Afrique du Sud: Élections générales - Gros plans sur trois régions-clés

La nation arc-en-ciel se prépare à élire mercredi 29 mai 2024 à la fois ses parlementaires, qui choisiront ensuite le président du pays, ainsi que ses conseillers régionaux. Un scrutin qui pourrait être historique si le Congrès national africain (ANC) venait à perdre sa majorité absolue au niveau national. Ce serait la première fois en 30 ans.

Johannesburg : les illusions perdues

Le soleil d'hiver réchauffe les vendeurs et les guides qui espèrent des touristes sur la grande esplanade du quartier de Kliptown. C'est ici, à Soweto, qu'en 1955 a été adoptée la Charte de la Liberté par le parti ANC et ses alliés : elle regroupe une série de principes pour établir une Afrique du Sud démocratique, une fois le système de l'apartheid démantelé.

Thabo propose des visites des lieux aux rares touristes qui s'aventurent dans le township. Il connaît de mémoire les différents paragraphes de la Charte, gravés au sein du mémorial, comme « tous les groupes nationaux doivent être égaux en droits » ou encore « la terre doit être partagée entre ceux qui la travaillent ». « Mais regardez, on est à Kliptown, et les habitations informelles sont majoritaires ici, déplore-t-il. L'ANC a brisé le coeur des gens ».

« Je dis cela sans doute à cause de mon âge, puisque je n'ai pas vécu ce qu'a vécu ma grand-mère, reconnaît le jeune homme énergique de 32 ans. Mais j'ai l'impression que tout le monde s'en fiche, et parmi ceux qui viennent faire campagne ici, les gens ne se soucient que de leurs propres intérêts ».

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Les sondages s'accordent pour placer l'ANC juste sous la barre des 50 % des voix au niveau national. Loin des 57,5 % de 2019, un score qui était déjà historiquement bas. Pourtant, le parti historique de Nelson Mandela a encore son mot à dire : la colère de Thabo ne se transformera, par exemple, pas en vote pour l'opposition, puisque le guide touristique a décidé de ne pas mettre son bulletin dans l'urne.

Thandi, qui vend des vêtements d'occasion dans un marché couvert au coin de la rue, veut pour sa part croire au changement :« En 30 ans, je n'ai vu aucune transformation, donc j'espère que mon vote fera bouger les choses. » Son petit revenu fait vivre toute sa famille, alors que ses deux enfants sont au chômage. « C'est la première fois que je ne voterai pas ANC, ajoute la femme de 53 ans. Je vais peut-être essayer l'Alliance démocratique ».

Un choix auquel ne se résigne pas Robinson. Le sexagénaire veut, faute de mieux, continuer d'avoir foi en l'ANC : « Ils disent qu'ils nettoient le parti, car il y avait trop de corruption. S'ils le font vraiment, ça va aller. Un nouveau parti, ça leur prendrait encore 30 ans pour tout reconstruire. » Malgré ses déceptions face au chômage, qui touche 32,9 % de la population, le retraité n'est pas encore prêt à tourner le dos à la formation qu'il soutient depuis 1994 : « Je pense qu'ils ont compris leurs erreurs et vont les corriger. »

Un discours qui résonne avec l'analyse du chercheur en sciences politiques Michael Braun : « Beaucoup de gens vont dire qu'ils sont intéressés par les autres partis, mais qu'ils veulent les voir accomplir quelque chose d'abord. Sinon, ils seront plutôt tentés de s'abstenir, ou bien de continuer à voter pour l'ANC, sur la base des quelques progrès accomplis. »

Au Cap-Occidental, à la conquête du vote métis

La circulation est alternée sur la petite route qui traverse le quartier de Leonsdale au Cap. C'est pour la bonne cause : du bitume est étalé pour combler les nids-de-poule. Heureux hasard, le maire du Cap est en campagne dans le coin pour l'Alliance démocratique (DA). Le deuxième parti d'opposition à l'échelle nationale est au pouvoir à la mairie et à la province.

Geordin Hill-Lewis est ici en terrain conquis. La communauté métisse (appelée « coloured » par les locaux), vote massivement pour la DA et il veut s'assurer que cela continue ainsi. Un gros score dans la province du Cap-Occidental est nécessaire pour espérer menacer l'ANC à l'échelle nationale. Mais Geordin Hill-Lewis redoute l'ascension de l'Alliance patriotique (PA), un parti qui vise les déçus de sa politique, parmi la communauté métisse. « C'est notre plus grande menace dans la province, moins dans la ville », évalue le maire.

