Ile Maurice: Quand la fièvre budgétaire fait monter la température électorale

D'ici la semaine prochaine, le pays vivra à l'ère budgétaire avec la dernière droite avant la lecture, le 7 juin, du cinquième et dernier exercice de l'actuel ministre des Finances.

Pour le moment, lui et ses techniciens, enfermés dans leurs bureaux, mettent la dernière touche aux grandes mesures sociales, celles qui auront l'arbitrage du Premier ministre, Pravind Jugnauth, et qui, espère-t-il, peuvent potentiellement peuvent faire pencher la balance lors des prochaines élections générales.

Il ne faut pas s'attendre à de grandes réformes dans le prochain Budget, car le ministre des Finances l'a déjà fait en finançant l'architecture économique et infrastructurelle dans ses précédents Budgets, plus particulièrement dans le sillage de la crise pandémique, à coups de milliards à travers la Banque de Maurice par le biais de la planche à billets à hauteur de Rs 140 milliards.

Pour son grand oral du 7 juin, le ministre veut faire le bilan de ces cinq ans au Trésor public avant les annonces qu'on peut imaginer d'ores et déjà populistes, compte tenu de l'imminence des élections générales et de la surenchère de promesses électorales auxquelles se livrent sans vergogne les formations politiques.

Padayachy peut clamer sur tous les toits qu'il a fait le job, à savoir éviter l'écroulement de l'économie avec le risque que 100 000 personnes soient jetées au bord de la route suivant les deux confinements successifs du pays en 2020 et 2021. Et que, dans la foulée, il a pu raviver l'économie, passant d'une croissance négative de 14 % en 2020 à un taux de 4,9 % cette année, selon le Fonds monétaire international (FMI) et de 6,5 % à en croire les projections du ministre.

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Aujourd'hui, le tandem Jugnauth/Padayachy compte s'appuyer sur l'ultime exercice budgétaire pour frapper l'imaginaire collectif de la population avec des mesures, non fuitées jusqu'ici mais qui, comme les années précédentes, vont cibler tous les segments de la population.

Avec la seule différence que cette fois-ci, il doit démontrer que tout en ne copiant pas les mesures phares annoncées le 1eᣴ-Mai par l'alliance de l'opposition, le MSM et ses alliés peuvent proposer mieux en faisant l'«extra mile» pour séduire une majorité de la population. Des mesures sans doute «populistes» que le leader du MSM va pouvoir vendre dans la campagne électorale pour engranger des dividendes politiques.

Ces derniers temps, à l'instar d'un meeting de mobilisation, le MSM veut adopter la même posture pour le «Budget Speech» avec un «build-up» médiatique autour de cet événement phare dans la vie économique du pays, avec notamment des posters du Premier ministre et de son ministre des Finances circulant sur les réseaux sociaux. Le mot d'ordre des agents : s'assurer que le maximum de foyers suivent religieusement le discours du Budget de Renganaden Padayachy à travers la station nationale, assorti de l'intervention de Pravind Jugnauth qui y donnera nécessairement une coloration politique dans le contexte électoral actuel. Il s'agit de démontrer que chacun y trouvera son compte...

Cependant, les spécialistes ont, d'ores et déjà, tiré la sonnette d'alarme, conscients qu'en termes de dépenses publiques, le gouvernement franchirait fort probablement la ligne rouge avec des largesses économiques et sociales. D'autant que, disentils, cela aura été une constante dans sa politique sociale ces dernières années. Anthony Leung Shing, Country Senior Partner de PwC, est catégorique. Dans l'interview qui suit à la page 12, il soutient que «ce gouvernement a ouvert grand les vannes des dépenses, avec un relâchement de la discipline budgétaire». Il rappelle que «les mesures coûteront cher sur le long terme» et que «le Budget ne doit pas encore donner des cadeaux à tout le monde».

Oui, mais la voix d'un expert, aussi rationnelle et sensée qu'elle puisse être, sera inaudible auprès d'un ministre qui est davantage dans une logique politicienne qu'économique. Même si les prestations coûtent actuellement Rs 70 milliards annuellement, soit la dépense publique la plus élevée.

Au fil des semaines, à la faveur des consultations pré-budgétaires, le ministre Padayachy a su tâter le pouls des préoccupations des décideurs économiques, tout comme de la population et des travailleurs dans leur ensemble.

Il saura, par exemple, qu'une des urgences auxquelles font face les opérateurs engagés dans divers secteurs industriels est l'incapacité de trouver de la main-d'oeuvre locale, qu'elle soit dans l'agriculture, le textile, la construction ou plus largement dans la manufacture Made in Moris. Compte-t-il rendre les procédures d'importation des étrangers moins contraignantes, comme le réclament certains opérateurs économiques ?

Ce n'est pas un phénomène nouveau auquel des entreprises font face et sont condamnées à avoir recours à la maind'oeuvre étrangère, qu'elle soit indienne, chinoise, bangladaise, malgache ou encore népalaise, pour assurer la croissance de leur activité et maintenir leur niveau de compétitivité.

Il faut s'attendre à ce que ministre vienne avec des solutions concrètes car dans certaines petites et moyennes entreprises, la situation se complique davantage face l'augmentation du salaire minimum qui, visiblement, a rendu la main-d'oeuvre extrêmement rare.

«Je ne suis pas opposée au salaire minimum, mais il est nécessaire d'avoir un filet de protection contre les produits importés. D'un côté, les salaires ont augmenté, tandis que de l'autre, les prix des matières premières ont explosé. Cela nous plonge dans une situation difficile», lâche la présidente de SME Chambers, Maya Sewnath. Elle s'est confiée à l'express dans le cadre de notre dossier sur les attentes budgétaires. Tout comme le secteur agricole, qui souffre d'un manque de bras et dont les planteurs, qui vieillissent, ne se soucient guère de leurs plantations, se contentant désormais de leur pension.

Pour autant, c'est face la cherté de la vie que Renganaden Padayachy est attendu au tournant. La problématique de la hausse du coût de la vie est aujourd'hui largement ressentie par toutes les classes sociales et il faudra savoir comment il compte s'y prendre.

Tous les économistes s'accordent à dire qu'à la base de cette situation se trouve la dégringolade de la valeur de la roupie face aux principales devises étrangères depuis 2019. Or, pour stabiliser la monnaie locale, il n'y a pas mille solutions. Il faut impérativement qu'elle gagne la confiance de la population comme celle du monde des affaires. Évidemment, c'est «easily said than done», diront certains.

Attendons la recette de Padayachy...

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