Tunisie: Emigration irrégulière - Face à l'inconnu, des fortunes diverses

Image d'illustration - Tunis

«C'est maintenant que commence l'odyssée qui nous attendait à Tripoli. Première mauvaise nouvelle : le passeur congolais vers lequel on nous a orientés depuis le Mali pour diriger l'opération de notre traversée vers l'île de Lampedusa était introuvable. Ce n'est que deux jours plus tard que nous avons appris qu'il a été abattu d'une balle dans la tête par un gang rival». D'après une histoire vraie...

N'en déplaise à ceux qui, pour une raison ou une autre, s'efforcent de dramatiser la question de la migration irrégulière des Subsahariens en Tunisie, en s'acharnant à mettre de l'huile sur le feu, on peut dire aujourd'hui que cette question a beaucoup perdu de son acuité. Primo, parce que nos frontières terrestres et maritimes, hier, il est vrai, poreuses, sont désormais suffisamment bien gardées et fortement étanches, à la faveur d'importants renforts en hommes et en équipements de surveillance sophistiqués.

Et sur les 52.972 personnes arrêtées depuis le début de l'année, 92% sont des Subsahariens. Secundo, il y a de quoi se rassurer en voyant les forces de sécurité appuyer sur l'accélérateur et augmenter considérablement les points marqués dans leur lutte contre les abus et méfaits (vols, braquages, meurtres, escroquerie et trafics de drogue, d'êtres humains, de billets de banque, prostitution...) perpétrés par des migrants subsahariens. Et ce n'est pas un hasard si quelque 1.100 d'entre eux, selon les chiffres officiels du ministère de l'Intérieur, ont été mis en examen puis emprisonnés.

Le bon, la brute et le truand

Tertio, comme il y a la brute et le truand, il y a aussi le bon (pour reprendre le titre de l'inoubliable film spaghetti de Sergio Léone). En effet, sur les 25 mille Subsahariens en situation irrégulière recensés par le ministère de l'Intérieur (MI), on compte de plus en plus de personnes qui ont décidé de renoncer à l'eldorado européen, en choisissant de s'installer en Tunisie, pour travailler et espérer refaire leur vie. C'est pourquoi on les voit tous les jours, qu'il pleuve, qu'il vente et si torride que soit la chaleur, sillonner les rues et les cités, frapper aux portes des entreprises et des établissements commerciaux à la recherche d'un emploi.

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Pour le moment, a-t-on constaté, ils sont de plus en plus nombreux à se faire recruter par les chantiers de bâtiment, les champs agricoles, les stations-services, les sociétés de nettoyage, les restaurants, les cafés et commerces de distribution. «On les enrôle parce qu'ils travaillent tels des forcenés, ce qui tranche avec le peu de sérieux et d'application de la main-d'oeuvre locale», nous dit, sous le couvert de l'anonymat, le propriétaire d'un café de la capitale qui s'étonne de l'imposition d'interdiction de leur recrutement.

«Je suis, tempête-t-il, totalement contre cette mesure, dans la mesure où il s'est avéré que dès qu'il est embauché, le migrant subsaharien s'assagit, ne répugne pas à l'effort et tente de s'intégrer progressivement, renonçant ainsi à toute tentation d'évasion à Lampedusa, à condition, bien sûr, qu'il soit traité sur un pied d'égalité que les autres employés».

Odyssée

Laurent Dokambo en est une parfaite illustration. Ce jeune Malien de 24 ans que l'invasion migratoire a déposé en Tunisie, affirme avoir repris goût à la vie depuis qu'il a été recruté comme comptable par une entreprise tunisienne de bâtiment. «Au début, raconte-t-il, ils n'ont pas voulu me prendre pour je ne sais quelle raison.

Mais, dès que j'ai pu, au terme de plusieurs tentatives infructueuses, approcher le patron de la boîte au parking de la société, le problème est résolu, grâce à la compréhension de ce dernier. Deux mois m'ont suffi pour imposer ma compétence et gagner la confiance de tout le monde. Aujourd'hui, Dieu merci, je gagne bien ma vie. Mais, à quel prix ?». Il l'a dit d'un air subitement grave, comme s'il cachait quelque chose qui bouillonnait au tréfonds de son âme.

