Ile Maurice: Comment arrive-t-on à cette «Rs 1 trillion economy» en cinq ans ?

À partir de ce matin, le pays emprunte la dernière ligne droite avant la présentation, le 7 juin, du Budget 2024-25. Dernier Grand oral du ministre des Finances, Renganaden Padayachy, ce nouvel exercice budgétaire suscite déjà d'importantes attentes populaires vu l'imminence des prochaines élections, avec fort probablement l'annonce d'une série de mesures populistes.

Dans un entretien à l'express paru samedi, le ministre balise les enjeux de ce nouveau Budget en rappelant qu'il épousera la même philosophie économique prônée depuis le début de ce mandat par le gouvernement. «C'est-à-dire une politique économique qui crée la croissance, réduit les inégalités et nous permet de lutter contre le changement climatique. (...) Pour le reste, vous le découvrirez dans le détail dans quelques jours. Les équipes du ministère sont pleinement mobilisées. Nous sommes dans la dernière ligne droite avant la présentation du discours du Budget à l'Assemblée le 7 juin. Je suis confiant et serein.»

Renganaden Padayachy souhaite maintenir son cap économique, se réjouissant d'ailleurs du dernier rapport pour le moins élogieux du Fonds monétaire international (FMI) de l'Article IV qui, dit-il, est venu reconnaître «l'efficacité de la stratégie économique du gouvernement et salue les mesures de soutien mises en place depuis le Covid-19». Il s'appuie sur les principales observations de ce rapport pour indiquer que Maurice passera à un produit intérieur brut (PIB) de «Rs 1 trillion economy» en 2029 et que la croissance dépassera les 4,9 % projetés par l'institution internationale pour se rapprocher de celle des autorités locales, estimée à 6,5 % en 2024. Le PIB au 31 mars 2024 était, selon Statistics Mauritius, de Rs 669 milliards

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Le FMI projette un PIB de Rs 1 trillion pour Maurice, soit mille millions de roupies pour l'horizon de 2029, soit dans cinq ans. Est-ce réalisable en se basant sur un PIB de Rs 722 milliards en 2024 ? L'institution financière internationale part du postulat que le PIB passera à Rs 775,3 milliards en 2025, Rs 834,3 milliards en 2026, Rs 894,3 milliards en 2027, Rs 958 milliards en 2028 pour atteindre Rs 1 trillion en 2029. Soit une hausse nominale (incluant l'inflation) de 8 % par an.

Selon l'économiste Eric Ng, c'est un objectif qui peut être atteint, car le PIB d'un pays est condamné à augmenter chaque année, sauf en cas de récession économique comme celle que le pays a connue en 2020 avec la pandémie de Covid-19. «Nominalement une hausse annuelle en moyenne de 8 % du PIB est possible. Toutefois, il faut dire qu'une hausse nominale du PIB de 8 % ou 9 % ne veut rien dire. C'est le taux réel qui compte sans l'effet des prix. Car nous avons un PIB tiré par l'endettement et la consommation.»

Baume au coeur du ministre

Par ailleurs, Eric Ng soutient que dans le PIB de 2024, il ne faut pas perdre de vue l'impact des Rs 140 milliards provenant de la planche à billets qui a fait gonfler ce chiffre. «Si après 60 ans d'indépendance, on ne parvient pas à atteindre un tel PIB, on a des raisons d'être inquiet. Pour moi, ce n'est pas un big deal car en dollars on est encore à presque USD 13 000 par tête d'habitant et on sera à un peu plus de USD 18 000 en 2029. À Singapour, un pays auquel on aime se comparer, il est aujourd'hui de USD 87 000 par tête d'habitant.»

Certes, le timing de la publication de ce rapport met du baume au coeur du ministre et du gouvernement. Ce qui a sans doute motivé le no 2 du gouvernement, Steven Obeegadoo, assisté du ministre de la Santé, Kailesh Jagutpal, à réunir la presse en fin de semaine pour affirmer que dans la reprise économique saluée par les experts du FMI, il y a une contribution non-négligeable de la performance du tourisme, dont il a le portefeuille, qui a retrouvé sa croissance pré-Covid, avec des recettes de presque Rs 86 milliards et des arrivées de plus de 1,2 million l'année dernière.

Cependant, le rapport ne se limite pas qu'à un constat positif sur toute l'économie de Maurice. Les experts mettent le doigt sur des problèmes susceptibles d'être des sources d'inquiétude pour le gouvernement. Nommément la dette publique, qui a atteint Rs 524,7 milliards en mars 2023, soit une hausse de Rs 88 milliards depuis mars de l'année précédente.

Ce qui représente 78,3 % du PIB, déjà supérieur à l'estimation budgétaire de 71,5 % du PIB en juin 2024. Autre constat: le poids des prestations sociales sur les finances publiques, plus particulièrement le vieillissement de la population mauricienne. Le FMI propose que l'âge d'éligibilité à la Basic Retirement Pension passe de 60 à 65 ans, ce qui entraînerait des économies potentielles d'environ 1,4 % du PIB, tout en ciblant les personnes âgées les plus financièrement vulnérables pour bénéficier de ces prestations.

Le warming-up autour du dernier Budget du présent mandat ne fait que commencer. Dans les jours à venir, des spéculations sur les annonces vont retenir l'attention de la population.

Le Premier ministre, Pravind Jugnauth, est allé plus loin que son ministre des Finances en laissant entendre à la presse, la semaine dernière à Rose-Belle, que ce Budget fera encore «labous dou» à la population contrairement à son prédécesseur qui aurait «lourdement taxé les plus défavorisés».

Compte tenu du contexte électoral, il faut s'attendre à ce que le Grand argentier fasse davantage la part belle, une nouvelle fois, au social en apportant des solutions concrètes pour soulager la population de la cherté de la vie, une préoccupation constante que celle-ci, recoupant toutes les classes sociales, vit au quotidien. Ce qui présupposerait des mesures de soutien à travers la fiscalité et de nouveaux mécanismes pour mieux contrôler les prix ou proposer un gel partiel, comme ce fut le cas il y a deux ans.

En même temps, il y a une urgence à stopper la dégringolade de la roupie, plus de 28 % depuis 2019. Le leader de l'Alliance de l'opposition, Navin Ramgoolam, l'a souligné samedi lors de sa conférence de presse, insistant que «contrairement à un miracle économique que le gouvernement avait promis en 2014, c'est un mirage économique auquel la population a droit après dix ans, avec tous les principaux indicateurs dans le rouge».

Les syndicats montent également au créneau ces jours-ci pour réclamer que le réajustement des salaires, tant dans le privé que le public, suive l'augmentation du salaire minimum à Rs 16 500, en tant que mesure budgétaire. Les patrons, à travers Business Mauritius, ne sont pas favorables à cette proposition, conscients de la complexité du système salarial dans le privé avec l'introduction du National Minimum Wage et proposent que le rattrapage de salaires soit réglé par une structure de rémunération centralisée. Reste à savoir si, dans cette démarche de distribution de cadeaux à la veille des élections, cette mesure sera annoncée par le ministre Padayachy.

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