Ile Maurice: Le fonds de pension des employés est utilisé à d'autres fins

MK a vendu le fonds de pension à NIC et celle-ci paie et paiera moins aux retraités. Qui en a décidé ainsi ? Et pourquoi avoir pénalisé les retraités alors que la NIC réalise une grosse plus-value sur ce fonds ?

C'était durant l'administration volontaire d'Air Mauritius (MK) que la décision avait été prise de faire participer les retraités au «sacrifice auquel tous devaient consentir pour sauver la compagnie».

Les employés ont en effet serré la ceinture et ils en subissent toujours les effets. Mais il y a aussi les 140 employés qui ont été forcés de prendre leur retraite, qui est loin d'être dorée. En fait, ce sont 675 employés en tout qui sont concernés par un autre sacrifice qui leur a été imposé: une baisse du montant de leur retraite.

Le montant exact du fonds de pension Air Mauritius Limited Pension Scheme (AMLPS) est luimême inconnu. Certains parlent de Rs 4,5 milliards alors que d'autres avancent le chiffre de Rs 7 milliards.

Ce fonds devait leur garantir des revenus avec une augmentation annuelle de 3,5 % annuellement pour faire face à la hausse constante du coût de la vie. Or, durant l'administration, une première décision est prise : le fonds est vendu à la National Insurance Company (NIC). Avant cela, une autre décision a été prise : l'augmentation annuelle des retraites ne sera plus au taux de 3,5 % mais 0,25 %, soit une baisse de plus de 92 % !

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Du côté de chez SWAN

Si les employés ont bien voulu accepter de se sacrifier durant l'administration, les retraités comprennent moins pourquoi ils devraient le faire pour un revenu futur. Même si l'on considère le chiffre de Rs 4,5 milliards, ils se demandent comment un placement du même chiffre, chez la NIC ou ailleurs, mais avec un rendement moindre, pouvait-il aider à sauver MK ?

Et puis, si la situation financière de MK s'améliorait après le Covid - ce qui est supposément le cas avec le retour à la normale - pourquoi avoir bloqué cette augmentation de la retraite à 0,25 % ? La question est d'autant plus pertinente que le taux d'intérêt bancaire, indexé sur le Repo Rate, a constamment augmenté depuis cette décision en décembre 2021.

Cette décision de réduire le taux annuel des retraites ressemble à une stratégie non pas destinée à aider les finances de MK mais plus à aider la NIC. C'est d'ailleurs l'impression de Raj Ramlugun, ancien employé de MK et secrétaire de l'Association des petits actionnaires.

Pour lui, la vente du fonds à la NIC, fonds qui était conservé chez SWAN, sans aucune raison valable, ajoute à la perception que l'on a voulu déshabiller saint Pierre pour habiller saint Paul. «Et saint Pierre, ce n'est pas MK mais ses retraités. On a profité de l'administration et des sacrifices demandés pour non seulement injecter de l'argent dans la NIC mais aussi pour assurer à cette dernière des revenus énormes.» Comment ?

« Rann nou nou kas !»

Raj Ramlugun rappelle que le Repo Rate, qui était déjà de 1,85 % en décembre 2021, est passé à 4,5 % un an plus tard et est resté à ce taux jusqu'à aujourd'hui. Selon ses calculs, la NIC aurait réalisé une plus-value d'environ Rs 1,2 milliard depuis septembre 2021 «et ce sont les retraités de MK qui ont perdu cette somme». Si l'on avait placé cette somme de Rs 4,5 milliards dans une banque commerciale, dit-il, elle aurait rapporté entre 3 et 4 % par an. «C'est un véritable hold-up commis aux dépens des retraités de MK !»

Mais qui a pris ces décisions ? Il faut savoir qu'un fonds de pension n'est pas la seule propriété de la direction d'une compagnie et il doit être géré en consultation avec les bénéficiaires actuels et futurs des retraites. Ainsi, c'est un trust qui gérait le fonds et c'est Roodesh Muttylall qui avait été désigné comme chairman du Board of Trustees de l'AMLPS.

