Alors que la Corée du Sud accueille les pays africains la semaine prochaine dans le cadre d'un sommet inédit qui se tiendra les 4 et 5 juin prochains à Séoul. Ce pays aux performances économiques remarquables, qui avait pourtant presque le même niveau de développement que Madagascar dans les années 60, ouvre ses portes aux pays africains, comme la Grande Île, pour échanger sur de nouvelles opportunités de coopération. Son ambassadrice à Madagascar, Park Ji Hyun, nous livre ses points de vue sur la coopération. Entretien exclusif.
Madagascar et la Corée du Sud étaient au même niveau de développement dans les années 60. Maintenant, la Corée du Sud se hisse parmi les pays les plus développés et les économies les plus dynamiques. Si vous pouviez partager en quelques phrases les explications de cet énorme écart, que diriez-vous ?
La Corée était l'un des pays les plus pauvres jusqu'aux années 60, une petite péninsule divisée en deux, et complètement ruinée par la guerre. Pourtant, nous avons pu trouver la clé du succès dans l'éducation. En effet, c'était le seul moyen pour la Corée qui ne possédait alors qu'une main-d'oeuvre abondante.
L'abondance de la main-d'oeuvre a permis d'opter pour une économie orientée vers l'exportation des biens manufacturiers, génératrice de devises étrangères qui ont été réinvesties dans l'industrie lourde. Une stratégie qui a métamorphosé un pays agricole pour devenir un pays industriel en quelques dizaines d'années seulement. Le volume d'exportation a augmenté à 1 milliard de dollars en 1970 par rapport à 100 millions de dollars en 1964 pour s'élever enfin à 10 milliards en 1977. C'était un exploit exceptionnel. À titre de comparaison, l'Allemagne et le Japon ont mis respectivement 11 ans et 16 ans pour passer de 1 milliard à 10 milliards de dollars en termes d'exportation. Aujourd'hui, le PIB par habitant de la Corée est de 32,422 dollars, 410 fois plus élevé que 79 dollars en 1960.
Madagascar dispose d'un grand potentiel pour devenir un pays émergent avec son vaste territoire, sa biodiversité et sa richesse en ressources naturelles et humaines. À cet égard, je trouve très opportun que le programme du second mandat du président Andry Rajoelina s'articule autour de trois piliers fondamentaux : le capital humain, l'industrialisation et la gouvernance.
En tant qu'ambassadeur de Corée, j'espère que Madagascar se transformera en pays plus riche et prospère. D'ailleurs, je souhaite devenir témoin du développement de Madagascar au cours de mon mandat.
Cela fait maintenant quatre mois que vous avez rejoint le poste à Madagascar en tant qu'ambassadeur de la République de Corée. Que pensez-vous du potentiel économique de Madagascar ?
Lorsque j'ai vu le profil du pays pour préparer mon installation, j'ai retenu les éléments tels que l'abondance des ressources naturelles, la biodiversité exceptionnelle et la population jeune et dynamique. Ces atouts sont largement connus, et j'ai pu me rendre compte combien le pays est béni, à mon arrivée ici.
À mon avis, Madagascar dispose de tous les éléments de base pour son développement. Or, afin de développer son potentiel, entre autres, le partage des expériences et du savoir-faire d'un pays qui a réussi, partant ex nihilo, à se hisser au rang des pays développés, pourrait être utile. Ainsi, je suis certaine que la Corée est un des meilleurs partenaires de Madagascar. En effet, la Corée, après avoir connu la colonisation et la guerre de Corée dans la première moitié du 20ème siècle, a pu atteindre une croissance économique fulgurante et la démocratie grâce à sa stratégie de développement autonome, tout en collaborant avec les partenaires internationaux, afin de sortir de la pauvreté. J'espère que nos deux pays continueront à travailler ensemble main dans la main pour renforcer le partenariat. La Corée voudrait et pourrait être un véritable partenaire de Madagascar pour l'accompagner dans son développement.
En matière d'investissement, le projet minier Ambatovy est le plus important des capitaux coréens dans le pays. Dans d'autres domaines, comme l'infrastructure, la banque, l'agro-alimentaire ou même le tourisme, par exemple, d'autres nationalités sont beaucoup plus présentes. D'après vous, Madagascar est-il une destination privilégiée des investissements coréens ?
Tout d'abord, le projet Ambatovy est le plus grand projet d'investissement de la Corée non seulement à Madagascar, mais aussi en Afrique. Bien sûr, Madagascar est une destination attirante pour les investisseurs coréens dans tous les domaines comme l'agriculture, la manufacture, l'énergie, le tourisme, sans parler du secteur minier. Seulement, il y avait relativement peu d'opportunités de présenter le charme de Madagascar aux investisseurs coréens.
C'est pour cela que l'ambassade de Corée a organisé le Business Forum avec l'Economic Development Board of Madagascar en juin 2023 à l'occasion du 30ème anniversaire du rétablissement des relations diplomatiques Corée- Madagascar. Nous avons invité des entités coréennes importantes telles que POSCO, Hyosung, Hyundai, Exim Banque, KITA (Korea International Trade Association) pour leur présenter les secteurs phares de Madagascar. Nous avons également organisé les B2B meetings pour relier les participants coréens et malgaches.
