Dans la région du Centre-Sud comme partout au Burkina Faso, le gouvernement s'est donné pour ambition, d'ici à 2030, de mettre fin à la défécation à l'air libre, principalement pour des raisons sanitaires et de dignité humaine. Mais des ménages semblent peu enclins à se détacher des vielles pratiques, sapant ainsi les efforts déployés pour assurer l'accès universel à l'assainissement. Constat !
Le soleil est presqu'au zénith dans le village de Manon, récemment érigé en secteur 8 de Pô, chef-lieu de la province du Nahouri, dans la région du Centre-Sud. Sous le poids de la chaleur écrasante en cette dernière décade du mois d'avril 2024, Tahirou Babiombou, la vingtaine, s'est réfugié sous une ombre de fortune que lui offre un versant de sa maison. Dans la cour familiale où il habite avec deux de ses frères, un détail saute à l'oeil : l'absence de latrine.
Celle-ci se trouve hors des murs d'habitation, à une trentaine de mètres environ. Mais ce n'est pas tant l'emplacement de ce lieu d'aisance qui déconcerte le jeune-homme. C'est surtout son état. La latrine familiale n'existe en réalité que de nom. Elle est réduite à une simple dalle posée sur trois couches de briques en parpaing. A sa surface, se distinguent aisément le trou de défécation, les repose-pieds et un trou circulaire à travers lequel est prévue l'évacuation des gaz grâce à un système de tuyauterie. Selon Tahirou Babiombou, sous la dalle se trouve une fosse de deux mètres de profondeur avec les parois stabilisées par un mur en briques.
« Il reste seulement à construire le mur de clôture pour pouvoir utiliser la latrine », ajoute le jeune-homme. Au constat, on a l'impression que les travaux de cette première phase de la latrine de la famille Babiombou ont été achevés il y a peu. Sauf que cela remonte à des années déjà. La construction de la super structure traine depuis 2019, année de la réalisation de la fosse et de la pose de la dalle, confie, tout penaud, Tahirou Babiombou. Chez le sexagénaire Webouga Zioubou, situé à quelques concessions plus loin, la latrine familiale est également en attente de finition depuis six ans. Comme chez les Babiombou, la plateforme se trouve à l'extérieur des habitations. Mais là, les deux ouvertures au-dessus de la dalle sont bouchées par de petits blocs de granite. Si l'absence d'un mur de clôture empêche encore son usage comme sanitaire, la plateforme, elle, semble visiblement servir de temps à autre, de place assise. Mais c'est sans doute aux heures moins chaudes de la journée car les rayons qui dardent la surface de la dalle, en ce milieu de journée, ont surchauffé ce potentiel reposoir.
En attente d'achèvement depuis 8 ans
Les cas de la famille Babiombou et Zioubou dans la province du Nahouri ne sont pas isolés. Dans les deux autres provinces de la région du Centre-Sud, à savoir le Bazèga (Kombissiri) et le Zoundwéogo (Manga), des latrines semi-finies en attente de réalisation de la super structure font partie du décor des habitats. Au Bazèga, à une trentaine de kilomètres du chef-lieu Kombissiri, précisément dans le village de Bédogo-Nabiga, le domaine de Michel Tiendrebéogo et plusieurs autres de son entourage abritent ce genre de réalisations. Des ouvrages dont les travaux remontent à 2020, note le chef de ménage. A Bindé, dans le Zoundwéogo, le paysage autour de la cour de Koudougou Ilboudo, Conseiller villageois de développement (CVD) de la localité est similaire. Plusieurs blocs circulaires trônent aux abords des concessions ou émergent des espaces nus à proximité. A l'échelle régionale, selon les données de la Direction régionale de l'eau et de l'assainissement du Centre-Sud (DREA-CSD), à la date du 31 décembre 2023, on dénombre, au total, 1 627 latrines restées en état semi finies et non utilisées, faute d'achèvement de la super structure. Nombre de ces latrines ont été réalisées entre 2017 (8 ans) et 2021.
FDAL à l'horizon 2030
A écouter la cheffe de service en charge de l'assainissement à la DREA-CSD, Lalaïcha Raboloum, l'Etat, mais aussi des partenaires comme Water Aid et Eau vive international sont les porteurs des projets desdites réalisations. « Pour le projet conduit par l'Etat, les latrines ont été réalisées au profit des ménages vulnérables retenus grâce au concours des mairies. C'était sur la base d'une subvention et l'Etat devait réaliser gracieusement la fosse et la dalle, stabiliser la fosse et placer la dalle. Des tuyaux PVC ont été remis également aux bénéficiaires pour l'évacuation des odeurs et du gaz », explique Lalaïcha Raboloum. Wébouga Zioubou, à Manon, ajoute à ces détails que la contrepartie qui leur était demandée était d'achever la super structure. Elle pourrait être en simple paille ou un mur de briques en terre ou en parpaing, et selon la hauteur désirée. L'initiative a été laissée au choix pour peu qu'elle puisse servir régulièrement de lieu d'aisance, confie t-il. En termes d'investissement, au coût des matériaux de l'époque, estime-t-on à la DREA-CSD, la part du travail subventionnée s'élevait à environ 120 000 F CFA.