C'est pourtant bien la ville du Cap et le stade d'Athlone que l'Alliance patriotique a choisis pour son dernier grand rassemblement politique. Les déçus du parti au pouvoir dans la province sont nombreux, le stade est rempli. Ils estiment que leur communauté, qui souffre de préjugés liés aux gangs et à la drogue, est oubliée. « La DA ne s'occupe que de sa population : les riches. Mais comme l'a dit monsieur McKenzie [Gayton McKenzie, le chef de la PA, NDLR], il va ramener les métis autour de la table », espère Shawn Cogill.

La communauté métisse est la première population du Cap-Occidental et une érosion des voix parmi cette base électorale, au profit de l'Alliance patriotique, a de quoi inquiéter l'Alliance démocratique. « Ils ciblent les communautés vulnérables et leur font d'énormes promesses qui sonnent bien, mais ne sont pas réalisables », tente de dégonfler Alan Winde, le président de la province.

De son côté, l'ANC ne baisse pas les bras et peut espérer séduire une partie de la communauté métisse et musulmane qui se mobilise contre la guerre à Gaza. Le Cap a connu la plus grosse manifestation contre la guerre et l'ANC est un soutien historique de la cause palestinienne. À la sortie du meeting de l'Alliance patriotique à Athlone, des manifestants pro-palestiniens chantaient pour Gaza aux abords du boulevard.

Le KwaZulu-Natal : la grande inconnue

À l'est du pays, la petite ville de Nongoma, qui abrite le palais du roi des Zoulous, s'est parée de couleurs multiples. Du jaune, du vert, du rouge, du bleu : les pancartes politiques ont recouvert tous les pylônes des environs. Et sur de grandes affiches, apparaît toujours le visage du prince Mangosuthu Buthelezi, décédé en 2023, mais qui reste la figure de l'Inkatha Freedom Party (IFP).

La région du KwaZulu-Natal (KZN) est un territoire très disputé, puisqu'elle est la deuxième la plus peuplée du pays et que son coeur balance. Historiquement terrain de lutte entre l'ANC et l'IFP, la zone pourrait être redéfinie avec l'émergence de nouveaux partis, notamment le uMkhonto we Sizwe (MK) de l'ex président Jacob Zuma, natif de ces terres. Même s'il ne peut être élu à cause de son casier judiciaire, après une décision de la Cour Constitutionnelle, son visage continue d'être le symbole de sa formation politique.

Au niveau de la station de minibus, les vendeuses de boissons - pagne autour de la taille - interpellent les passagers, qui se dépêchent de trouver une place pour leur destination. Parmi les passants, Lindeni, 35 ans et au chômage, veut donner sa voix à ce parti de l'ancien président, encore très populaire : « J'aime le MK, ils nous promettent des emplois. Et puis, on a toujours adoré [Jacob] Zuma, même quand il était encore avec l'ANC : il a beaucoup d'humour, il peut chanter, c'est quelqu'un qui est décontracté. » Mais pour d'autres comme Sabelani, 37 ans, l'hésitation prévaut : « Pour l'instant, c'est confus, je ne sais pas trop quoi faire. Mais une chose est sûre, je vais voter. Peut-être que je déciderai une fois dans la queue ! »

Alors, afin de convaincre les indécis, les militants sillonnent le KZN depuis des semaines. Des poids lourds de l'ANC se sont succédé sur le terrain : de l'ancien président Thabo Mbeki, à l'actuel président Cyril Ramaphosa, en passant par Nkosazana Dlamini-Zuma, elle aussi originaire de la région, comme son ancien mari.

Ils ne sont pas seuls, puisque l'AD mise également sur son maire local, Chris Pappas, qui parle couramment le zoulou et veut remporter la présidence de la province. L'Economic Freedom Fighters (EFF), formation de gauche radicale, n'est pas en reste, et organisait récemment une manifestation, pour dénoncer l'état et la gestion de l'hôpital public de Nongoma.

« Je pense que cette année, cela va être très intéressant, prédit la reine Precious Thabisile Zulu, à la tête de la maison royale de eMatheni. Il y a des nouveaux partis qui ont émergé. Et les gens se plaignent, qu'après 30 ans, ils ne voient rien qui ait changé. Surtout les gens dans les zones rurales. Tout le monde veut du changement. » Avec peut-être, à la clé, des coalitions qui verront le jour, à la fois au niveau national et au niveau local.

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