Ile Maurice: Réélu, Narendra Modi sera maître d'une nation encore plus déchirée

En l'espace d'un mois et demi, 960 millions d'électeurs se sont rendus aux urnes pour renouveler les 543 sièges du Parlement indien. Résultats : le 4 juin. Quelle que soit l'ampleur de la victoire annoncée du BJP, le parti nationaliste du Premier ministre, et qui prône la théocratie religieuse hindoue, la grande nation indienne sortira encore un peu plus fracturée à l'issue de cet exercice, qui interpelle aussi Maurice. Les minorités religieuses, les castes dites basses, ainsi que des régions entières, ne se retrouvent pas dans l'Inde de Modi.

Les élections législatives indiennes intéressent les Mauriciens à plus d'un titre. D'abord pour des raisons historiques et pour la proximité culturelle entre la Grande péninsule et Chota Bharat comme on aime surnommer Maurice. Ensuite, le Premier ministre indien, Narendra Modi, incarne une figure emblématique. À 73 ans, il vise un troisième mandat. Enfin, les résultats du scrutin, qui seront proclamés le 4 juin, pourraient influer notre propre calendrier électoral. Une victoire sans appel du BJP, le parti nationaliste hindou, au pouvoir depuis 2014, pourrait inciter le Premier ministre Pravind Jugnauth à appeler le pays rapidement aux urnes, histoire de bénéficier de la dynamique indienne. Ce dernier ne se bat-il pas, dans le cadre de sa stratégie 4 à 14, pour remporter les prochaines élections dans les 11 circonscriptions rurales, toutes à majorité hindoue ? Le BJP table sur le soutien de la même population dominante, quitte à s'aliéner les autres communautés religieuses, qui font partie intégrante de la grande nation indienne.

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Arrêtons le parallèle entre les deux pays. Force est de constater que les Indiens, eux-mêmes, s'inquiètent de la tournure des événements politiques dans leur pays. À l'issue de ces élections, qui auront eu lieu en sept étapes, étalées sur un mois et demi la dernière est prévue pour le 1eᣴ juin et qu'on qualifie du plus grand exercice démocratique au monde, la victoire du Premier ministre indien ne fait pas de doute. Il pourrait toutefois ne pas atteindre son objectif déclaré de remporter plus de 400 des 543 sièges en jeu. Il n'a cessé, ces dernières semaines, de demander une majorité écrasante pour avoir les mains libres et modifier, si besoin, la Constitution. L'une de ses intentions affichées: se débarrasser du mot «séculaire» afin que l'hindouisme ne représente pas que la religion d'État mais aussi une culture et une philosophie de vie. De toute évidence, dans un pays qui compte aussi des musulmans (14 %) et des chrétiens (2 %), la démarche fait peur.

Minoritaire en 2019 avec 37,7 % des suffrages

Quelle que soit l'ampleur de la victoire du BJP, Narendra Modi régnera ainsi sur un pays déchiré. Déjà lors des précédentes consultations en 2019, son parti avait largement bénéficié du système First Past The Post (FPTP) face à une opposition divisée. Même s'il n'avait recueilli que 37,7 % des suffrages, il avait raflé 303 sièges du Lok Sabha, le Parlement indien. Durant les cinq dernières années, la majorité gouvernementale a abusé de sa force et imposé de nombreuses lois controversées dont certaines ont sérieusement mis en péril la paix sociale dans le pays.

Cela ne changera pas. La nouvelle victoire électorale annoncée du BJP, un parti qui s'appuie largement sur les soldats du RSS, un mouvement nationaliste hindou dont l'un de ses membres avait assassiné le Mahatma Gandhi, lui permettra de poursuivre sa stratégie, qui consiste à imposer la supériorité religieuse sur les minorités religieuses mais aussi sur les castes dites basses, qui peuplent la nation indienne. Lors d'une réunion électorale au cours de la semaine dernière, le Premier ministre Modi n'a, lui-même, pas hésité à utiliser un langage repoussant envers des musulmans afin de rallier l'électorat hindou. Selon le quotidien The Hindu du 29 avril, le Premier ministre a fait tomber son masque de Vishwaguru (homme d'État mondial) et mené une attaque frontale.

Rhétorique religieuse ou émancipation économique

La stratégie divisionniste ne fait malheureusement pas progresser l'Inde. Ce pays a beau se vanter d'occuper la cinquième place dans le hit-parade des puissances mondiales, devant la France et l'Allemagne, il n'en demeure pas moinsl'un des plus pauvres et sales de la planète. Depuis son arrivée au pouvoir en 2014, le BJP a certes entrepris des réformes pour moderniser l'économie et donner un coup de fouet à la croissance, le fossé entre riches et pauvres n'a fait que s'élargir. Dans un rapport publié en mars dernier, le World Inquality Lab, un centre de recherche affilié à la Paris School of Economics, affirme que les 1 % d'Indiens les plus riches concentraient 40 % de la richesse nationale en 2023. Les 50 % au bas de l'échelle se débrouillent avec seulement 15 %.

Un enfant né au Kerala, dans le Sud de l'Inde, a une meilleure chance de survie que dans l'Uttar Pradesh (UP), l'État qui est au coeur de l'Hindi Belt dans le Nord, où le parti de Modi espère recueillirle plus grand nombre d'élus, le 4 juin. La comparaison n'est pas anodine. L'accès à l'éducation et à la formation, à la santé et aux services sociaux, est plus développé dans le Sud du pays. Les taux de natalité et de mortalité infantile y sont inférieurs. Les entreprises internationales manufacturières (voitures, électroniques, textiles) ou de services (technologie de l'information, santé, éducation) s'installent à Bangalore, Hyderabad, Coimbatore et à Chennai.

En revanche, dans l'UP, à Ayodya plus précisément, les Hindous se réunissent par dizaines de milliers et célèbrent la réinstauration du temple à la gloire de Ram, une divinité hindoue, avec une ferveur tapageuse et votent Modi. C'est un brin caricatural mais lorsqu'on sait que cet Etat compte 80 sur les 543 sièges au Lok Sabha, on comprend pourquoi le BJP y va de sa rhétorique religieuse pour séduire les électeurs plutôt que de miser sur l'émancipation économique.

La stratégie divisionniste du BJP montre déjà des conséquences néfastes pour l'unité de la nation indienne. Des voix s'élèvent dans le Sud, disent ne pas se retrouver dans le pouvoir fédéral à New Delhi et souhaitent négocier de nouveaux rapports. En juin, Narendra Modi prêtera sans doute serment pour son troisième mandat mais plusieurs régions du pays mais aussi différentes communautés peu rassurées par la menace de la théocratie hindoue, ne seront pas de la fête pour l'applaudir.

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