Les dépenses de la super structure sont, elles, évaluées à moins de 15 000 F CFA pour un mur en brique en parpaing et encore moins pour une clôture de briques en terre ou en paille. L'ambition du gouvernement, à travers ces actions, est de parvenir à la Fin de la défécation à l'air libre (FDAL) dans tous les villages et villes administratifs du Burkina Faso, d'ici à 2030. Dans le plan d'action 2021-2025 du Programme national d'assainissement des eaux usées et excréta (PNAEUE), le département en charge de la question explique que les raisons sont liées, entre autres, à la santé, notamment pour combattre les maladies diarrhéiques, à la préservation de la dignité des populations, à la lutte contre la pollution environnementale par les excréta et à des questions économiques. Le Burkina Faso connait un manque à gagner pour son économie, estimé à environ 86 milliards F CFA par an du fait du manque d'assainissement, lit-on dans le document qui cite une étude du Programme eau et assainissement/Banque mondiale produite en 2012.
« Dans une semaine, le mur sera construit »
Des explications de la cheffe de service en charge de l'assainissement à la DREA-CSD, il ressort que l'atteinte de cet objectif de la FDAL à l'horizon 2030, le gouvernement mise surtout sur l'autoréalisation de latrines dans les ménages. Pour les plus démunis, l'option de la subvention a été envisagée comme c'est le cas pour Webouga Zioubou au Nahouri ou Michel Tiendrébéogo au Bazèga. Mais pour les uns comme les autres, des séances de sensibilisation sont entreprises en amont de la réalisation des ouvrages. Elles visent à permettre la prise de conscience des enjeux liés à l'assainissement et par ricochet, favoriser l'adhésion à la vision gouvernementale.
A Bédogo-Nabiga, Michel Tiendrébéogo se souvient que c'est au sortir d'une de ces sessions dénommée Intermédiation sociale (IMS), en 2020, que lui et plusieurs autres ont souscrit à l'idée d'acquérir des latrines, après avoir compris la nécessité de l'infrastructure pour le bien-être de la famille. Sauf qu'ils peinent à trouver ses mots pour justifier l'absence, jusqu'à ce jour, du mur de sa plateforme, empêchant l'usage de la latrine. « J'étais malade un certain temps mais je viens de confectionner des briques. Dans une semaine, le mur sera construit », tente-t-il finalement de se rattraper, en réponse à la question. A Manon dans le Nahouri, des propriétaires de latrines se confondent eux aussi en excuses et tentent des justificatifs. Quand la cheffe de famille Wénahouté Kamoulibou, une quinquagénaire, se défend par l'absence de bras valides pour l'aider à construire son mur, Webouga Zioubou, lui, soutient n'avoir pas pu réunir, depuis lors, les moyens nécessaires pour terminer l'ouvrage. Pour sa défense, le jeune Tahirou Babiombou, quant à lui, soutient que l'arrêt des travaux est lié à la propriété du site qui abrite la latrine. « On a un frère qui dit que le terrain est à lui et qu'il ne nous autorise pas à poursuivre les travaux », fait-il savoir.
« Un manque de volonté ! »
Le CVD Koudougou Ilboudo, à Bindé dans le Zoundwéogo, avance, lui, le mauvais emplacement de la fosse pour expliquer l'arrêt des travaux. Le quartier qu'il habite, en effet, a connu un lotissement qui amène à reconsidérer l'emplacement de leur sanitaire dans le plan d'occupation du terrain car situé en plein milieu d'une parcelle, se défend-t-il. Pour Hervé Compaoré, Benjamin Deduoi et Frédéric Bouda, respectivement agents techniques en charge de l'assainissement à la mairie de Kombissiri, Pô et Bindé, les arguments des ménages propriétaires de latrines inachevées sont peu convaincants et cachent mal le manque de volonté. « Les gens ne disent pas la vérité.
Vous verrez dans certaines cours que les gens possèdent des smartphones, des motos et ils font de l'élevage de la volaille ou de ruminants. Avec ça, vous vous rendez compte qu'en réalité, ce ne sont pas les moyens d'élever un simple mur qui est hors de leur portée », analyse Benjamin Dedoui. Hervé Compaoré estime de son côté qu'en 4 à 5 ans, même si c'était une couche de brique en terre qu'on réalisait par mois, on aurait achevé depuis longtemps le mur de clôture.
L'agent communal en charge de l'assainissement de Bindé voit également un manque de volonté. Il pointe du doigt, par exemple, l'ambiguïté de l'attitude des individus qui accusent le mauvais emplacement des sites de latrines. Il renchérit que si tant est que la volonté y était, ces derniers auraient envisagé la réalisation d'autres latrines familiales. « On sent qu'ils préfèrent toujours aller dans la nature pour faire leurs besoins naturels », tire-t-il en guise de conclusion. A la Direction provinciale en charge de l'assainissement (DPEA) du Nahouri, les agents, eux, ne manquent pas d'anecdotes liées à cette absence d'engagement de certaines populations de la province de rompre avec la pratique de la défécation à l'air libre.
« Un vieux a déjà dit à un ouvrier qui réalisait pour lui une fosse de latrine dans le cadre d'une subvention, qu'il se fatiguait parce que la brousse où il défèque n'est pas loin et il ne laissera pas cet endroit pour un espace confiné », raconte Annick Sawadogo, agent à la DPEA du Nahouri. Les propos lui sont rapportés par l'ouvrier en question, dit-elle, et ils lui ont permis de connaitre l'étendue du travail de conscientisation à faire en amont pour mobiliser toutes les sensibilités autour de la vision gouvernementale de la FDAL à l'horizon 2030.