Comme son nom l'indique, on fait confiance au trustee mais celui-ci est tenu de consulter les bénéficiaires avant toute décision importante concernant le fonds de pension. Or, selon Raj Ramlugun, Roodesh Muttylall n'a pas consulté les membres de l'AMLPS mais a unilatéralement décidé de transférer le fonds de la SWAN à la NIC mais aussi de réduire le taux d'augmentation des retraites de 3,5 à 0,25 %.

«Ou est-ce l'administrateur qui a pris ces décisions ? Si oui, est-ce que les retraités de MK avaient été conviés pour les approuver lors du Watershed Meeting par des membres du Board of Trustees ? Où est le procès-verbal de cette réunion, s'il y en avait une ? Tout cela doit faire l'objet d'une enquête approfondie. En attendant, je demande à la NIC : «Rann nou nou kas !»

Revoilà Silver Bank !

Pour lui, Roodesh Muttylall doit donner des explications. «La Financial Services Commission et Vikash Thakoor aussi. Cette institution, qui est censée fonctionner en toute indépendance, aura permis d'effectuer ce hold-up sans broncher.» Raj Ramlugun veut aussi que la NIC rende des comptes de cet argent. «Qu'a-t-elle fait avec cette somme ? Il semble qu'elle ait placé une forte somme chez Silver Bank, somme qu'elle ne peut plus recouvrer, la Silver Bank étant elle aussi sous administration. Utilise-t-on le fonds de pension de MK pour financer Prateek Gupta et consorts ?» Tout en ajoutant qu'«il n'est pas étonnant que la NIC puisse se permettre de payer un 14e mois à ces employés en décembre 2023 alors que les retraités de MK doivent se contenter d'une augmentation annuelle de misère de 0,25 % !» Il souligne que les retraités de MK n'ont pas eu droit à une augmentation basée sur la hausse du coût de la vie, ni n'ont-ils eu de 13e mois.

Il faut savoir que Roodesh Muttylall avait démissionné de MK après l'administration volontaire et y est revenu comme Head Corporate Finance. «Il entre et il sort de MK comme bon lui semble», ironise Raj Ramlugun. Qui ajoute : «Et c'est ce même Roodesh Muttylall qui a, la semaine dernière, reçu en compagnie de Charles Cartier une association des retraités de MK - AMRA - pour corriger les injustices commises envers les retraités depuis janvier 2022 ! De qui se moque-t-on ?» Nous attendons la réponse de MK.

Comment le déficit a-t-il explosé ?

Le gouvernement a financé 50 % du déficit du fonds de pension, nous rappelle Raj Ramlugun en y injectant Rs 2,75 milliards. «Le fonds avait donc un déficit de Rs 5,5 milliards. Cela, alors que selon une étude commanditée par Somas Appavoo auprès de Bernard Yen - Aon Hewitt en 2019, le déficit se montait à Rs 1 milliard «seulement». Comment ce déficit a-t-il explosé en moins de trois ans pour arriver à Rs 5,5 milliards ? Comment le suivi a-t-il été effectué par le Board of Trustees de l'AMLPS ? Au lieu de grossir avec le retour sur investissement du fonds, on a eu un plus gros déficit.» Il se demande aussi comment la NIC a pu obtenir ce fonds face à SWAN par exemple ? «Y avait-il d'appel d'offres ?»

«Early Retirement Scheme»: un outil politique ?