En outre, l'ambassade a publié le « Guide d'investissements à Madagascar » pour les futurs investisseurs coréens. Le guide comprend les informations essentielles relatives aux investissements étrangers à Madagascar sur les secteurs prometteurs, la modalité de la création d'entreprises et les lois et règlements liés aux investissements, entre autres.
Il y aura également le Business Summit qui est prévu le 5 juin dans le cadre du Sommet Corée-Afrique, à part des événements parallèles dans les domaines comme la sécurité alimentaire, la santé, la numérisation, la lutte contre le changement climatique et l'infrastructure qui permettront de promouvoir la coopération concrète et réelle entre nos deux pays. Je pense que cela constitue une excellente opportunité pour consolider la coopération mutuelle tout en attirant les investissements et favorisant les échanges entre les entreprises.
Depuis 2022, la chaîne d'approvisionnement en matière première a connu des perturbations au niveau mondial, qui ont impacté les prix à l'échelle internationale. N'y a-t-il pas là une opportunité pour développer un nouveau cadre de coopération économique entre les deux pays ?
La gestion des perturbations sur la chaîne d'approvisionnement est le défi à relever pour l'économie globale. La Corée comme Madagascar sont les pays directement impactés par la volatilité des prix sur le marché international. Notamment, Ambatovy fait face à un moment difficile à cause de la chute des cours du nickel et du cobalt qui provient des excédents. Une question pareille ne pourra être résolue par un seul pays, nécessitant ainsi des actions communes.
En août dernier, la Corée a signé le TIPF (Trade and Investment Promotion Framework) avec Madagascar. Il s'agit du premier TIPF que la Corée a signé avec un pays africain. Ce Protocole d'accord stipule la coopération non seulement sur la promotion du commerce et des investissements, mais aussi sur les enjeux actuels liés au changement du climat des affaires comme par exemple la chaîne d'approvisionnement, la digitalisation et la transformation énergétique. Je crois que le TIPF jouera un rôle dans le nouveau cadre de coopération économique entre la Corée et Madagascar.
De surcroît, le Sommet Corée-Afrique qui se tiendra la semaine prochaine marquera un tournant dans les relations économiques entre la Corée et Madagascar, et je vais déployer tous mes efforts pour promouvoir le partenariat réel entre nos deux pays.
La Corée est reconnue pour la technologie à l'échelle mondiale. Y a-t-il une discussion en cours avec le gouvernement malgache pour la coopération dans ce domaine ?
La technologie prend tout son sens, quand le progrès technologique rend plus riche la vie des gens et améliore leur bien-être. Aujourd'hui, elle est devenue essentielle pour le développement non seulement du secteur manufacturier, mais également des secteurs agricole, minier et halieutique ainsi que du secteur tertiaire comme la santé, le tourisme et de l'administration publique.
En particulier, le numérique constitue un enjeu d'actualité, et le gouvernement de Madagascar y investit activement, notamment dans le système numérique des services publics et l'économie numérique. En tant qu'un des leaders du marché global des TIC, la Corée mène la coopération dans le domaine numérique avec Madagascar par exemple dans le projet de la modernisation des douanes de Madagascar (5 millions de dollars). C'est un projet de l'installation d'un système électronique coréen, UNI-PASS, pour les autorités douanières malgaches afin d'améliorer l'efficacité et la transparence de l'administration douanière, voire de dynamiser le commerce international de Madagascar.
La Corée a également connu un grand progrès dans la technologie agricole, surtout en matière d'amélioration de la productivité du riz. Dans les années 70, la transformation des semences du riz a réussi et a accru de 30% la productivité en riz, ce qui nous a aidés à sortir définitivement de l'insuffisance alimentaire chronique et à réaliser l'autosuffisance en riz. Le gouvernement coréen prépare en ce moment la coopération avec Madagascar dans ce sens sur la base d'une telle expérience.
En termes de volume d'échanges, quels seront vos objectifs en matière de coopération avec Madagascar pour cette année 2024 ?
En 2022, l'exportation de la Corée vers Madagascar s'élevait à 35 millions de dollars (du gasoil et le véhicule), et l'importation de la Corée depuis Madagascar était de 117 millions de dollars (le nickel et les textiles). Le volume total qui était autour de 5.5 millions de dollars pour les années 2019-2021, s'est multiplié par 2.7 pour augmenter à 150 millions de dollars en 2023, ce qui est encourageant.
Je voudrais renforcer l'échange des personnes entre les deux pays pendant mon mandat. Car cet échange pourra promouvoir les investissements des entreprises coréennes et attirer les touristes coréens par exemple. Je ferai mon possible pour fournir plus d'opportunités aux jeunes malgaches afin qu'ils puissent étudier en Corée et élargir leurs connaissances. Je ferai en sorte que les jeunes professionnels compétents puissent faire preuve de leur expertise en Corée. Ainsi, je voudrais contribuer à la création d'emplois dans les deux pays.
