Afrique: Appliquer la recherche sur l'adaptation au changement climatique « en temps réel »

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30 Mai 2024

Londres — Les investissements dans la recherche sur l'adaptation au changement climatique, annoncés dans le cadre de la COP28, ont pour objectif de trouver de toute urgence des solutions qui reposent sur des éléments concrets, écrit Sarah Wild.

Les pays du Sud global faisant déjà les frais du changement climatique, la recherche sur l'adaptation doit avoir un impact immédiat sur le terrain, tout en étant rigoureuse d'un point de vue scientifique, selon les spécialistes de l'action en matière de protection du climat.

« Avec la crise climatique, nous ne pouvons pas nous permettre de relâcher nos efforts et de mener des programmes de recherche conventionnels sur deux, cinq, voire 10 ans, avant de tirer profit des résultats obtenus », estime Jesse DeMaria-Kinney, responsable du secrétariat de l'Alliance pour la recherche sur l'adaptation (ARA).

"Il faut prendre des décisions et des mesures dès maintenant, et elles doivent reposer sur des éléments incontestables"Jesse DeMaria-Kinney, ARA

Les effets du changement climatique alimenté par les gaz à effet de serre produits par l'activité humaine, se font sentir de manière aiguë dans les pays du Sud global, au fur et à mesure que les températures augmentent, que les saisons sont perturbées, et que certains phénomènes météorologiques extrêmes, comme les inondations et les orages, se font plus fréquents et plus intenses.

L'adaptation, qui implique de modifier les systèmes écologiques, sociaux ou économiques pour les rendre plus aptes à faire face aux risques du changement climatique, « est un élément essentiel de la réponse mondiale à long terme au changement climatique pour protéger les personnes, les moyens de subsistance et les écosystèmes », selon la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques.

La difficulté réside dans le fait que la recherche, telle qu'elle est menée traditionnellement, est une recherche à long terme, avec des délais importants. Ce modèle n'est pas adapté à au changement rapide du climat.

« Il faut prendre des décisions et des mesures dès maintenant, et elles doivent reposer sur des éléments incontestables », estime Jesse DeMaria-Kinney. « Mais nous devons faire en sorte que la recherche soit plus flexible, reposant sur un processus itératif et continu, en parallèle à sa mise en oeuvre. »

Recherche appliquée

L'année dernière, dans le cadre de la COP28, le sommet de l'ONU sur le climat qui s'est tenu à Dubaï, l'ARA a annoncé avoir mobilisé plus de 3,8 millions de dollars d'investissements dans une recherche appliquée pour répondre aux besoins les plus pressants en matière d'adaptation des populations les plus exposées aux conséquences du changement climatique.

L'ARA, inaugurée en 2021, est une coalition mondiale d'organisations engagées dans la recherche appliquée sur l'adaptation. Ses 250 membres comptent des organisations intergouvernementales très diverses, qui vont du Programme des Nations unies pour l'environnement à de petites organisations communautaires.

« La recherche appliquée constitue une réorientation fondamentale de l'approche de l'ARA en matière de recherche sur l'adaptation au changement climatique », ajoute Jesse DeMaria-Kinney.

« Ce type de recherche se concentre vraiment sur l'impact que subissent les populations qui sont en première ligne du changement climatique, en renforçant les compétences tout au long des processus de recherche. Par ailleurs, la recherche est réalisée en impliquant les personnes qui en seront les utilisateurs finaux. »

La recherche appliquée diffère de la recherche traditionnelle, dans le sens où elle se poursuit pendant que certains des résultats sont déjà mis en oeuvre sur le terrain, explique-t-il. Il ajoute que le principe de ce type de recherche est « d'apprendre en faisant ».

Il souligne que la recherche appliquée doit être axée sur les besoins des communautés touchées, en travaillant avec elles pour concevoir des projets et trouver des solutions qui auront un véritable impact sociétal.

L'un des principaux investissements annoncés par l'ARA concerne le nouveau Research 4 Impact Hub (Centre de recherche pour un impact -R4I), mis en place dans le cadre du programme de recherche intitulé « Climate Adaptation and Resilience » (« Adaptation au changement climatique et résilience », CLARE), conçu et dirigé par le ministère britannique des Affaires étrangères, du Commonwealth et du développement, en collaboration avec le Centre de recherches pour le développement international (CRDI) du Canada.

« Cette décennie est cruciale », estime Bruce Currie-Alder, qui dirige l'équipe climat du CRDI. « Nous en savons souvent suffisamment pour agir, ajoute-t-il, et, à propos de la recherche appliquée, on utilise la recherche comme outil d'apprentissage en temps réel », en mettant immédiatement en oeuvre les conclusions et en les testant pour savoir ce qui a fonctionné et ce qui n'a pas marché, explique-t-il.

Il cite par exemple la façon dont certaines communautés en Afrique de l'Ouest anticipent une inondation, et la recherche qui peut être effectuée en amont pour prendre les mesures les plus efficaces. Pour rappel, en octobre 2022, plus de 3,4 millions de personnes ont été déplacées suite aux inondations au Nigeria, au Tchad, au Niger, au Burkina Faso, au Mali et au Cameroun.

« De quelle manière peut-on s'adapter, au niveau communautaire ? », s'interroge-t-il. Si une communauté est inondée, ses habitants seront-ils toujours en mesure de percevoir de l'argent pour faire face pendant l'inondation et juste après ? « Quelles mesures doivent être prises, 72 heures avant que l'eau ne commence à monter ? Telles sont de potentielles questions de recherche », affirme-t-il.

Les résultats des travaux de recherche pourraient être mis en oeuvre pour préparer la communauté à la prochaine inondation, explique-t-il, et les chercheurs pourraient alors s'atteler à déterminer si les mesures prises ont fait une différence et si elles peuvent être améliorées.