Raj Ramlugun se pose d'autres questions pour tenter d'expliquer le trou béant de Rs 5,5 milliards. «MK a-t-elle favorisé l'emploi sous contrat qui n'apporte pas de contribution au fonds ? Pourquoi avoir laissé les pilotes, qui sont les mieux payés et sont donc les plus grands contributeurs au fonds, partir avec leur part qu'ils ont investie chez SWAN ?» Raj Ramlugun se demande aussi s'il y a eu une bonne prédiction de l'effet des divers «Early Retirement Schemes» (ERS) sur le fonds. «A-t-on abusé des ERS chez MK pour se débarrasser de certains employés ou pour favoriser d'autres ? N'a-t-on pensé à faire des ERS rien que pour remplacer des employés par des proches ou de sympathisants du parti ? Le Board of Trustees de même que le board de MK, n'ont-ils agi que comme rubber stamp ? Et que dire des 140 employés, presque tous ayant une solide expérience de métier ? A-t-on pensé à l'effet sur le fonds lorsqu'on leur a payé leur lump sum ? Et je ne parle pas de l'effet de leur départ sur le fonctionnement de MK !» De souligner que la moyenne d'âge de ces préretraités tourne autour de 54 ans seulement. «Pourquoi ne pas leur avoir offert plutôt un leave without pay ou un furlough dont ont fait usage les compagnies aériennes bien gérées à travers le monde ?» Raj Ramlugun cite aussi des cas d'ERS rétroactifs pour certains proches du pouvoir dont un qui aurait obtenu sa pension couvrant des années pendant lesquelles il ne travaillait pas chez MK.

Cooking Figures

Ce n'est pas tout. MK vient de tirer profit, c'est le cas de le dire, de cette baisse de paiements à effectuer aux retraités de MK. On se rappelle les interrogations au sujet des dépenses négatives de l'ordre de ces Rs 6 555 300 000 (131 106 000 euros) parues dans le bilan de MK pour 2021-2022, dépenses négatives qui ont permis à la compagnie d'aviation de montrer un bénéfice de Rs 1,5 milliard alors qu'elle avait subi un «gross loss» de Rs 4,3 milliards. Nous sommes maintenant en mesure de dire que parmi cette manne de Rs 6 555 300 000, Rs 1 131 582 300 (22 677 000 euros) représentent le «write back of employee benefit liabilities». Ce sont les retraités de MK qui, en étant privés d'une augmentation de leur rente, ont permis pour un tiers à MK de réaliser des profits en 2021-2022. Comment ? Après avoir réduit le montant de retraite due à l'avenir, MK l'a comptabilisé comme une baisse de dépenses. Mais il y a aussi de tels autres jeux d'écriture, comme celui concernant les avions. Nous y reviendrons.

Un autre manager sur un siège éjectable

Les turbulences internes liées aux dénonciations et aux fuites alléguées d'informations continuent de miner Air Mauritius. L'Emergency Response Manager de la compagnie nationale d'aviation, Kris Veerapen, aurait été identifié comme l'un des auteurs des lettres anonymes envoyées pour «dénigrer Air Mauritius et ses employés». Une enquête interne a été ouverte suite aux plaintes des employés, et ce haut cadre pourrait être suspendu de ses fonctions incessamment. Un groupe d'employés, qui se disent être la cible du Chief Executive Officer (CEO) Charles Cartier, dénonce que depuis sa nomination, il y aurait une tentative malsaine de les discréditer en vue de les écarter.

Ces employés estiment que d'autres membres de la direction sont également impliqués dans plusieurs lettres anonymes envoyées à la presse et à la direction. Ils citent notamment le département des ressources humaines (HR), qui aurait laissé fuiter des informations très sensibles et confidentielles concernant ses employés. Les noms de deux hauts cadres, nommés par le CEO pour un audit interne, sont cités comme complices. Ces derniers auraient utilisé des informations confidentielles obtenues du département HR pour critiquer les employés. La tension est ainsi palpable au sein de MK.

Nous apprenons par ailleurs qu'une enquête interne a été ouverte suite à la lettre envoyée par Laurent Recoura, le Chief Commercial Officer, suspendu mardi dernier par le board de MK pour faire état des pressions qu'il aurait subies du CEO Charles Cartier lors d'une rencontre. Laurent Recoura sera appelé devant un comité disciplinaire le 12 juin.

Griefs du check-in staff

Par ailleurs, alors que certains employés tentent de découvrir qui est derrière ces missives visant à leur causer du tort, d'autres n'hésitent pas à poursuivre les dénonciations : c'est la bataille des lettres anonymes, ironise- t-on. Cette fois, ce sont les employés de check-in qui font part de leurs griefs au CEO. Le personnel de ce département, dans une deuxième lettre adressée au CEO il y a quelques jours, dénonce les agissements d'un de leurs superviseurs. Ce superviseur, vivement critiqué, aurait à plusieurs reprises favorisé son épouse, lui offrant des privilèges et des traitements préférentiels au détriment des autres employés. Son attitude arrogante envers les autres membres du personnel est également montrée du doigt.

