Ile Maurice: Yogida Sawmynaden obtient le bénéfice du doute, Simla Kistnen discréditée en cour

«The testimony of Witness N°3 (W3) is riddled with inconsistencies and contradictions on matters of substance. I find that the unexplained shortcomings in W3's testimony, when taken as a whole and considered in their entirety, affect her credibility.» La magistrate Anusha Rawoah, qui a rendu un jugement de 39 pages hier dans le procès pour faux en écriture intenté à l'ancien ministre Yogida Sawmynaden, l'a épargné mais elle a égratigné la témoin, Simla Kistnen.

Accusé d'avoir commis un faux en écriture en remplissant le formulaire de Constituency Clerk, datée du 28 janvier 2020, en déclarant que Sakuntala Kistnen (Simla Kistnen), témoin n°3, était employée à partir de janvier 2020, et d'avoir fait usage dudit document falsifié, l'ancien ministre du Commerce, Yogida Sawmynaden, a obtenu hier le bénéfice du doute. Ainsi, les deux accusations formelles qui pesaient sur lui ont été rayées. Cependant, la magistrate a tenu à décortiquer chaque élément et témoignage versé au dossier. Pour démontrer que Simla Kistnen a déposé de manière incohérente, avec une version tâchée de contradictions, qui «do not hold water», qui ont affecté sa crédibilité, la magistrate Rawoah a indiqué que Simla Kistnen a commencé à témoigner en cour le 21 février 2024. Son contre-interrogatoire a repris le 28 février 2024 et s'est terminé le même jour. «Elle a eu droit à une chaise à la barre des témoins et a été autorisée à consommer de l'eau dans la salle d'audience, à sa demande», a précisé la magistrate.

%

Me Rawoah a tout d'abord fait le récit du témoignage de la témoin Simla Kistnen, habitante de Moka, qui avait déclaré n'avoir jamais eu de conversation avec l'accusé. Lorsqu'elle lui a demandé en cour si elle connaissait l'accusé, elle a répondu : «Non, personelman, mo pa konn li. Me kan nou ti pe al bann renion tousala, li ti laba. Parfwa kan mo al bann renion mo trouv li koumsa. Me zame mo'nn gagn dialog ek li. Nek de lwin mo trouv li koumsa.» Lors du contre-interrogatoire, Simla Kistnen a expliqué les implications de Yogida Sawmynaden dans leur vie telle que le fait qu'il soit venu rendre visite à son mari chez eux, qu'il a rendu visite à son fils à la clinique et que son mari, Soopramanien Kistnen, a obtenu des contrats grâce à l'aide de l'accusé. Elle a dit qu'elle assistait également à des réunions politiques et qu'elle avait conclu un contrat de location avec l'accusé en 2013. Elle a rencontré ce dernier pour la signature. Contre-interrogée, la veuve Kistnen a concédé avoir accompagné des électeurs au Citizens Advice Bureau (CAB) pour rencontrer l'accusé, à deux reprises.

«D'après son témoignage, j'estime que sa version selon laquelle elle ne connaît pas personnellement l'accusé ou qu'elle ne le voyait que de loin ne tient pas la route. Il est peu probable que les électeurs lui demanderaient de les accompagner au CAB pour rencontrer un ministre si elle n'était pas impliquée dans les activités politiques de l'accusé. Elle a également déclaré qu'elle avait l'habitude d'assister à des réunions politiques de l'accusé. Tout cela montre son implication dans des activités politiques de l'accusé», a noté la magistrate, tout en considérant que la fonction de Constituency Clerk est d'assister le ministre dans l'exercice de ses fonctions. La magistrate a également cité le jour de la disparition de Soopramanien Kistnen en juillet 2020 ; il y a eu plusieurs appels de Yogida Sawmynaden à la principale concernée. «La version de la témoin selon laquelle elle n'a pas parlé à l'accusé est pleine de doutes. En admettant que c'est son neveu qui a répondu aux huit appels et que ce dernier l'a informée du fait que l'accusé cherchait à lui parler, elle ne donne aucune raison pour laquelle elle n'a pas répondu aux appels de l'accusé alors qu'elle savait qu'elle était sollicitée par l'accusé dans le but de retrouver son mari disparu.»

Aucune preuve

Si un témoin de la Mauritius Revenue Authority (MRA) a expliqué en cour qu'en cas de rejet pour une demande d'éligibilité d'une aide financière, aucun message n'est envoyé au demandeur, la magistrate a noté l'incohérence dans la version de l'habitante de Moka, qui a dit avoir été informée par la MRA de sa non-éligibilité par SMS. «Ce que l'on peut conclure des éléments de preuve versés au dossier, c'est que prendre conscience de l'inéligibilité au Self-Employed Assistance Scheme (SEAS) ne signifie pas prendre conscience du fait d'être employée comme Constituency Clerk. D'ailleurs, selon les éléments de preuve, elle y était enregistrée comme employée de l'accusé de janvier 2020 à juillet 2020. Il n'y a aucune mention en quelle capacité elle exerçait sa fonction. Ainsi, si elle affirme s'être rendue dans les bureaux de la MRA et du National Pensions Fund (NPF) pour s'enquérir de sa non-éligibilité au SEAS, elle n'aurait pas pu être informée par le MRA et le NPF qu'elle était employée comme Constituency Clerk de l'accusé, contrairement à ce qu'elle a déclaré en cour», a fustigé la magistrate.

