Tribune consacrée au bilan et aux perspectives de l'institution hôte, les assemblées annuelles de la Banque africaine de développement (BAD) sont aussi un lieu d'échanges de haut niveau sur les évolutions de notre temps.
Le 29 mai à Nairobi, la capitale du Kenya, à l'ouverture des assises de la BAD, le ton a été donné de constituer un bloc unanime autour des besoins du continent. C'est ainsi qu'en plus des appels multipliés à l'endroit des institutions internationales sur l'urgence de réformer l'architecture financière mondiale, les intervenants, parmi lesquels des chefs d'Etat, ont souligné que pour gagner la bataille de la souveraineté, son cheval de bataille depuis toujours, l'Afrique doit croire en elle-même et unir ses forces pour mieux agir sur la scène internationale.
Dans une salle de conférence de l'immense centre Kenyatta comble de monde, le président de la BAD, Akinwumi Adesina, a évoqué le parcours des soixante dernières décennies durant lequel, a-il indiqué, la Banque a rempli avec succès sa mission d'accompagner les pays membres dans leurs aspirations au développement. Quelque 5000 projets ont ainsi été financés, partant des infrastructures routières, sanitaires, éducatives, d'adduction d'eau, de connexion à l'électricité, au numérique, à la promotion de l'agriculture, à l'autonomisation des femmes et des jeunes.
Une « chance » pour l'Afrique
« La BAD est financièrement viable », a poursuivi l'orateur, promettant que l'institution ne déviera pas de son engagement de faire de l'Afrique un continent où il fait bon vivre. Le plaidoyer sur la réforme de l'architecture financière mondiale, thème de cette année, consiste à créer un environnement international dans lequel les mécanismes de financement du développement sont plus justes et plus équitables. Quand le débat fut lancé il y a quelques années, des réticences étaient perceptibles en Afrique même et surtout à l'extérieur.
Cette étape est passée, a ajouté Akinwumi Adesina, pour qui l'Union africaine et les gouvernements du continent doivent apporter l'appui qu'il faut à cette volonté partagée de rendre viable l'environnement économique mondial. Et même s'il quittera son poste l'année prochaine, après dix années au service d'une institution qu'il considère comme une chance pour l'Afrique, un pincement pour ses collaborateurs devant rester à travailler, Adesina demeure convaincu que la BAD est l'avenir de l'Afrique. Un optimisme partagé par les chefs d'Etat présents à Nairobi.
Débats enrichissants
Dans le cadre du segment présidentiel animé en deux panels autour du thème des assemblées, le président kényan, l'hôte de l'événement, a salué le leadership de la BAD et avancé plusieurs propositions tournées pour l'essentiel vers le raffermissement des liens entre Etats africains, les réformes à introduire dans le fonctionnement de l'Union africaine et notamment de sa commission qui devra disposer de plus de pouvoir qu'elle ne les détient aujourd'hui. Il a aussi plaidé pour la création d'une agence de notation typiquement africaine, capable à ses yeux de mieux évaluer la situation économique du continent que ne le font les agences extérieures. « Nous avons tout pour accomplir notre destin », a -t-il lancé.
A sa suite, ses homologues Denis Sassou N'Guesso (Congo), Paul Kagamé (Rwanda), Emmerson Mnangagwa (Zimbabwe), Hassan Sheikh Mohamoud (Somalie), Menfis (Libye), le président de la Commission de l'Union africaine, Moussa Faki Mahamat; l'ancien président mozambicain, Joachim Chissano; ainsi que les représentants des chefs d'Etat ont chacun développé des vues en faveur de la consolidation des acquis de la BAD.
Les emprunts consentis par l'Afrique pour financer des projets, les lourds taux d'intérêt appliqués par les bailleurs de fonds, le cercle vicieux du service de la dette, la sous-évaluation des richesses dont dispose le continent, la nécessaire reconquête de l'espace continental, à travers la construction des voies de communication, ont aussi préoccupé les panelistes.
Pour Denis Sassou N'Guesso, il est indispensable que les Etats africains soient reliés entre eux en vue de faciliter la circulation des personnes et des biens, et pour que la Zone de libre échange continentale africaine joue pleinement son rôle d'unification du continent. Pour cela, le temps de l'action devra l'emporter sur celui des déclarations. Paul Kagamé a insisté pour dire que l'Afrique doit parler non seulement d'une seule voix, mais d'une voix claire et faire comprendre à ses partenaires que l'interdépendance des besoins lie le sort de toutes les nations.
Emmerson Mnangagwa a plaidé pour une Afrique qui crée de la richesse et trouve son bonheur sur ses propres terres, notant, par ailleurs, les stigmates du passé colonial sur le développement du continent. Moussa Faki Mahamat a salué l'intégration de l'Union africaine au G20 qu'il considère comme une opportunité de dialogue avec les décideurs mondiaux, sans oublier le traitement inéquitable réservé à l'Afrique dans les instances internationales, mais également les faiblesses qui paralysent l'action de l'organisation panafricaine.
Pas de danse
Alors que la BAD célèbre les 60 ans de sa création le 10 septembre, un avant-goût a permis de voir que William Ruto, comme Akinwumi Adesina, ont un pas de danse remarquable. Au son d'un groupe invité à donner le coup d'envoi du début des célébrations de l'anniversaire, ils ont partagé la piste des jeunes danseurs dans la salle de conférence. A suivi la distribution aux délégués présents du document sur la stratégie décennale de la Banque, comme pour dire que dans dix ans encore, au vu des témoignages encourageants entendus des voix autorisées, l'institution restera le porte-étendard des projets de développement du continent.
Et pour avoir accueilli à deux reprises, respectivement en 1994 et en 2024, les assemblées des 30 ans et des 60 ans de la BAD, le Kenya a postulé séance tenante, à haute et intelligible voix, pour abriter les réunions annuelles de 2054. Le président Ruto l'a répété, prophétisant qu'il sera présent, sans doute pas à la tête de son pays mais, même en s'aidant d'une canne, pour assister à l'événement.
Terminons par une autre note gaie et moins stressante que les chiffres. Prélude à l'ouverture des travaux a été balancé l'instrumental d'une complainte que les amoureux de la rumba connaissent bien, « Ndaya », chanson d'une estimée artiste de la République démocratique du Congo célèbre il y a des décennies sur les deux rives de l'onde paisible que Kinshasa et Brazzaville ont en partage.