Pierre Boussanga Monné a dirigé Sidwaya de février 1991 à juin 1993. Sous son leadership, l'ancien DG a apporté sa touche à l'édification du quotidien. Dans cet entretien, M. Monné nous fait découvrir un pan de l'histoire du « Journal de tous les Burkinabè » ainsi que les initiatives développées à l'époque. Il aborde aussi les défis à relever par le journal.
Sidwaya (S): Qui est Pierre Boussanga Monné ?
Pierre Boussanga Monné (P.B.M.) : Je suis né le 20 décembre 1957 à Accra au Ghana. Je suis fonctionnaire à la retraite, marié, père de 4 enfants. J'ai fait mes études universitaires à l'Ecole supérieure de droit (ESD) à l'Université de Ouagadougou de 1978 à 1980. Après mon cursus universitaire, j'ai été admis à l'Institut national de la jeunesse et des sports (INJS) de Yaoundé, au Cameroun, de 1980 à 1984 où j'ai obtenu le diplôme de conseiller principal de jeunesse et d'animation. A la fin de ma formation, j'ai intégré la Fonction publique en octobre 1984 et j'ai été mis à la disposition du Secrétariat général des Comités de défense de la révolution (CDR), plus précisément à la direction des CDR géographiques en qualité de chargé des relations interministérielles.
Durant ma carrière professionnelle, j'ai été respectivement directeur des études et de la planification à la Coordination nationale des structures populaires (CNSP), de mars à octobre 1987, chef de division formation politique à la CNSP, de juin 1989 à juillet 1990, directeur de rédaction du journal « Jama », chef du département Planification au Secrétariat à l'organisation du Front populaire avant d'être nommé directeur général des Editions Sidwaya en février 1991 et ce, jusqu'en mai 1993. Je dois rappeler que j'ai volontairement demandé qu'on me relève de mes fonctions car n'étant pas journaliste de formation, j'ai estimé qu'il y avait suffisamment de journalistes compétents pour occuper le poste. Après ce poste, j'ai été affecté en février 1994 au projet « Epopée des Mossé » en qualité de producteur délégué. En 2002, j'ai été remis à la disposition du ministère du Travail, de l'Emploi et de la Jeunesse en qualité de chargé d'études, puis inspecteur technique des services à l'inspection générale des services dudit ministère.
S : Vous avez dirigé Sidwaya du 6 février 1991 au 9 juin 1993. Quelle était la vision de Sidwaya qui se voulait « La voix de la Révolution » surtout qu'il s'agissait de l'après-« Rectification ».
P.B.M. : Quand j'ai été nommé à Sidwaya, j'étais le seul nommé à la direction générale. Le statut administratif du journal n'a pas changé. Nous avons poursuivi le travail en gardant à l'esprit que c'est un journal de tous les Burkinabè car tous les Burkinabè n'étaient pas révolutionnaires en son temps. Mais ce qui a été intéressant, c'est qu'en tant que responsable nommé, nous nous devions à l'époque de relayer tous les mots d'ordre, toutes les directives des instances politiques dans le journal.
On était aussi tenu d'expliquer au peuple les tenants et aboutissants des organisations politiques nationales. Donc, Sidwaya a travaillé à assurer la couverture des activités gouvernementales, à savoir celles du gouvernement révolutionnaire. Donc, nous n'avons pas besoin de transformer Sidwaya en un organe d'agitation et de propagande. Il y avait des organes qui s'occupaient de cela. Sous le CNR, le « Lolowulen » était l'organe d'agitation et de propagande des CDR et le « Jama » sous le Front populaire. Ces deux journaux étaient des organes d'agitation politique. Quand j'étais à la tête de Sidwaya, il n'y avait pas d'entraves ni d'intimidations. Les journalistes travaillaient de manière libre. Le journal avait une rubrique dénommée « Point de vue » qui était bien animée. Les journalistes révolutionnaires écrivaient pour attaquer le point de vue de l'opposition. Il n'y avait pas d'animosité entre les journalistes. Chacun se battait pour défendre sa position. Et moi, j'écrivais souvent avec un pseudonyme en tant que journaliste révolutionnaire.