Lors de l'interrogatoire principal, Simla Kistnen a d'emblée déclaré qu'après le décès de son mari en octobre 2020, elle a appris par les médias qu'elle y était employée par le ministre et député. Cependant, lors du contre-interrogatoire, elle a donné une version différente, selon laquelle, ce serait un journaliste qui lui aurait posé la question sur son poste. «En cour, elle a même donné le nom du journaliste et du groupe de presse. Contre-interrogée, elle a retiré ses propos tout en avançant que c'était lors de l'enquête judiciaire au tribunal de Moka qu'elle a appris de sa position. Elle a même concédé avoir menti dans son affidavit en disant que l'affidavit est faux. Je constate ici avec inquiétude qu'elle a reconnu avoir menti dans un affidavit qu'elle a solennellement juré et dans lequel elle est censée dire la vérité sur la base de quoi elle a déposé une plainte privée devant un tribunal. Cela touche au coeur de sa crédibilité en tant que témoin devant cette cour. Il ne s'agit pas seulement d'une contradiction majeure dans son témoignage mais de l'aveu d'avoir menti dans un document important comme un affidavit», a martelé Me Rawoah.

De plus, aucune preuve n'a été avancée sur la manière dont le salaire doit être versé sur le compte bancaire d'un Constituency Clerk. Ainsi, pour Me Rawoah, le fait que les relevés bancaires de Simla Kistnen ne fassent apparaître aucun montant crédité par Yogida Sawmynaden ne prouve en aucune façon qu'elle n'a pas bénéficié d'un salaire. La magistrate est allée plus loin dans son jugement et a fait état du out-of-court statement de Yogida Sawmynaden, tout en faisant ressortir que c'est le droit de l'accusé de faire valoir son silence en cour. Ce dernier, selon la preuve, a envoyé une lettre datée du 20 juillet 2020 pour informer son ministère d'alors qu'il n'employait plus Simla Kistnen comme son Constituency Clerk. La MRA et le bureau du NPF en ont été informés. «Si jamais l'accusé a eu la mauvaise foi de réclamer ce salaire pour lui-même, il n'aurait pas envoyé ladite lettre aux autorités. Par rapport à la copie de la pièce, la témoin prétend que son mari lui avait demandé de l'envoyer sur le numéro de téléphone de l'accusé qui lui permettrait de trouver un emploi à la MBC. Même sur cette question, cela ne tient pas la route. Initialement, elle avait donné des versions très contradictoires sur la façon dont elle avait envoyé ce message et cela crée des des doutes.»

Pour Me Rawoah, même si les montants des transferts d'argent effectués ne sont pas divisibles à parts égales par Rs 14 790 (salaire de Constituency Clerk), il n'est pas logique, a-telle poursuivi, qu'une avance versée à un salarié doit correspondre au montant qui doit être payé mensuellement au salarié. L'avance du paiement, selon elle, peut être supérieure à l'allocation mensuelle, ou inférieure à celle-ci, voire égale, à l'allocation mensuelle. De plus, aucune preuve n'a été présentée par l'accusation sur le mode de paiement. Pour ces raisons, la magistrate estime que la poursuite n'a pas pu établir que Sawmynaden a commis ces deux actes. Il a été acquitté.

Yogida Sawmynaden: «Get bien avan ed dimounn aster»

C'est avec un grand sourire sur le visage qu'il a quitté la salle d'audience n°7 de la cour intermédiaire, après avoir obtenu une victoire. «La vérité a triomphé. J'ai toujours cru en Dieu et je tiens à remercier ma famille, ma femme, mes deux enfants, mes amis et mes mandants de la circonscription n°8 qui m'ont apporté un soutien total. Cela, malgré une campagne zet labou sur ma personne. Mo les bondie fer so travay», a réagi Yogida Sawmynaden après son jugement d'acquittement. À une question de l'express sur toute éventualité de poursuite contre Simla Kistnen, il a cité le Mahatma Gandhi. «Kan Mahatma Gandhi ti pe gagn kout bal, letan li tonbe, li dir pardonn li. Li pa kone ki li pe fer. Je dirai la même chose de Simla Kistnen. Ki li aret so sinema.» Il a, dans la foulée, confié qu'il a souffert de ses allégations. «Mo kone ki se pa so (NdlR, Simla Kistnen) doing me ki ena lezot dimounn deryer li.» Il a remercié ses avocats, Meᣵ Raouf Gulbul et Mamad Boccus, qui ont cru en son innocence. Ainsi que le Premier ministre et son épouse, qui l'ont soutenu. «On reçoit beaucoup de visiteurs matin et soir et on apporte notre aide. Aster, mo dir get bien avan ede.»