Le passeur introuvable

Écoutons-le. «Tout a commencé, se remémore-t-il, au mois de juin dernier dans mon bled natal situé à 125 kilomètres de la capitale Bamako. Là où on a décidé, cinq amis et moi, de tenter l'aventure pour aller en Europe. Un continent qui représentait notre rêve constant presque une obsession. Notre volonté d'émigration a été motivée par la persistance de la conjoncture difficile par laquelle passait le pays, ainsi que par les menaces terroristes qui perduraient. Dans notre plan d'action, tout devait se jouer en Libye, la Tunisie n'étant pas incluse. Il fallait donc agir selon le plan.

Embarqués à bord du camion de notre passeur malien, on a mis près de trois jours pour arriver à destination. Et c'est maintenant que commence l'odyssée qui nous attendait à Tripoli. Première mauvaise nouvelle : le passeur congolais vers lequel on nous a orientés depuis le Mali pour diriger l'opération de notre traversée vers l'île de Lampedusa était introuvable. Ce n'est que deux jours plus tard que nous avons appris qu'il a été abattu d'une balle dans la tête par un gang rival. Qu'à cela ne tienne, disions-nous, car ce ne sont pas les réseaux de passeurs qui manquaient dans ce pays.

Or, chaque réseau qu'on approchait exigeait des montants exorbitants. Et comme nos économies commençaient à se réduire comme peau de chagrin, on n'avait plus qu'à chercher du boulot, afin de pouvoir, ensuite, financer notre opération de migration à destination de Lampedusa. Malheureusement, trois semaines après notre enrôlement par une usine de sidérurgie, on nous a, sans crier gare, mis à la porte. Et puis un jour, nous avons été, mes compagnons de route et moi, victimes d'un braquage nocturne suivi de 48 heures de séquestration et de torture. Le tout oeuvre d'un gang armé».

«Votre pays est si beau et hospitalier»

Prenant un temps mort pour reprendre son souffle, Laurent poursuit, les yeux mi-clos, presqu'au bord de l'effondrement. «Après ce calvaire, se souvient-il, d'autres souffrances nous attendaient. En effet, nos modestes économies s'étant volatilisées, et face à l'impossibilité de payer la traversée au Vieux continent, on n'avait plus qu'une solution, une seule : rallier la Tunisie, pays que tous les migrants considèrent comme plus stable et sécurisé que la Libye, outre le fait qu' il offre de meilleures opportunités.

Sitôt dit, sitôt fait, nous voilà condamnés à taper, tantôt sous la pluie, tantôt sous un soleil de plomb, plus de 600 km à pied. Dans cette expédition des plus harassantes et périlleuses, nous étions plus de 260 Subsahariens de différentes nationalités à le faire en groupes. Et c'est en pleine nuit que nous avons pu, la peur au ventre, franchir les pistes sahariennes longeant les frontières tuniso-libyennes.

Au décompte final, pas moins d'une cinquantaine de nos compagnons, épuisés, ont abandonné la marche, tandis que deux autres ont péri, sous le double effet de la soif et de la fatigue. Déjà, en cours de route, on nous disait et répétait à l'infini que la région de Sfax, en tant que grand pôle commercial et industriel, serait notre salut et que cette ville compte le nombre le plus élevé d'experts en matière d'organisations de sorties maritimes clandestines à destination de l'Europe.

Sauf que, par un jour de cafard je suis tombé, par hasard, sur facebook, sur l'adresse e-mail d'un de mes concitoyens maliens vivant en Tunisie, dans la région de l'Ariana. Le gars, célibataire de son état, m'a agréablement surpris par sa gentillesse, en m'invitant à venir partager avec lui le studio qu'il habitait. Étant donné la situation désespérée dans laquelle je pataugeais, il aurait été bête de rater une si précieuse aubaine. C'était là le début de la fin de ma tragédie...»

Aujourd'hui, Laurent Dokambo affirme se sentir bien dans sa peau. Il semble avoir oublié sa terrible odyssée. «Votre pays, souligne-t-il, tout sourire, est si beau et hospitalier que je rêve d'y vivre éternellement, et l'idéal serait de commencer par épouser une jeune Tunisienne pour fonder un foyer». A méditer...

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