Afrique Centrale: Au Tchad, la prestation de serment de Mahamat Idriss Déby vient cimenter son pouvoir

Déclaré vainqueur de la présidentielle du 6 mai 2024 malgré les protestations de son principal adversaire, Succès Masra, Mahamat Idriss Déby conduit le Tchad dans la Ve république, après sa prestation de serment le 23 mai. Les promesses sont nombreuses.

Les grands boulevards de Ndjamena sont pavoisés pour l'occasion, des drapeaux des pays d'Afrique de l'Ouest et du centre. Ils ont été lessivés, des trottoirs repeints, des ronds-points lustrés, et de nouvelles affiches à la gloire du chef de l'État fleurissent, en plus de celles qui ont saturé le centre-ville durant la campagne.

C'est le folklore des investitures, et le Tchad n'y échappe pas. Le long des artères menant de l'aéroport au palais des Arts et de la Culture, les bureaux de soutien, chevilles ouvrières de la campagne de Mahamat Idriss Déby, ont motivé une dernière fois leurs militants : les étendards des différentes organisations accompagnent le défilé des délégations officielles ; dromadaires et chevaux ont été appelés en renfort.

Dans les convois, tous les dignitaires du Tchad, à l'exception du Premier ministre tout juste démissionnaire, Succès Masra, qui boude la cérémonie pour ne pas avaliser une élection qu'il juge « inversée ».

Une vingtaine de délégations étrangères sont présentes, dont sept chefs d'États. Les présidents du Burundi, de la Guinée-Bissau, du Togo, du Nigeria, du Gabon, de la Centrafrique, sont là. Le dernier arrivé, invité d'honneur, est Mohamed Ould Ghazouani. Le dirigeant mauritanien est un partenaire privilégié du Tchad, il est aussi le président en exercice de l'Union africaine (UA), ce que soulignent les organisateurs pour mieux le différencier de Moussa Faki Mahamat, le président de la Commission de l'UA, enfant du pays en bisbilles avec le pouvoir, qui l'accuse de se comporter en « acteur politique tchadien » : comprendre pour son propre compte et avec des ambitions électorales.

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Les États-Unis, qui ont commenté de manière peu amen le déroulement de la transition et de la présidentielle du 6 mai, sont représentés par leur ambassadeur. La France, qui a félicité l'heureux élu tout en étant accusée par ses soutiens de rouler pour l'opposant Masra, a dépêché Franck Riester, ministre du Commerce extérieur et de la francophonie. On attend le vice-ministre russe de la Défense, confirmé par la présidence la veille soir, mais Alexandre Fomin, dont la venue aurait été un signal direct à Paris, n'est pas là. Contretemps ou opération de communication pour faire du buzz ? « Trollage » contre la France dans la plus pure recette de la galaxie Wagner ? On ne le saura pas plus que les officiels tchadiens interrogés sur le sujet, perplexes.

Parmi les autres invités, le Premier ministre de Sao Tomé-et-Principe, celui de la Libye, et celui du Niger, qui vient en voisin mais quasiment en local : il a passé de nombreuses années à Ndjamena au sein de la Banque africaine de développement (BAD), a un épais carnet d'adresses, et surtout des parents tchadiens. Il soigne ses relations dans ce pays, alors que celles de la junte avec le Bénin et le Nigeria sont exécrables.

Nombreuses promesses de campagne

Debout, boubou et toques blancs, cane de commandement doré comme son père, Mahamat Idriss Déby lit le serment prévu à l'article 76 de la Constitution, puis débite son discours : « Désormais, je suis le président du Tchad. » Une manière de faire comprendre que la transition est finie et que sa légitimité ne se conteste plus. Une demi-heure reprenant ses principales promesses de campagne : 70% de dépenses sociales, un hôpital par département, des soins gratuits pour la mère et l'enfant, doubler le kilométrage de routes bitumées, refonder l'école, moderniser et bien équiper l'armée. Sans oublier la promesse de réduire le train de vie de l'État, et de lutter contre la corruption : « L'heure est à de nouveaux comportements », dit-il, ponctuant tout cela d'un « je vous ai compris » gaullien.

Des promesses qui, si elles étaient en partie tenues, raviraient la plupart de la population, lassée de voir le pays stagner, et donc reculer. La veille de l'investiture, devant le centre Al-Mounia, au coeur de la capitale, plusieurs interlocuteurs confient leur ras-le-bol mais semblent offrir le bénéfice du doute à Mahamat « Kaka » comme tout le monde l'appelle, plutôt que par un patronyme qui rappelle trois décennies de répression politique, d'instabilité sécuritaire régulière, et de prévarication totale.

Anicet, un « débrouillard », voit en lui un président jeune qui peut agir tout en garantissant la paix. Hassan insiste sur l'inflation, « le riz et la nourriture trop chers » et l'insécurité. Mahamat estime qu'en politique, la génétique ne joue pas : il espère que Déby fils saura tracer son sillon, et saura rompre avec les caciques du régime de son père, « qui ont trop volé ».

Les Tchadiens croisent les doigts pour une « bonne surprise »

Le sociologue et professeur d'université Ladiba Gondeu espère une « bonne surprise », si Mahamat Idriss Déby choisit d'ouvrir le jeu politique, et accepte l'opposition. Responsable de l'Observatoire des associations sur le processus électoral au Tchad (Oapet), une plateforme dont les observateurs ont été empêchés de suivre le déroulement de la présidentielle, Houzibé Gombo Breye souligne la crise socio-économique du pays, l'école « à terre », les nombreux diplômés sans emploi, le difficile accès à l'eau, le fléau des délestages.

Pour le mettre en oeuvre, Mahamat Idriss Déby compte sur les siens. Il a assuré que l'union nationale est « finie », que c'est sa coalition (plus de 200 partis politiques revendiqués) qui gouvernerait, et devrait mettre en oeuvre son programme. Toute la semaine, les noms de possibles Premiers ministres circulent. Jamais celui de l'heureux-élu n'est mentionné. Allamaye Halina est l'ancien chef du protocole d'Idriss Déby puis de son fils, ambassadeur en Chine depuis un an, un profil davantage administratif que politique, mais surtout, c'est le maître-mot du régime Déby, une loyauté sans faille. Dans son autobiographie parue en début d'année, le chef de l'État le qualifie de « grand frère » avec qui il entretient une « grande complicité » : « Il est fidèle parmi les fidèles. Servir le maréchal était plus qu'un travail, plus qu'une vocation. » Après le père, le voilà au service du fils.

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