Les dénonciateurs déplorent en outre que d'autres employés aient été priés de ne pas travailler sur les lignes Turkish Airlines et Emirates pour favoriser l'épouse du superviseur. Ils évoquent un incident survenu le 2 janvier, où, lors du report d'un vol, l'épouse du superviseur aurait emporté chez elle la collation destinée aux passagers en attente...

Ils soulignent que d'autres cadres, tels que des duty managers, d'autres superviseurs et des employés de l'administration, agissent de concert pour bénéficier de privilèges. Ces derniers craignent pour leur propre sécurité après avoir été témoins du traitement infligé à un de leurs collègues qui avait décidé de se faire entendre. Ces employés dénoncent aussi la proximité de ces personnes avec le CEO. La situation s'envenime, et les tensions augmentent à mesure que les dénonciations continuent de s'accumuler. Les employés se sentent pris au piège dans un environnement où les allégations et les représailles sont monnaie courante. Ils espèrent que la direction prendra des mesures pour instaurer un climat de confiance et de transparence, où chacun pourra s'exprimer sans craindre des représailles.

La direction d'Air Mauritius, de son côté, est confrontée à un autre défi majeur: restaurer la confiance et la sérénité au sein de l'entreprise. Une enquête rigoureuse et impartiale devient de plus en plus nécessaire pour faire la lumière sur ces accusations.

Les employés, quant à eux, disent attendre des actions concrètes et déplorent le fait qu'il n'y ait aucune cohérence dans les décisions de suspension de la direction. «Il est clair que c'est une politique de deux poids deux mesures car contre certains les actions sont prises immédiatement alors que pour d'autres il semble y avoir des tentatives à tout prix pour éviter des sanctions», lancent certains.

En quête d'un nouveau CFO

Air Mauritius a récemment lancé un appel à candidatures pour le poste de Chief Finance Officer (CFO), une décision qui en a surpris plus d'un, surtout au vu de la suspension toujours en cours de l'ancien CFO, Jean Laval Ah Chip. Cette situation soulève de nombreuses questions, notamment la possibilité que la compagnie envisage de payer deux salaires pour un même poste.

En septembre 2023, suite à une réunion d'urgence, Air Mauritius avait suspendu l'ancien CEO Krešimir Kučko et le CFO Jean Laval Ah Chip. Cette suspension faisait suite à des informations troublantes ayant déclenché une enquête interne. Le communiqué de la compagnie soulignait alors que cette décision visait à respecter les principes de transparence et d'intégrité. Durant la suspension, plusieurs mesures temporaires avaient été prises : le capitaine Alain Leung Hing Wah avait assumé le rôle d'Accountable Manager, Laurent Recoura celui d'Officer in Charge et Shivaji Gunnesh avait été nommé Financial Officer par intérim. L'enquête avait été confiée à la société comptable Price Waterhouse Coopers (PwC), et la direction d'Air Mauritius avait promis d'agir avec transparence et équité.

Cependant, la récente décision de lancer un appel à candidatures externe pour recruter un nouveau CFO semble contredire les engagements initiaux du conseil d'administration.Jusqu'à présent, les conclusions de l'enquête menée par PwC n'ont pas été communiquées. Le sort de Jean Laval Ah Chip demeure incertain, d'autant plus que le contrat de l'ancien CEO Krešimir Kučko n'a pas été renouvelé en février dernier.

Cette situation laisse perplexe. Pourquoi lancer un appel à candidatures externe alors que des compétences internes existent ? Pourquoi recruter un nouveau CFO alors que l'ancien est toujours suspendu et qu'aucune décision n'a été prise quant à son avenir ? La direction d'Air Mauritius va-t-elle réellement payer deux salaires pour un même poste ? Ces questions restent sans réponse, et la démarche du board d'Air Mauritius semble aller à l'encontre de ses engagements initiaux de transparence et d'intégrité.

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