Deux semaines entières d'adieux en grande pompe pour une figure emblématique de la vie politique ivoirienne, qui a succédé au père de l'indépendance à la tête du pays au décès de ce dernier en 1993, avant d'être balayé par un coup d'Etat militaire, six ans plus tard.
Henri Konan Bédié, puisque c'est de lui qu'il s'agit, a été inhumé, le 1er juin dernier à Pépressou, dans son village natal. Des hommages mérités en somme pour un homme réputé pour son intégrité et sa loyauté, même si les funérailles qui se sont déroulés sont, sans doute, moins clinquantes et incomparables à celles du père de l'indépendance, Félix Houphouët Boigny, dont les obsèques avaient été célébrées, on s'en souvient, presque dans la démesure à sa mort en 1993.
C'est vrai que le contexte n'est plus le même et les deux figures historiques n'avaient pas la même aura auprès de leurs compatriotes, mais Henri Konan Bédié n'en reste pas moins un homme politique qui laisse à la postérité l'image d'un conciliateur qui aura pendant longtemps marché sur les traces de son mentor que fut Félix Houphouët Boigny dont il a toujours revendiqué l'héritage politique.
Malheureusement, il a galvaudé pour ne pas dire vendangé une partie de cet héritage, d'abord en faisant banalement perdre au PDCI le pouvoir qu'il détenait depuis l'indépendance du pays, puis en créant le concept hautement conflictogène de l'ivoirité qui a plongé la Côte d'Ivoire dans les abîmes pendant plus d'une décennie.
C'est un Henri Konan Bédié, on imagine, plein de chagrins et de remords d'ordre politique qui a quitté le monde des vivants, pour rejoindre celui de son prédécesseur, qui l'attend sans doute de pied ferme pour des explications de mano a mano sur ses bourdes qui ont permis à des « sans grade » de retirer le pouvoir des mains du PDCI en 1999, et sur ses alliances et ses mésalliances hasardeuses avec l'actuel président. Et surtout sur son incapacité en tant que doyen à réunir tous les houphouétistes dans une même coalition autour du parti historique pour conserver le pouvoir.
Henri Konan Bédié ne sera pas jeté dans la poubelle de l'histoire de la Côte d'Ivoire
Des débats houleux d'outre-tombe en perspective entre un Houphouët qui n'a jamais rien perdu sur le terrain politique, et un Henri Konan Bédié qui fut un grand looser, dont le plus grand mérite est d'avoir pu se maintenir à la tête de son parti pendant des décennies et malgré son âge avancé. Et là encore, beaucoup d'Ivoiriens et notamment de militants du PDCI estiment qu'il n'a eu aucun mérite à s'imposer à la tête de leur formation politique à coups de combines et de chasse aux sorcières, qui l'ont fragilisé et empêché de revenir aux affaires face à des adversaires a priori prenables.
Le respect dû aux morts en Afrique fait que personne n'en parle pour le moment, mais le bilan politique très mitigé de HKB sera peut-être mis un jour pas lointain sur la table pour ne pas dire sur la place publique, non pas pour souiller sa mémoire, mais pour éviter les erreurs politiques qu'il a pu commettre et qui ont failli "tuer" le parti, avec les démissions en cascade de certains cadres et non des moindres enregistrées sous sa présidence.
Pour autant, il ne sera pas jeté dans la poubelle de l'histoire de la Côte d'Ivoire, encore moins du PDCI, et cela est attesté par la ferveur avec laquelle le pays tout entier s'apprête à l'accompagner dans sa dernière demeure, sans oublier évidemment le rôle pivot que jouent dans ces préparatifs, son successeur à la tête du parti et ses collaborateurs.
De là où il est, il peut même se sentir soulagé de savoir que le PDCI lui a survécu bien qu'il n'ait pas véritablement préparé sa succession, et malgré les risques d'implosion dont plusieurs analystes politiques avaient fait cas. Heureusement qu'il n'en a rien été, et Henri Konan Bédié peut d'autant plus s'en réjouir qu'au-delà de son parti c'est toute la Côte d'Ivoire qui, dans la tristesse et dans la communion, lui a réservé des hommages pour ce qu'il fit, mais surtout pour ce qu'il fut après la mort du premier président de la République.