S : Pensez-vous avoir atteint vos objectifs initiaux ?
P.B.M. : J'estime que j'ai largement atteint les objectifs parce qu'il y avait l'engagement collectif pour faire le travail malgré l'existence de deux types de journalistes. Ce qu'il faut relever est que parmi les journalistes, il y a ceux qui étaient recrutés sur la base des diplômes de l'université de Ouagadougou, en Histoire-géographie et Lettres modernes, et les journalistes formés dans les grandes écoles (France, Sénégal, etc.). Nous n'avons pas fait de censure concernant l'écrit des journalistes. De ce point de vue, j'estime que nous n'avons pas travesti la ligne éditoriale.
S : Lors de votre passage à Sidwaya, quel rythme aviez-vous imprimé au journal ?
P.B.M. : Quand j'étais directeur général, je n'étais pas directeur de publication. J'étais directeur général, simple. Tout dépendait des consignes du cabinet. On ne pouvait pas imprimer ou faire des réformes volontaires. Ce que nous avons fait, c'est modestement s'assurer de la parution du journal tous les jours. Ce qui était difficile car il y avait trop de pannes. Nous nous assurions aussi de la couverture médiatique des actions gouvernementales dans les limites de nos capacités car le matériel roulant était défaillant.
On s'assurait également d'un versement régulier des recettes des ventes directes des journaux. Quand je suis arrivé, le quittancier n'était pas à jour, ce qui fait que l'argent n'était pas versé au Trésor. J'ai tout fait avec mon staff pour ajuster et verser régulièrement les recettes au Trésor. J'ai initié une réunion tous les vendredis où nous nous retrouvons pour critiquer collectivement le travail et cela a permis d'améliorer la production. Comme les recettes n'étaient élevées, j'ai encouragé les journalistes à rechercher les publi-reportages et en contrepartie, j'encourageais ceux qui se débrouillaient pour trouver les publi-reportages à insérer dans le journal. Ils percevaient 10% du montant mobilisé.
J'ai aussi eu quelques initiatives pour avoir des meubles par le biais d'un ami qui était dans un service qui centralisait le matériel de l'Etat. J'ai tenté de créer une rubrique à son temps dans les colonnes du journal qu'on appelait « Ya quoi au village », à l'image de « Lettre pour Laye » de L'Observateur Paalga. Cela a paru pendant quelque temps et le cabinet m'a interpellé parce que Sidwaya n'est pas un journal d'opinion et je l'ai retirée. J'ai en outre initié l'organisation de journées festives chaque année. On se retrouvait quelque part pour oublier nos angoisses et nos frustrations. Voici ce que j'ai pu faire. C'est modeste, mais je précise que n'étant pas directeur de publication, c'était difficile de créer des rubriques ou de faire des réformes significatives.
S : Etre DG de la plus grande entreprise de presse au Burkina est une lourde responsabilité. Quelles ont été vos principales difficultés?
P.B.M. : Nos difficultés étaient principalement la modestie des ressources financières. Nous avions à peu près 70 millions F CFA pour l'achat des plaques. Ce n'était pas suffisant. Le budget était logé à la DAF du cabinet du ministère en charge de l'information. Avec les lenteurs administratives, il fallait batailler pour le débloquer. Nous n'avions pas de service commercial. On avait des angoisses permanentes de parution du journal car les machines étaient vétustes. Dès que tu te lèves le matin, ton coeur bat parce que tu ne sais pas si le journal va paraitre le lendemain. Il nous arrivait souvent de tirer le journal à crédit dans les imprimeries privées de la place. L'autre souci était la motivation des forces positives. Il fallait les encourager, mais les ressources générées étaient très limitées.
