Afrique: Europe, Asie, Afrique - Dubaï, carrefour de l'économie mondiale

Les Émirats arabes unis et leur tête de pont Dubaï connaissent une croissance économique fulgurante depuis 20 ans, basée sur la manne pétrolière. Mais le rival régional de l'Arabie saoudite et du Qatar a décidé de se diversifier en attirant des investisseurs avec des conditions très avantageuses pour devenir un hub, au coeur des activités de trois continents. RFI vous propose un dossier spécial.

Ce qui frappe d'abord lorsque l'on parcourt la ville de Dubaï, étendue sur des dizaines de kilomètres, c'est l'aspect inachevé de sa construction. Des routes qui s'arrêtent net, des immeubles en chantier jusque tard dans la nuit et la possibilité de s'étendre bien davantage, dans le désert ou sur les eaux du golfe Persique. Palm Jumeirah, presqu'île artificielle en forme de palmier, symbolise pour toujours ce gigantisme assumé par les autorités de l'émirat rival régional de l'Arabie saoudite et du Qatar. La tour Burj Khalifa haute de 828 mètres (un record mondial) est intégrée dans un complexe urbain et commercial. Les jeux de lumière et de réverbération sur les gratte-ciel du Downtown Dubaï à l'architecture parfois fascinante participent de cette impression de vertige.

Dans les prochaines années, cette stratégie doit se prolonger dans le ciel avec un projet d'extension majeur de l'aéroport international Al Maktoum, situé à une quarantaine de kilomètres du centre de la ville. Le 28 avril 2024, Cheikh Mohammed ben Rashid Al-Maktoum, dirigeant de Dubaï et Premier ministre des Émirats arabes unis, a annoncé la construction d'un nouveau terminal pour faire de cet aéroport le plus grand du monde avec une capacité de 260 millions de passagers par an, bien plus qu'à Atlanta ou Pékin, les leaders actuels. C'est cinq fois plus que l'actuel aéroport international de Dubaï déjà le plus fréquenté en monde en termes de voyageurs étrangers mais dont la localisation, proche du centre-ville, empêche l'agrandissement. Rien que pour la première phase du projet, près de 35 milliards de dollars doivent être déployés. La volonté est donc clairement affichée d'accueillir toujours plus de visiteurs attirés par une offre tournée à la fois vers le tourisme de loisirs et le tourisme d'affaires. Le secteur du luxe est un élément majeur de cette offre. « Les touristes viennent du monde entier avec des provenances de plus en plus diversifiées », explique Geoffroy Bunetel, président de la chambre de commerce et d'industrie France - Émirats arabes unis et directeur de cabinet du président du groupe Chalhoub, groupe né en Syrie avant de s'installer dans tout le Moyen-Orient. « Ce sont beaucoup d'Indiens, de Chinois, de Russes et de plus en plus d'Africains. »

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Un méga-laboratoire de la transition énergétique

L'infrastructure hôtelière est, elle aussi, en plein développement. Une ville bétonnée, que d'aucuns jugent déconnectée des enjeux climatiques, artificielle, sans âme, et qui cache aussi de profondes inégalités sociales. Mais on peut aussi y voir le fruit d'une énergie collective, d'un projet cosmopolite (Dubaï est composée à 90% d'expatriés). Certains viennent gagner simplement leur vie pour échapper à la pauvreté dans leur pays d'origine, souvent en Asie du sud (Indonésie, Philippines, Inde et Sri Lanka notamment). D'autres veulent y réussir dans le business et bénéficier du rayonnement international de cette nouvelle plateforme de l'économie mondiale, au carrefour géographique de l'Asie ascendante, de l'Occident incontournable et de l'Afrique en devenir. Finance, tourisme, immobilier, luxe, l'émirat a su miser sur des secteurs porteurs au XXIe siècle. Au-delà de Dubaï, le produit intérieur brut des Émirats arabes unis a quintuplé au cours des 20 dernières années pour dépasser les 500 milliards de dollars.

Car si la manne pétrolière a été historiquement la clé de voute de sa montée en puissance, Dubaï a fait le choix résolu de diversifier son économie. Dénué de grands groupes industriels, l'émirat accueille des investisseurs du monde entier pour déployer des infrastructures, une politique énergétique grâce au nucléaire, à l'hydrogène et à l'énergie solaire. « C'est un méga-laboratoire en termes de taille », affirme François Dao, vice-président d'EDF-Renouvelables pour le Moyen-Orient et l'Afrique, gestionnaire du parc solaire Mohammed bin Rachid Al Maktoum dans le désert, à une heure de route de Dubaï et d'Abu Dhabi. « Le fait de ne pas avoir de problème de foncier, d'avoir les ressources naturelles (solaire et éolien) permet une accélération et un déploiement rapide dans d'autres pays du monde comme l'Inde, l'Égypte, le Maroc ou l'Afrique du sud. » Les Émirats arabes unis ont-ils vraiment engagé une démarche de limitation des effets du réchauffement climatique avec le développement d'énergies renouvelables ? Les autorités, qui ont organisé la COP 28 en novembre 2023, l'assurent. Les organisations de défense de l'environnement sont bien plus sceptiques. Une faiblesse reste néanmoins difficile à compenser à court terme : du fait du climat aride et de la faible ressource en eau potable, les Émirats arabes unis importent une très grande partie de leurs besoins en agroalimentaire.