Une recherche efficace rapidement

Le nouveau Fonds pour les opportunités du centre R4I a pour objectif de traduire le savoir actuel et la recherche en applications pratiques pour les communautés du Sud global. Les financements des projets retenus vont de 11 000$ à 44 000$, et les mesures prises doivent être conclues dans les 12 mois, ajoute Bruce Currie-Alder. Le fonds est ouvert aux gouvernements et aux agences parapubliques, ainsi qu'aux ONG et aux organisations de la société civile qui souhaitent appliquer les acquis de la recherche sur le terrain.

« Au fil des années, j'ai entendu des gens dire par exemple : "Je n'ai pas le temps d'attendre qu'un nouveau projet de recherche soit opérationnel et qu'il apporte des solutions. Je ne dispose que de trois mois pour mettre quelque chose sur le bureau du ministre et faire en sorte que cet investissement ait un impact réel". Nous espérons que le centre sera en mesure de répondre à ce besoin » ajoute-t-il.

Il y a de nombreuses possibilités de financement, depuis les fonds internationaux importants comme le Fonds vert pour le climat, jusqu'aux initiatives nationales plus modestes, mais les projets de petite envergure, qui manquent d'arguments, peuvent passer entre les mailles du filet, indique Bruce Currie-Alder.

Par exemple, peut-être « qu'il y a une communauté qui investit des fonds locaux et se demande ce qui est préférable en termes d'infrastructure locale, un canal de drainage ou une nouvelle route », explique-t-il. « Ce sont des choses qui échappent parfois à un programme de recherche de grande ampleur. On ne peut pas contacter une université et dire : "Je veux qu'un doctorant fasse ceci ou cela" ». Mais le Fonds pour les opportunités du centre R4I pourrait mobiliser l'expertise et la recherche existantes pour apporter son aide.

Le Fonds de recherche privilégie les organisations qui disposent déjà d'un projet bien arrêté, qui ont besoin de conseils précis et savent ce qu'il leur faut. Il peut s'agir, par exemple, de bénéficier d'une expertise pédologique, d'un spécialiste de l'optimisation des systèmes énergétiques et hydriques ou, plus généralement, de mieux comprendre la recherche sur les décisions relatives à l'adaptation au changement climatique.

« Nous voulons tirer des enseignements des activités du Centre en 2024 et 2025, afin de voir si son financement doit être plus important et s'il doit proposer un plus grand choix d'options de financement », ajoute Bruce Currie-Alder.

Collaboration sur le terrain

Jenny Frankel-Reed, responsable de programme au sein de l'équipe du développement agricole de la Fondation Bill & Melinda Gates, confie à SciDev.Net que : « Nous devons faire en sorte que les travaux scientifiques soient mieux adaptés aux actions en matière de protection du climat ».

La recherche devrait aussi être dirigée par les régions affectées, estime-t-elle, avant d'ajouter : « en Afrique subsaharienne, on constate une inégalité : les populations qui souffrent des conséquences du changement climatique ne sont pas à l'initiative de la recherche de solutions. »

La fondation s'est engagée à débloquer 380 000$ pour faciliter l'organisation d'ateliers de « co-création » pour les petits exploitants agricoles dans deux pays d'Afrique, afin d'identifier de manière collective les pistes de recherche intéressantes. Elle n'a pas encore décidé du lieu où les ateliers se dérouleront.

« Cela vaut toujours la peine, en termes de temps et de coûts, de bien faire ce travail [de co-création] parce que les résultats sont plus durables, l'adhésion est plus importante, et les questions sont plus précises. En bref, cela présente de nombreux avantages », ajoute Jenny Frankel-Reed. Il s'agit là de l'un des principes fondamentaux de la recherche appliquée sur l'adaptation.

Environ 70 % des petits exploitants agricoles en Afrique relèvent de systèmes d'agriculture pluviale, qui sont particulièrement vulnérables au changement climatique et à ses conséquences : perturbation des saisons, variation des températures et phénomènes météorologiques extrêmes.

« Le caractère urgent de l'adaptation au changement climatique exige que notre recherche intègre les personnes qui sont affectées. Nous devons vraiment collaborer avec celles et ceux qui utiliseront les résultats obtenus », ajoute-t-elle.

« La recherche sur l'adaptation au changement climatique doit aussi veiller à ce que les compétences nécessaires se développent partout dans le monde, pour que les gens puissent également relever les défis qui les concernent directement. »

« Il y a une demande pour ce type de recherche », ajoute Jesse DeMaria-Kinney. « Pour l'ARA, cette demande fait que, de 33 membres, quand nous avons inauguré la COP26 [en 2021], nous sommes passés à 250 membres. »

La recherche sur l'adaptation appliquée au changement climatique « révolutionne » le modèle de recherche traditionnel, estime Bruce Currie-Alder. « Au lieu de dire, "Parlez-moi de votre idée, elle semble intéressante. En quoi a-t-elle un impact sur le travail proprement dit ? », on dit "Comment peut-on avoir un impact, et de quelle expertise avez-vous besoin ?". »

Cet article a été produit par l'édition mondiale de SciDev.Net.

Cet article a été produit avec le soutien de l'Adaptation Research Alliance (Alliance pour la recherche sur l'adaptation -ARA), une coalition mondiale qui soutient une recherche appliquée qui propose des solutions et réduit les risques générés par le changement climatique. Le secrétariat de l'ARA est hébergé dans les locaux de SouthSouthNorth, un cabinet de consultants à but non lucratif spécialisé dans la résilience climatique, basé dans la ville du Cap, en Afrique du Sud.

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