S : Quels étaient vos rapports avec l'autorité de tutelle, notamment votre ministre de tutelle ?
P.B.M. : C'était des rapports très sereins surtout avec la ministre de l'Information, Béatrice Damiba et son secrétaire général, Luc Adolphe Tiao. Ils m'ont beaucoup encouragé. C'est grâce à eux que j'ai tenu. Nous avons reçu des consignes du cabinet que nous avons appliquées. J'ai même reçu une lettre personnelle de félicitations de Mme la ministre.
S : Gardez-vous de beaux souvenirs de Sidwaya?
P.B.M. : Je garde de très beaux souvenirs de Sidwaya. D'abord, l'ambiance du travail était bon enfant. On était comme des amis du travail. J'ai fait l'effort pour susciter une meilleure production au niveau de l'imprimerie. A titre d'exemple, j'ai instauré la pause-café à l'imprimerie, le port de blouse, des primes de motivation à l'occasion des grands évènements comme la SNC, le SIAO. Nous avons acheté un véhicule d'occasion, ce qui n'était facile à l'époque pour le mettre à la disposition de la rédaction. Autre souvenir, ce sont les rencontres très cordiales avec les anciens collaborateurs. Quand je rencontre un travailleur de Sidwaya, ce sont des accolades. Cela me marque beaucoup sans oublier que Sidwaya a contribué à forger ma notoriété. Pour mes postes antérieurs, les gains financiers étaient largement mieux qu'à Sidwaya mais Sidwaya est un poste valorisant. La preuve, aujourd'hui on continue de m'appeler DG de Sidwaya. Lors des rencontres, on me présente comme étant un ancien DG de Sidwaya et non un ancien CDR. Comme souvenir douloureux, je pleure mes collaborateurs défunts et que leurs âmes reposent en paix.
S : Quelle appréciation faites-vous aujourd'hui de Sidwaya ?
P.B.M. : J'ai quitté le journal il y a 30 ans. Par conséquent, il m'est difficile d'apprécier l'évolution interne du journal. En raison de son autonomie de gestion, je présume qu'il bénéficie aujourd'hui de meilleures conditions de traitement de l'information. Je souhaite qu'on renforce cette autonomie pour former plus de cadres qui viendront renforcer l'organe.
S : Comment envisagez-vous l'avenir du journal dans un contexte d'évolution du métier de l'information et de la communication ?
P.B.M. : Les reproches qu'on a faits à la presse dans son ensemble à l'époque, c'est de consacrer tout le temps à l'évènementiel, au traitement de petits reportages qui occupent les colonnes. Il y a aussi la bureaucratisation des journalistes. Pour l'avenir du journal, il faut développer le journalisme d'investigation, les grands reportages sur les défis majeurs du pays. Par exemple, si une zone est libérée, le journaliste peut aller faire le constat.
S : Qu'est-ce que Sidwaya doit améliorer au quotidien pour continuer d'être toujours le leader de la presse écrite au niveau national voire sous régional ?
P.B.M. : La raison d'être d'un journal, c'est d'être lu. Il faut faire l'effort pour évaluer et apprécier les attentes des lecteurs. S'il n'est pas lu, cela veut dire que quelque chose ne va pas et il faut faire un effort pour attirer les lecteurs. Il faut ensuite améliorer l'accessibilité du journal aux lecteurs en multipliant les points de vente des journaux et en étendant les zones de distribution.
S : Cette année, Sidwaya célèbre ses 40 ans. Quels sont vos voeux pour le « Journal de tous les Burkinabè » ?
P.B.M. : Je souhaite le renforcement de la crédibilité du journal auprès des lecteurs, afin qu'il soit bien lu. Je souhaite aussi le renforcement du leadership de Sidwaya et des motivations des forces productives pour améliorer le travail. Je souhaite un bon anniversaire à toute l'équipe de production de Sidwaya.