(Par Paul Van den Waer, Professeur associé à l'IRAC, Institut de Recherche sur l'Afrique Centrale, Géopoliticien, spécialiste des questions de sécurité en Afrique)
Vital Kamerhe, la cible ratée ou victime expiatoire ?
*Dimanche 19 mai 2024, Kinshasa a été secouée par une tentative de coup d'Etat qui a révélé les fragilités et les tensions au sein du pouvoir en République Démocratique du Congo (RDC). Cette tentative visait à éliminer l'allié clé du Président de la République, Vital Kamerhe, Vice-Premier Ministre chargé de l'Economie et pressenti Président de la toute nouvelle Assemblée Nationale.
Tentative de Coup d'Etat militaire ?
Les événements de la nuit du 19 mai ont débuté par des tirs et une confusion autour de la résidence de Vital Kamerhe, d'abord, et du Palais de la Nation, deux lieux hautement symboliques. Les forces de sécurité ont rapidement réagi, neutralisant les putschistes qui avaient attaqué la résidence privée de Vital Kamerhe. Première conclusion partielle : c'est bien Vital Kamerhe qui été visé. Mais, pourquoi vouloir éliminer cette figure de la vie politique congolaise ?
Un Coup d'Etat qui n'en est pas un
Etant donnés la situation sécuritaire à l'Est de la RDC et les risques de guerre avec le Rwanda, on pense à un coup d'Etat militaire téléguidé par des puissances étrangères. L'hypothèse existe, mais elle est peu probable, lorsqu'on regarde ce qu'il s'est passé le 19 mai. Les putschistes, attelage hétéroclite de Congolais, d'étrangers et de va-nu-pieds, sont peu nombreux (une quarantaine) et on les dépose exactement devant le domicile de Vital Kamerhe. Mis en échec, les putschistes se replieront vers le Palais de la Nation, sans pour autant pénétrer dans le bureau du PR et le saccager. Manifestement, le PR n'était pas, ce jour-là, la cible ultime. Seul, Vital Kamerhe était visé.
Pourquoi vouloir éliminer Vital Kamerhe ?
Cet attentat contre Vital Kamerhe met en lumière plusieurs enjeux politiques et personnels. Vital Kamerhe est une figure politique influente. Ancien directeur de cabinet du président de la République, acteur clé de la gouvernance Tshisekedi et de son administration, Vital Kamerhe a conduit des réformes économiques majeures.
Son élection à la présidence de l'Assemblée nationale en fait une menace pour certains acteurs politiques nationaux qui voient en lui un rival dans la perspective de la prochaine élection présidentielle. Installé au perchoir de l'AN, un poste clé, Vital Kamerhe peut nouer des liens de confiance avec la représentation parlementaire, s'il est le président de tous les députés, ce qui est son intention, d'après ses dernières déclarations et son discours de candidature à la présidence de l'AN. Il entend donner à l'opposition les moyens de jouer pleinement son rôle entre les colonnes de la Chambre basse.
Une opération de déstabilisation qui vise à fragiliser Félix Tshisekedi
Renverser Félix Tshisekedi, alors qu'il vient d'être élu pour un second mandat et qu'il incarne, aux yeux de nombreux Congolais, une figure de rassemblement, reste une opération difficile. Renverser Félix Tshisekedi, non, mais, affaiblir et déstabiliser le gouvernement, créer un vide de pouvoir autour du PR en éliminant ses soutiens, tel est le calcul de ceux qui ont « armé » le bras de Christian Malanga, rapidement éliminé (par qui ?), comme s'il fallait l'empêcher de parler.
Tout laisse à penser que le président Félix Tshisekedi était indirectement visé dans cette opération. Réélu pour un second mandat, Tshisekedi doit faire face à la complexité de la scène politique congolaise et des rivalités qui existent au sein de l'Alliance sacrée. Quatre mois après son élection, Félix Tshisekedi n'a toujours pas pu former son gouvernement et il s'est contenté de nommer, 3 mois après son élection, une Première ministre par intérim, Mme Judith Suminwa Tuluka.
Madame Suminwa Tuluka pourra-t-elle former son gouvernement mettre en oeuvre les engagements du second mandat de Félix Tshisekedi, dans un contexte socio-sécuritaire toujours aussi tendu ?
En réalité, la tentative de coup d'État révèle les divisions et les conflits d'intérêts au sein de la mouvance présidentielle, où certaines factions pourraient chercher à affaiblir le président pour leurs propres gains politiques. Alors qu'il était pressenti pour être candidat unique de l'Union sacrée au poste de président de l'assemblée nationale, Vital Kamerhe a dû, ce qui est inédit, affronter deux de ses alliés dans une élection primaire.
Il semble évident que l'alliance Tshisekedi- Kamerhe contrarie les ambitions politiques de certains.
Complicités Internes et fragilités du Pouvoir
La tentative de coup d'Etat, même si elle est l'oeuvre de putschistes « amateurs », suggère l'existence de complicités au sein même de l'appareil d'État et de la mouvance présidentielle. Des éléments de l'armée et de la sécurité, censés protéger les dirigeants, pourraient être impliqués, indiquant une déstabilisation interne. Cette situation reflète les fragilités actuelles du pouvoir en RDC, où les loyautés sont souvent changeantes et les alliances politiques volatiles.
Conséquences Politiques
Le président Félix Tshisekedi a condamné fermement cette tentative et a promis de renforcer la sécurité nationale. Vital Kamerhe, de son côté, a appelé à l'unité et à la vigilance, soulignant la nécessité de maintenir la stabilité, afin de poursuivre les réformes économiques et sociales. Cependant, cette tentative de coup d'Etat pourrait avoir des répercussions durables sur la scène politique congolaise.
Elle expose les vulnérabilités du régime actuel et pourrait entraîner une réévaluation des stratégies de sécurité et de gouvernance. Pour Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe, le défi sera de renforcer la cohésion au sein de leurs rangs tout en rassurant la population et les partenaires internationaux sur la stabilité du pays.
Les événements du 19 mai 2024 sont un rappel brutal des tensions politiques qui existent en RDC. Ils mettent en lumière les risques auxquels sont exposés les dirigeants actuels et l'instabilité chronique qui menace le pays, ce dont pourraient profiter des puissances étrangères, proches (Rwanda, Ouganda) ou lointaines (Chine, Russie).
Je vois aussi dans ces événements, une opportunité qui permet à Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe de consolider leur alliance, à condition qu'ils mettent en oeuvre les réformes qui leur permettront de garder la confiance du peuple congolais dans leur capacité à gouverner ensemble dans l'intérêt de la nation et des populations.