Je vois beaucoup de potentiels dans le secteur du tourisme. Bien que Madagascar soit une destination réputée pour sa biodiversité exceptionnelle, elle était un pays moins connu pour la plupart des Coréens. Cependant, cette année, une émission télévisée coréenne de voyage où les jeunes coréens ont visité Madagascar a été mise en diffusion pendant deux mois avec les dix épisodes, et a connu un grand succès. Les téléspectateurs coréens ont pu connaître le charme de ce pays à travers l'écran, mais aussi remarqué à quel point la population malgache est sympathique et chaleureuse.
De ce fait, l'Ambassade s'attend à l'augmentation du nombre des touristes coréens cette année par rapport à l'an passé, et j'espère que davantage de Coréens découvriront les merveilles de Madagascar. En même temps si les autorités malgaches pouvaient faire une promotion ciblée pour attirer les touristes coréens, je pense que cela va vraiment marcher.
La jeunesse malgache commence à s'intéresser à la culture coréenne, notamment la langue. Pourtant, l'initiative du gouvernement coréen sur ce domaine se fait discrète dans le pays. Pourquoi ?
La K-culture inspire les jeunes du monde entier, et Madagascar n'y fait pas exception. J'ai appris même avant mon arrivée que la vague coréenne déferle sur Madagascar. Maintenant, j'ai découvert que l'engouement pour la K-pop, le K-drama et la langue coréenne était beaucoup plus fort que j'imaginais.
L'ambassade de Corée organise chaque année des événements culturels divers comme le K-pop Festival pour présenter la K-culture aux jeunes malgaches. Beaucoup d'activités pour promouvoir la langue coréenne sont également mises en oeuvre. À titre d'illustration, nous avons installé le "Korea Corner" au sein de la bibliothèque de l'université d'Antananarivo en 2019. Ce petit pavillon fournit au public l'occasion de consulter les manuels de coréen, ainsi que de lire les livres en coréen. Installé dans l'université d'Antananarivo, l'institut Roi Sejong offre des cours de la langue coréenne aux 400 apprenants chaque année, et organise des événements intéressants comme le concours de discours pour répandre la langue coréenne.
En outre, l'Ambassade organise le TOPIK (Test of Proficiency In Korea) depuis 2022. C'est un test officiel géré par notre ministère de l'Éducation qui évalue les compétences linguistiques des apprenants du coréen. L'Ambassade recommande ce test aux jeunes malgaches qui rêvent d'étudier en Corée, étant donné que le certificat du TOPIK favorise la sélection pour le programme de bourse financé par le gouvernement. Pour votre information, le TOPIK 2024 sera organisé le 12 octobre. L'Ambassade produit aussi les vidéos pour l'apprentissage du coréen, puis les diffuse gratuitement en ligne. L'année dernière, nous avons filmé 28 vidéos.
Pour répondre aux intérêts et passions pour la K-culture et la langue coréenne des Malgaches, l'Ambassade continue à chercher des moyens pour l'enseignement du coréen, mais projette aussi d'organiser des activités variées comme une journée de cours de Taekwondo ou bien de K-pop.
La semaine prochaine, le Sommet Corée-Afrique se tiendra à Séoul. À votre avis, quelle opportunité Madagascar aura-t-il lors de cet événement, surtout dans le contexte actuel de la géopolitique ?
Le Sommet Corée-Afrique constitue le premier sommet multilatéral avec les pays africains. Dans le souhait de devenir "Etat pivot mondial", le gouvernement coréen compte renforcer significativement les relations diplomatiques avec l'Afrique à cette occasion, puis fonder un partenariat gagnant-gagnant à long terme, voire tourné vers l'avenir.
Le thème du Sommet porte sur la croissance partagée, la durabilité et la solidarité. Il est vrai que la Corée n'est pas le seul pays qui porte attention au potentiel des pays africains et qui souhaite renforcer la coopération avec eux. Cependant, la Corée a vécu une histoire difficile avec la colonisation et la guerre. Elle a également vécu la pauvreté avant de devenir un pays développé. Vu que la Corée a connu une histoire similaire à l'Afrique, nous pourrions rendre possible la coopération réelle et durable sur la base de la compréhension et du respect mutuel. Le Sommet servira également à une excellente occasion pour renforcer les relations bilatérales entre nos deux pays.
La Corée et Madagascar peuvent devenir partenaires clés pour diversifier leur commerce. En ce moment, ils ne sont partenaires commerciaux principaux ni de l'un, ni de l'autre. Pourtant, puisqu'elles sont toutes les deux sensibles à la conjoncture économique mondiale comme les perturbations sur la chaîne d'approvisionnement, le renforcement de la solidarité économique et l'expansion du commerce leur permettront d'établir des relations gagnant-gagnant. De plus, si la Corée et Madagascar parviennent à étendre le champ de coopérations à travers le Sommet Corée-Afrique, ce sera une bonne occasion d'élargir l'horizon de la diplomatie entre les deux pays.