Madagascar: Tanambelo Nado Rasolondrainy - Docteur en archéologie - « Les premières indications de la présence humaine à Madagascar... remontent à environ 8 000 ans avant notre ère »

interview

Le docteur en anthropologie, Tanambelo Nado Rasolondrainy, est en quelque sorte un historien des premiers peuplements de Madagascar, il y a des millénaires. Sortant de l'université de Tuléar, de celle de Dar Es Salam et enfin de Yale University, il a consacré quelques minutes à Midi Madagasikara.

Les arts rupestres de Madagascar renvoient à la grande question du ou des premier(s) peuplement(s) de Madagascar. Que pouvez-vous dire sur ce point ?

Le fait que des arts rupestres découverts ailleurs datent de plusieurs siècles ou même plusieurs millénaires, il est tentant de penser que ceux qu'on a trouvés à Madagascar pourraient aussi être datés de la période préhistorique.

Cependant, jusqu'à présent, à part la date absolue non-publiée du XIIIe siècle pour les peintures du Makay, la plupart des estimations sur l'âge des arts rupestres malgaches sont - encore - basées sur une datation relative, soit en reconnaissant un contenu datable de l'art tel que la date de «1934» dans l'art rupestre de Tsimanampesotse, ou en menant des analyses comparatives telles que ceux du signe « ሐ » de Beanka et la probable inscription libyco-berbère de l'Isalo.

On a donc encore besoin de recherches supplémentaires pour collecter des échantillons de pigments organiques tels que le charbon de bois des peintures noires et les dater par AMS radiocarbone pour connaître leur vrai âge. Tant que nous n'avons pas encore de telles dates absolues, nous ne pouvons pas affirmer le lien direct de ces arts avec les premiers peuplements de Madagascar.

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Certains scientifiques, des historiens notamment, réfutent l'hypothèse d'une occupation de l'île avant JC, parce que son nombre limité et sa dissémination ne permettent pas d'affirmer la présence effective d'un peuplement avant notre ère. Qu'en disent vos recherches ? Est-il possible que le peuple soit seulement de passage ?

Il est très facile de critiquer une hypothèse que de la prouver/tester, à confirmer ou à infirmer. La plupart de ces chercheurs, qui réfutent cette occupation humaine de Madagascar avant notre ère, n'ont pas encore effectué des recherches dans l'île concernant ce thème. En réfutant cette hypothèse d'une occupation de l'île avant notre ère, ils s'appuient également sur une hypothèse ou supposition non-confirmée.

Bien que la langue et la génétique des Malgaches modernes indiquent des origines en Afrique de l'Est et en Asie du Sud-Est, il est inimaginable pour ces chercheurs de penser que les Africains subsahariens auraient pu traverser le Canal de Mozambique avant l'arrivée d'autres peuples capables de naviguer en haute mer tels que les Arabes ou les Austronésiens. Et cela malgré la proximité - 400 km - de Madagascar avec l'Afrique continentale, berceau de l'humanité. Cette hypothèse ou supposition les pousse à douter/questionner, voire réfuter, toutes les évidences qui indiquent la présence africaine à Madagascar avant l'arrivée de ces peuples navigateurs.

Les premières indications de la présence humaine à Madagascar dans le domaine de la paléontologie, par exemple, incluent des os modifiés - identifiés comme portant des marques de coupe et de boucherie - d'oiseaux éléphants datés d'environ 8 000 ans avant notre ère du site de Christmas River dans le centre-sud de Madagascar, des hippopotames nains datés de 2000 à 1 400 ans avant notre ère de la grotte d'Anjohibe au nord-ouest, et de 30 ans avant notre ère à 440 de notre ère à Lambohara et Ambolisatra dans le sud-ouest, et des lémuriens géants datés du quatrième siècle avant notre ère du site de Taolambiby, dans le sud-ouest.

Ces évidences suggèrent que les auteurs de ces modifications, traces de coupe et de boucherie, étaient des chasseurs-cueilleurs, c'est-à-dire qu'ils étaient plus rapprochés des Africains subsahariens que des navigateurs austronésiens ou arabes.

Cette logique pousse ces chercheurs à remettre en question la nature anthropique de ces modifications, quoiqu'ils n'aient jamais donné des preuves infirmant l'hypothèse d'occupation humaine de Madagascar avant notre ère. Ils s'appuient tout simplement sur le raisonnement qui suppose qu'aucun outil coupant n'a été trouvé en association avec ces os modifiés, et qu'aucun site archéologique contemporain n'a été rapporté aux environs de l'endroit où on a trouvé ces restes d'ossement modifiés.

