Ile Maurice: La majorité a toujours raison, mais la raison n'a pas la majorité aux élections

Élections : une affaire de chiffres, personnes, consciences, circonstances, hasards, familles et dynasties. Mais à chacun un vote, tous égaux pour une fois ! On toise le million d'électeurs pour les législatives de 2024. Un nombre, encore une fois record, qui ne peut que nous interpeller. Car il remet en juste perspective la densité et la diversité aux foules des meetings et autres partisans que chaque bloc se dispute.

Si, en termes de nombre, les femmes demeurent, comme à l'accoutumée, à la traîne sur les listes des leaders, en revanche, les mêmes patronymes, fringants et souriants, continuent d'occuper les devants de la scène et sont même annoncés comme des top of the list.

En 1982, Anerood Jugnauth, alors fringant quinquagénaire, et Paul Bérenger, quadragénaire à la moustache noire, jadis champions de la lutte des classes - et non des races - jouaient aux révolutionnaires pour chasser du pouvoir sir Seewoosagur Ramgoolam (alors âgé de 82 ans). Aujourd'hui, le fils de SSR, aidé du même Bérenger, et jusqu'à tout récemment du fils de SGD, aspire à reconquérir le pouvoir politique des mains du clan Jugnauth. Et nous, docilement, nous irons voter. Encore une fois sans broncher. Nous n'avons pas le choix, dit-on. Comme si on n'avait jamais le choix.

Dans pareil contexte, ce n'est pas une surprise si l'élite politique n'arrive pas à se renouveler. En termes de transmission, elle ne fait confiance à personne, sauf à ses fils et filles de sang, pour gérer la caisse noire du parti.

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À voir le ton de cette campagne, l'accumulation de coups bas, la bassesse des arguments, l'élection alimentera certainement une volonté permanente de revanche et laissera, dans les rapports personnels entre nos chefs, des cicatrices qui pourraient rester ouvertes. Tout ceci pourrait compromettre l'espoir d'un retour rapide à une certaine normalité démocratique.

Et sur le plan économique, la spirale de promesses ajoutera plusieurs dizaines de milliards au Budget. Mais n'oublions pas un principe cartésien qu'on doit défendre : quel que soit le gouvernement, l'État doit continuer à tourner, les ministères doivent fonctionner. On ne doit pas enrayer la machinerie gouvernementale. Aucun parti politique ne peut gouverner une société aussi complexe que la nôtre en disposant de seulement 30 à 35 % de soutien populaire, soit avec 60 à 70 % du pays contre lui, comme l'a laborieusement fait le MSM jusqu'ici.

Gouverner l'île Maurice avec un mandat clair et une majorité parlementaire incontestable n'est déjà pas, en temps normal, une simple affaire ! «Face à l'accumulation des défis économiques internationaux et locaux qui nous guettent, face au besoin de rassembler la nation après cette élection qui s'annonce dure et haineuse, il nous faudra un gouvernement déterminé, avec des priorités bien définies, capable de prendre des décisions courageuses et non un gouvernement timoré et lâche, hanté par l'obsession de défections et soumis à la vénalité des transfuges potentiels», confiait notre confrère Lindsay Rivière. Nietzsche, lui, disait : «Lorsque ne vont aux urnes que les deux tiers à peine, et peut-être même pas la majorité de tous les inscrits, c'est en somme un vote contre le système électoral tout entier.» Et pour qu'un écolo gagne les élections, comme l'affirmait Coluche, il faudrait faire voter les arbres...

Un pays qui ne connaît pas son histoire vogue comme un navire sans gouvernail. Le rappel des événements politiques suivant les législatives de septembre 1991 se révèle pertinent. Le passé éclaire le présent. Et celui qui ne connaît pas l'histoire est condamné à la revivre... C'est ainsi ! Le PTr et le PMSD ont déjà mis en doute la légitimité des élections. En 1991, le bloc PTr-PMSD avait évoqué de sérieuses irrégularités. L'opposition avait saisi la justice et demandé à la Cour suprême d'invalider l'élection des candidats du MSM et du... MMM (alors en alliance avec Jugnauth). Raisons évoquées à l'époque par l'opposition PTr-PMSD contre le bloc MSM-MMM : «malpractices» et «undue influence and illegal practices».

Fait historique notable : le MMM n'avait pas vraiment répondu aux critiques des Rouges et des Bleus quand les choses marchaient bien, en couple, avec le MSM. Mais après le divorce de 1993, intervenu après la défaite du MMM à la partielle de Beau-Bassin, le parti de Paul Bérenger change de ton et commence à faire, lui aussi, état des irrégularités et de l'abus de l'appareil d'État aux législatives de 1991. Mais c'était deux ans après les faits. Et en attendant, la Constitution avait été amendée pour protéger le régime de Jugnauth avec le soutien des Mauves.

C'est le projet républicain, mis en oeuvre quelques mois après les élections, qui a engendré une série d'amendements législatifs, dont les changements apportés aux articles 36 (1991) et 37 (1992) de la Constitution. Pour le premier amendement, le gouvernement MSM-MMM a voulu protéger ses élus face à une contestation de l'opposition (conseillée alors par sir Gaëtan Duval) par rapport aux affiches illégales placardées par les agents de ces derniers dans plusieurs circonscriptions.

Mais en essayant de protéger ses arrières, le gouvernement mené par le tandem SAJ-Bérenger, fort de sa majorité des trois quarts, a voté pour une loi ayant une rétroactivité de 25 ans ! L'article 36 avait été amendé «to uphold the election of every parliamentarian between 1967 and 1991 regardless of whether 'any person has committed an offence against an electoral law by reason of any act or omission in relation to printing, publishing or posting of any bill, placard or poster». En d'autres mots, sous le couvert républicain, il fallait protéger, selon le MSM-MMM, des élus, même s'ils avaient violé la loi électorale...

Le deuxième amendement, celui de l'article 37, rendait - et rend toujours - le recours au Privy Council quasi-impossible dans certains cas.

Le temps passe et aujourd'hui, les lois votées par le MMM sonnent comme des notes discordantes alors qu'il se bat aux côtés du PTr. Le MSM, lui, peut les laisser venir.

Et puis, de toutes façons, les alliances sont tellement volatiles que ce qui est le cas aujourd'hui risque de ne plus l'être demain.

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