Me Gulbul : «Pas un seul membre des Avengers n'a marqué sa présence en cour»

Me Raouf Gulbul a évoqué une leçon à tirer de ce jugement. «C'est la cour de justice qui donne un jugement. Mais à cause des allégations, une personne peut perdre son poste et peut avoir des problèmes auprès de sa famille.» Il a tenu à citer tous les termes utilisés par la magistrate Rawoah dans son verdict. «C'est un jugement très sévère où la magistrate a condamné le témoignage de Simla Kistnen», a dit l'avocat de la défense face à la presse hier. Il a aussi souhaité faire le point sur le fait que son client Yogida Sawmynaden a fait valoir son droit au silence dans le box des accusés au procès. «C'est un droit constitutionnel et le jour où un amendement sera fait pour abolir ce droit au silence, ce sera la fin de la démocratie. Même Rama Valayden fait valoir ce droit à chaque fois qu'il est arrêté.» Il a tiré à boulets rouges sur les Avengers. «Au début, il y avait 17 membres des Avengers en cour qui ont pris trois bancs pour s'asseoir et, aujourd'hui, pas un seul membre n'a marqué sa présence en cour. Même pas celle de Simla Kistnen.»

Me Valayden : «C'est un jour triste pour la vérité»

Répondant à son confrère Me Gulbul, Me Rama Valayden a avancé qu'il n'a jamais abandonné Simla Kistnen. Pour lui, son engagement de l'aider tient toujours. «Nous sommes bel et bien présents. On s'est parlés jeudi matin avant le jugement et je l'ai préparé pour un tel jugement. Je sais qu'il y a des flics en délire, mais maintenant on a des avocats en délire !», a répliqué Me Valayden, qui tiendra une conférence de presse aujourd'hui en présence de la plaignante. Il estime que c'est un jour très triste pour la vérité. «C'est incroyable et j'espère que la personne qui a été acquittée peut vivre en paix. Je répondrai aux détracteurs qui m'accusent d'avoir instrumentalisé Madame Kistnen.»

Simla Kistnen : «Je suis choquée»

Sollicitée, Simla Kistnen a maintenu haut et fort qu'elle a dit toute la vérité en cour et dans son enquête à la police. Quid de faire l'objet des critiques dans un jugement où sa crédibilité a été mise en doute à cause de ses contradictions ? Simla Kistnen a confié avoir eu le choc en apprenant les retombées de ce verdict. «Mo pou gete enn kout ki pou fer ek mo bann avoka me mo pa aksepte sa zizma-la. Mo pann travay kouma Constituency Clerk ni mo'nn tous sa lapay-la.» Quelle est sa prochaine démarche par rapport à sa plainte devant la Cour suprême ? Elle discutera avec ses avocats pour la marche à suivre. Alors que le Directeur des poursuites publiques a 21 jours pour interjeter appel, il nous revient qu'il n'a jusqu'ici pas contesté le jugement de la cour intermédiaire.

Le PM : «Li bien tris pou sa madam-la»

C'est lors d'une fonction à laquelle l'express n'avait pas reçu d'invitation que le Premier ministre a commenté le verdict en faveur de Yogida Sawmynaden. Critiquant l'opposition, Pravind Jugnauth est d'avis qu'il s'agissait d'un complot. «Zordi finn demontre ki manier ti ena konplo par lopozision pou servi enn madam veuv pou fer politik. L'opposition a manipulé cette pauvre femme veuve pour faire des fabrications et des fausses allégations et Yogida Sawmynaden a beaucoup subi», dit-il en confiant que ce dernier a subi un mauvais traitement par l'opposition à cause de ces accusations qu'il qualifie de «bancales». Il a invité la population à lire le jugement dans son intégralité tout en citant la dernière question de Shakeel Mohamed au Parlement sur l'affaire Kistnen Papers. «Pour moi, c'est encore triste pour Mme Kistnen qui s'est fait embobiner et même en cour, elle a avoué avoir dit que l'affidavit "fos".»

Nando Bodha, le leader du Rassemblement mauricien et membre de Linion Moris

«La magistrate a tranché. Elle s'est penchée sur le point fondamental, c'est-à-dire la crédibilité du témoin. On respecte le jugement et l'institution. J'ai une pensée spéciale pour la veuve Simla Kistnen. Maintenant, nous allons voir ce que fera le bureau du Directeur des poursuites publiques. S'il fera appel.»

AllAfrica publie environ 500 articles par jour provenant de plus de 100 organes de presse et plus de 500 autres institutions et particuliers, représentant une diversité de positions sur tous les sujets. Nous publions aussi bien les informations et opinions de l'opposition que celles du gouvernement et leurs porte-paroles. Les pourvoyeurs d'informations, identifiés sur chaque article, gardent l'entière responsabilité éditoriale de leur production. En effet AllAfrica n'a pas le droit de modifier ou de corriger leurs contenus.

Les articles et documents identifiant AllAfrica comme source sont produits ou commandés par AllAfrica. Pour tous vos commentaires ou questions, contactez-nous ici.