Congo-Kinshasa: Le pays sans solutions face aux dégâts des pluies diluviennes

Radio Okapi/Ph. John Bompengo
31 personnes sont mortes de suite de ces inondations et près de 20 000 familles sont sans abri.
23 Mai 2024

Des stratégies d'adaptation doivent être adoptées pour faire face aux conséquences des mauvaises conditions météorologiques que connait la République démocratique du Congo (RDC), estiment des experts environnementaux et des organisations de la société civile.

Les autorités congolaises appellent ainsi les habitants d'une vingtaine de villes du pays à « organiser les travaux d'assainissement des caniveaux, le processus de la libération du littoral et de la libération des terrains accidentés » pour « atténuer les risques et éviter les dégâts collatéraux ».

Mais la société civile congolaise nuance quelque peu ces recommandations. « Observer certaines pratiques sociales et environnementales n'est pas mauvais en soi dans ce monde basculant à cause de ces changements climatiques, mais le gouvernement doit d'abord montrer l'exemple en assumant ses responsabilités dans le sens de conduire des actions d'adaptation à ces prévisions de risques. Il revient à l'État de gérer le territoire et non aux citoyens », martèle par exemple Bienvenu Matumo, membre du mouvement citoyen dénommé « Lutte pour le changement » (LUCHA).

"En mars et avril, les bassins versants sont déjà saturés par les pluies précédentes, ce qui entraîne une période de débordement dans la plupart des bassins hydrologiques"Espoir Mukengere Bagula, Université évangélique en Afrique

Pour sa part, Dignité Bwiza-Visser, experte en droit environnemental et directrice du bureau d'études d'impact environnemental Heshimia Mazingira, estime qu'il est important de mener des audits environnementaux qui pourraient épingler les projets ayant un impact négatif sur l'écoulement des eaux usées, les cours d'eaux et les lacs.

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Des pluies diluviennes se sont abattues sur plusieurs parties du pays dont la capitale Kinshasa au mois d'avril dernier, causant plusieurs pertes en vies humaines et d'importants dégâts matériels. Et les prévisions jusqu'au mois de juillet 2024 annoncent encore des niveaux de précipitations, souvent supérieures à la normale, sur l'ensemble du territoire national.

Selon Augustin Tagisabo, responsable de la prévision du temps à l'Agence congolaise de météorologie et de télédétection par satellite (Mettelsat), le réchauffement climatique et les activités humaines expliquent cette pluviométrie « excédentaire ».

« Les vagues de chaleur que connait ces derniers temps l'atmosphère sont la cause du réchauffement climatique, favorisant ainsi la vaporisation des océans vers l'atmosphère et de l'atmosphère vers la terre en apportant des quantités d'eau significatives », explique-t-il.

Il rappelle que le réchauffement climatique est une réalité que l'homme est en train de favoriser par ses activités qui détruisent l'environnement, notamment la prolifération des industries chimiques, la déforestation pour des raisons agricoles ou pour la production du charbon...

« Tout ceci pollue l'atmosphère en apportant les variations dans le bon comportement de l'air qui englobe à 99 % la couche basse de l'atmosphère terrestre (la troposphère) où il y a la vie humaine et où se passent tous les phénomènes météorologiques. Les activités volcaniques jouent un mauvais rôle dans la propagation des cendres volcaniques et des gaz... », dit-il.

Montée des eaux

Près d'une dizaine de personnes ont été tuées dans les inondations provoquées par les fortes pluies à Kinshasa et au moins cinq immeubles se sont effondrés. Dans la région dite du Grand bassin du Tanganyika, dans l'est de la RDC, l'on a enregistré la rupture de plusieurs ponts et la destructions de plusieurs routes dans l'ensemble de la province.

« Dans la plaine de la Ruzizi nous avons observé la montée du niveau du lac Tanganyika d'environ 3,8 mètres. Ce qui affecte la circulation entre Uvira et Bujumbura ainsi qu'entre Uvira et le territoire de Fizi », témoigne Espoir Mukengere Bagula, enseignant chercheur à l'Université évangélique en Afrique (UEA) et spécialiste en gestion des ressources en eau et sol, modélisation climatique et changement global.

Au début du mois de mai, le port de Kalundu, deuxième port le plus important du pays, qui connecte les provinces du Kivu à celles du Katanga mais aussi la RDC aux pays comme le Burundi ou la Tanzanie est resté hors-service suite à la montée des eaux du lac Tanganyika.

Pour comprendre cette situation, Espoir Mukengere Bagula relève qu'au cours des mois de mars, avril et parfois mai, on observe des inondations liées à la remontée des eaux des pluies et au débordements des rivières.

« L'Afrique centrale et l'Afrique orientale connaissent deux saisons des pluies. Tout d'abord, les pluies de septembre à décembre sont particulièrement importantes, car elles coïncident avec la période de remplissage des rivières et des lacs », note-t-il.

« Cette saison est marquée par de fortes précipitations, mais comme elles suivent une période sèche, elles ne provoquent généralement pas d'inondations importantes. En revanche, en mars et avril, les bassins versants sont déjà saturés par les pluies précédentes, ce qui entraîne une période de débordement dans la plupart des bassins hydrologiques », explique Espoir Mukengere Bagula.

L'enseignant-chercheur souligne également que le relief et le réseau hydrographique de la RDC favorisent les inondations. « Les rivières et les fleuves, dont le fleuve Congo, ont un bassin versant vaste et drainent les eaux de pluies sur de longues distances, alors que la plupart des villes sont construites autour de ces rivières et lacs », précise-t-il.

« L'une des villes les plus vulnérables est Kinshasa, qui est située dans la partie aval du fleuve et plus proche de l'embouchure. L'ensemble des eaux du réseau de drainage du bassin se jette dans le fleuve avant Kinshasa et cela entraine souvent les inondations dans la partie aval, dont Kinshasa qui en subit les effets », ajoute l'enseignant.

Cultures

Dans le sud-est du pays, les agriculteurs du plateau du Katanga ont été pris de court par les pluies excédentaires.

« On a vu de fortes pluies les 15 premiers jours du mois d'avril et déjà fin mars, les pluies se sont intensifiées, chose qui avait un impact négatif sur la culture du maïs », regrette Eunice Mangasa, jeune agri-entrepreneure qui cultive du maïs dans le territoire de Kipushi, à la frontière avec la Zambie.

À en croire Jonathan Muledi, enseignant à la faculté des sciences agronomiques de l'université de Lubumbashi, « quand il y a montée des eaux en cette période, les récoltes seront affectées sérieusement. Les produits des champs vont pourrir à cause de l'humidité ; les plantes cultivées ont plutôt besoin de peu d'eau pour assurer les processus de maturation. L'autre crainte est essentiellement liée à l'érosion des terres agricoles et donc à la perte de la fertilité », dit-il.

Des agriculteurs de la province du Sud-Kivu sont également confrontés à la même situation. Espoir Bisimwa, spécialisé dans les maladies des plantes, constate que les saisons de récolte sont perturbées et la moisson est de moins en moins abondante quelle que soit la période culturale.

« Mais cela remonte déjà à l'année passée, on peut même reculer. On a une saison des pluies très marquée et prolongée qui détruit les cultures. Mais il y a surtout la recrudescence des insectes et des maladies des plantes , favorisée par les conditions écologiques. Résultat : les agriculteurs ont perdu contrôle sur le calendrier agricole », fait-il savoir.

Espoir Mukengere Bagula prévoit une détérioration de la situation avec « l'intensité des pluies qui devrait augmenter jusqu'à 27 %... ». Il recommande pour cette province des techniques agricoles moins tributaires du climat.

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