Dubaï attire les Africains

Ce sont autant de marchés qui intéressent les entreprises étrangères, à l'image de celles accompagnées par Business France. « La population du Golfe est jeune et ultra connectée », explique à notre micro Axel Baroux, directeur général de Business France pour le Proche et le Moyen-Orient. « La plupart des méga-projets dans le monde ont lieu dans la région. Donc ça attire les entreprises françaises, mais aussi nos concurrents. C'est une zone hyper concurrentielle. » Un pari qu'a décidé de tenter Digital Virgo, société spécialisée dans le paiement mobile. Pascal Dufour, vice-président chargé du Moyen-Orient, de la Turquie et de l'Afrique du Nord pense que « la problématique est de trouver des talents locaux » avec des populations locales très minoritaires. « Les jeunes ont besoin d'être formés aux métiers d'avenir comme la transition énergétique sans dépendre des administrations ou des sociétés pétrolières. »

Valérie Hawley, directrice du Centre de recherche sur l'Intelligence Artificielle de la Sorbonne (SCAI) créé en 2020 à Abu Dhabi, pense que « les Émirats ont affiché la volonté d'avoir une économie de la connaissance d'ici à 2030. Et d'être même exportateurs de technologies. Il y a un chemin non négligeable à faire pour former des talents locaux, pour développer de la propriété intellectuelle. Ils ont cette volonté de créer un écosystème de recherche ».

L'environnement des affaires et le cadre de vie des Émirats arabes unis et de Dubaï attirent aussi de plus en plus d'Africains qui bénéficient de connexions aériennes plus simples qu'avec l'Europe. Et ceux qui viennent s'installer occupent parfois des postes de cadres comme le sénégalais Amadou Diallo, directeur du géant de la logistique DHL pour le Moyen-Orient. « Je pense qu'aujourd'hui, il est un peu plus difficile pour les jeunes africains d'aller en Europe parce qu'il y a des préjugés qui sont évidents. Les procédures de visa sont extrêmement compliquées. C'est la même chose pour les États-Unis. Donc Dubaï s'est positionné pour faire en sorte de faire venir les talents. Voilà pourquoi Dubaï fait mieux que d'autres pays avant, que ce soit Singapour, la Chine, les pays européens ou l'Amérique ».

Dubaï, une politique fiscale ambitieuse et controversée Les Émirats arabes unis ont mis en place des mesures incitatives pour attirer les entreprises et les investisseurs étrangers : des facilités administratives et un cadre fiscal très favorable. Pour les résidents fiscaux à Dubaï, le taux d'imposition sur les revenus est établi à 0%. Pas non plus d'imposition sur le patrimoine.

Le taux d'imposition sur les sociétés est également très avantageux. Dans la freezone (zone franche dédiée aux capitaux étrangers), c'est une exemption totale. Dans le reste du pays (pour le marché local), ce qu'on appelle le « mainland », il est de 9 %. C'est très inférieur au taux prélevé en France (25%), en Allemagne ou aux États-Unis (environ 30%). Par ailleurs, les bénéfices imposables annuels jusqu'à 375 000 AED (Dirhams des Emirats) soit environ 95 000 euros sont exemptés. Des « golden visas » sont accordés pour les investisseurs, entrepreneurs et ceux dont un talent exceptionnel est reconnu.

En revanche, les banques étrangères opérant dans le "mainland" (marché local de Dubaï) vont être désormais taxées à hauteur de 20% de leur revenu imposable. La loi a été promulguée par le souverain de Dubaï, le cheikh Mohammed bin Rashid Al Maktoum. Une décision qui vise officiellement à augmenter les recettes publiques pour sortir de la dépendance des énergies fossiles, mais également pour renforcer la surveillance des institutions financières, prévenir le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme.

Après des années de soupçons et de scandales, des conventions ont par ailleurs été signées avec de nombreux pays, dont la France. « Les autorités de Dubaï jouent davantage le jeu », explique Alexandre Polak, avocat fiscaliste associé au cabinet Coblence, « via des accords d'échanges de renseignements. Quand un ressortissant français ouvre un compte à Dubaï, l'information est envoyée à Paris. C'est plus compliqué lorsqu'il s'agit d'une société. » Mais « les anglo-saxons sont beaucoup plus durs, il y a beaucoup plus d'échange d'informations », estime Alexandre Polak. « Le pouvoir de coercition de leurs autorités fiscales est beaucoup plus fort. »

En septembre 2018 éclate le scandale des Dubaï Papers, fuite de milliers de documents internes démontrant l'existence d'un réseau international de fraude fiscale et d'un système de blanchiment offshore aux Emirats Arabes Unis via l'officine Helin International. Le Parquet national financier (PNF) et l'administration fiscale française enquêtent sur des centaines de personnes pour régulariser leurs situations. En mars 2024, une femme de 90 ans et son fils de 64 ans écopent d'une lourde amende et d'une peine de prison avec sursis pour fraude fiscale aggravée et blanchiment dans le cadre de cette affaire.

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