Bien que ces critiques affaiblissent l'hypothèse de la présence humaine à Madagascar avant notre ère, elles ne réfutent pas catégoriquement la possibilité de cette présence humaine basée sur les évidences des os modifiés. Ils pointent du doigt tout simplement les données supplémentaires manquantes que les archéologues n'ont pas encore découvertes et doivent trouver à Madagascar pour confirmer/garantir le côté anthropique de ces modifications.

Il faut noter ici que la recherche archéologique sur le premier peuplement de Madagascar et surtout la relation entre les animaux subfossiles et les premiers habitants de l'île n'a pas encore révélé la plupart de ses secrets jusqu'à présent. Il nous faut donc encore mener des recherches supplémentaires pour déchiffrer ces énigmes, au lieu de nous contenter de critiquer tout simplement les évidences de plus en plus nombreuses.

Qu'est ce qui fait la particularité des motifs d'Anahidrano ? Selon des recherches, il y aurait la présence d'un motif, voire de la lettre « M » qui éclaire et intrigue les chercheurs.

J'ai eu l'occasion d'entendre le nom d'Anahidrano, mais je n'ai jamais eu l'occasion de lire ou voir quoi que ce soit concernant ce site. Désolé, je ne peux rien dire sur ce sujet.

Quels bénéfices scientifiques, touristiques, identitaires même, Madagascar peut espérer de ces arts rupestres présents sur son sol ?

Les arts rupestres de Madagascar constituent l'un des patrimoines culturels immobiliers importants du pays et du continent africain. Ils apportent de nouvelles connaissances aux études sur l'art rupestre africain en termes de distribution et de signification. Aussi, ils nous aident à comprendre l'aspect cognitif et religieux de la vie de nos ancêtres, ainsi que leur capacité artistique.

Comme le tourisme à Madagascar est encore dominé par le tourisme écologique - c'est comme si le peuple malgache n'a point des patrimoines culturels dignes de leur fierté - la valorisation des arts rupestres malgache dans le domaine du tourisme pourrait, non seulement promouvoir le tourisme culturel/archéologique, mais aussi augmenter le revenu des villageois aux environs de ces sites et à plus forte raison, l'instigation de la fierté nationale ou régionale. En Afrique du Sud, par exemple, les Sud-africains ont récemment changé leur blason national à l'intérieur duquel apparaissent deux figures humaines inspirées des arts rupestres bochimans - arts emblématiques du pays.

Qu'en est-il de la préservation de ces arts rupestres maintenant ? Y a-t-il une ou des priorité(s) à privilégier sur ce point ?

Comme la plupart des sites à art rupestres, ceux de Madagascar se trouvent dans des zones isolées, loin des villes, ils ne sont pas directement menacés par les projets de développement. Cependant, on sait peu de choses sur la manière dont les activités des populations locales affectent la préservation des arts rupestres. De plus, les arts, notamment les peintures noires, sont en train de disparaître à cause des intempéries et d'autres processus naturels : les parois karstiques des grottes et des abris sous roche sur lesquels ils sont appliqués continuent de s'exfolier, voire de s'effriter rapidement.

Des interventions urgentes, notamment la documentation, la conservation et éventuellement la restauration et la valorisation, sont donc nécessaires pour gérer, préserver et valoriser, ces patrimoines importants tant qu'ils sont encore accessibles.

Qu'est-ce qui empêche les chercheurs malgaches de mener cette intervention?

Le manque de fonds ! Le gouvernement malgache n'a jamais été intéressé à financer des recherches archéologiques dès la Première république et ce jusqu'à aujourd'hui. Faute de financement, les archéologues malgaches doivent toujours dépendre des chercheurs étrangers pour mener des recherches et/ou obtenir des financements de recherche.

Dans ces collaborations, les archéologues locaux jouent un rôle d'assistant de recherche et non de gestionnaires/décideurs de projet. Ils ont peu de mainmise sur la conception et la gestion du projet de recherche, alors que ces projets - financés et gérés par les archéologues étrangers - ne concernent nécessairement pas des sujets que les archéologues malgaches voudraient étudier. L'art rupestre est l'un des thèmes de recherche qui intéresse peu les chercheurs étrangers à Madagascar.

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