports du Haut-commissaire prendront fin à la 58ème session du Conseil. Conformément au paragraphe 21 de la résolution S-36/1, le Haut-commissaire, avec l'assistance de son Expert désigné, est prié de soumettre un « rapport complet sur la situation des droits de l'homme au Soudan et sur les violations et atteintes commises par toutes les parties au Soudan » au Conseil lors de ses 55ème et 58ème sessions « [...] à moins que le mandat de l'Expert ait pris fin entre-temps » (selon le paragraphe 17 de la résolution S-32/1, « le mandat de l'expert des droits de l'homme au Soudan prendra fin lorsqu'un gouvernement dirigé par des civils sera rétabli »).

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