La culture politique à Madagascar, la campagne électorale en particulier, a évolué de la deuxième moitié des années 1940 à nos jours.
Élites : références de tous. Durant la colonisation, lors des élections législatives, les candidats utilisaient ce que l'historien, le Dr Alexandre Lahiniriko, appelle la « pesanteur sociologique ».
« Ils se mettaient devant des personnalités phares de la société comme les pasteurs, les prêtres, les commerçants et les instituteurs. Car ces gens sont influents dans leurs localités. Ils proféraient des paroles pour faire craindre la population... Si vous ne votez pas telle personne, vous n'aurez pas la grâce de Dieu, disaient par exemple les chefs religieux. Pour leur part, les commerçants ne prêtaient pas d'argent à ceux qui étaient dans le camp adverse... Quant aux instituteurs, ils traitaient les opposants d'arriérés et d'anti-développement car ces derniers étaient des porteurs de connaissance », a-t-il expliqué. Donc, un peuple avide de connaissance en agissant avec sagesse est le leitmotiv.
Naturellement, les électeurs basculent vers le postulant qui avait plus d'hommes influents. Ce système de communication a été pratiqué du temps de Philibert Tsiranana. Étant lui-même instituteur, son parti a dominé pendant plus de 12 ans. Élu le 30 mars 1965, ce locataire d'Andafiavaratra se succède à lui-même en 1970 avec 98% des voix. Vu le score, le père de l'indépendance a prouvé que la stratégie était efficace. Cet art de manoeuvre sera toutefois la cause de sa chute.
La campagne, une voix de plus. Après avoir vécu trois années sous le directoire militaire, le pays est tombé entre les mains d'un jeune officier de 39 ans. Ancien ministre des Affaires étrangères du régime Gabriel Ramanantsoa, le capitaine de frégate Didier Ignace Ratsiraka était l'homme de la situation. Brillant et perspicace, le jeune président a tourné la page de la Première République. Influencé par l'idéologie du bloc de l'Est, à savoir l'Union Soviétique, la Corée du Nord et tardivement le Cuba de Fidel Castro, il va mener un discours politique favorable à la couche paysanne.
« Il était, en quelque sorte, ce président qui se souciait des pauvres. Son point fort, il connaissait les noms des villages assez lointains. Il insérait au moins le nom de deux ou trois villages de campagne dans ses propos. C'est de cette manière qu'il a pu séduire les cultivateurs », a témoigné Pierre Hasindrazana, un contemporain de la Deuxième République. Il faut tout de même souligner que Didier Ratsiraka était un homme éloquent, ce qui lui a permis de convaincre la classe bourgeoise. Sélectif, il choisissait des candidats potentiels afin que son parti gagne la majorité aussi bien aux législatives qu'aux municipales.
Par ailleurs, il est le précurseur du courant de pensée centré sur le populisme. « Lui et ses collaborateurs étaient les premiers à faire des dons au peuple lors de la campagne électorale. Les draps, les habits, les ustensiles de cuisine ont été attribués aux défavorisés. Évidemment, ils gagnaient le coeur de ces derniers ! », raconte un ancien politicien.
Tout pour le paraître. Bien entendu, l'histoire a évolué. La pratique a pris une autre dimension au début des années 2000. Vieillissant, l'amiral Rouge semble déconnecté de la réalité. Un jeune entrepreneur le renverse. Celui-ci n'hésite pas à dire qu'il est issu du bas peuple, un laitier autodidacte devenu milliardaire ! Sa biographie fait fondre en larmes. Son pragmatisme fascine...
Néanmoins, il n'a pas tout à fait délaissé la stratégie de ses prédécesseurs. De surcroît, des artistes, en l'occurrence Babaïque à Ambanja et Bemamy Fandrama à Antsiranana II, ont été désignés pour se présenter aux élections législatives. Étant adepte de l'idéologie capitaliste, Marc Ravalomanana se lance dans l'élection concurrentielle. Pendant sept ans de règne, le self-made man ne finira pas son deuxième mandat. Andry Nirina Rajoelina prend le relais.
Charismatique au début, ce fondateur du parti TGV a bien appris la leçon. Il va par la suite développer un système de communication encore plus attrayant. La technologie électorale est sa tasse de thé. Sa montée en puissance coïncide avec l'avènement des réseaux sociaux. Il fera parler de lui et de son entourage. En outre, une panoplie d'artistes lui prête allégeance.
En somme, la culture politique malgache a progressivement changé. Cependant, la manipulation de masse, les clashs entre les candidats sans « fair-play », le « faire-plaire à tout le monde », les débats sans contenu, et le paraître restent les principes de base pour gagner la voix de la population.