Burkina Faso: Production du piment à Banfora - L'appel des producteurs à la transformation résonne

La région des Cassades, et plus particulièrement la commune de Banfora, est une grande localité de production de piments. Durant la campagne sèche 2023-2024, ce sont 890 hectares (ha) qui ont été emblavés pour la culture de ce fruit. Près de 4 000 personnes se consacrent à cette activité. La production du piment est beaucoup plus concentrée dans la commune de Banfora où on a produit l'année dernière plus de 12 000 tonnes (t). La grande quantité de ces primeurs est exportée vers la Côte d'Ivoire. Au cours du mois d'avril 2024, nous avons rencontré les producteurs, les commerçants et d'autres acteurs qui vivent de la production du piment. Ils souhaitent tous la construction d'une unité de transformation à Banfora afin de résoudre en grande partie les difficultés que rencontre cette filière.

«Rassurez-vous. Il n'y a plus d'inquiétude ». Ce sont les premiers mots de Djema Héma pour nous rassurer de la quiétude dans la zone lorsqu'il est venu nous accueillir à Niangoloko, ville frontalière du Burkina Faso avec la Côte d'Ivoire, pour nous conduire dans son champ de piment situé à une dizaine de kilomètres de la ville. En sa compagnie, nous empruntons une piste. Tout au long de la dizaine de kilomètres, nous ne rencontrons aucune vie humaine. Au bout d'une trentaine de minutes à serpenter dans la forêt, nous voilà dans l'exploitation de Djema Héma. Ses ouvriers dont un avec une arme en bandoulière nous surveille.

Le jeune agriculteur nous raconte qu'il y a quelques mois, il avait abandonné son champ entre les mains des terroristes qui y avaient élu domicile. Ses poules, ses oeufs et les poissons qu'il élevait dans un bassin d'eau ont tous été consommés par les terroristes qui ont pris le luxe de se prélasser sous un hangar qu'il avait construit dans le champ. Mais aujourd'hui, fait-il savoir dès les premiers moments de contact, les terroristes ont été chassés des lieux et neutralisés, même si leurs traces sont toujours visibles.

En témoigne le hangar brûlé et certain de leurs objets abandonnés sur les lieux. Djema Héma a pu ainsi récupérer son champ après que les éléphants, profitant de l'absence humaine, aient saccagé ses centaines de pieds de papayers et les installations d'irrigation de son exploitation. D'une superficie de huit ha, l'exploitation fonctionne avec un système d'irrigation sur cinq ha. Sur cette superficie, Djema Héma cultive (pour le moment) du piment sur un hectare et demi. Ingénieur en agroalimentaire, ce jeune diplômé a décliné plusieurs offres d'emploi tant au niveau national qu'international pour se consacrer à l'élevage et à l'agriculture dont la culture du piment.

Après avoir essayé plusieurs spéculations, son choix a été porté sur ce fruit à cause de sa rentabilité. « Comme toute activité, c'est l'argent qui nous a amenés à cultiver le piment. Parmi tant de cultures maraichères que j'ai essayées, je me suis rendu compte que le piment est beaucoup plus rentable, peu importe la saison de production », explique-t-il. Dès qu'il produit, poursuit-il, il y a toujours le marché.

L'ingénieur agronome attend un bénéfice de près de trois millions F CFA par récolte alors que le champ peut atteindre six récoltes par saison. Son gain sera beaucoup plus important en juin ou juillet où le prix d'achat du piment est beaucoup plus élevé, soit entre 50 000 et 75 000 F CFA le sac de 120 kilogrammes (kg). En ce mois d'avril 2024, le prix varie entre 20 000 et 25 000 F CFA le sac bord champ. Tout en rendant un hommage aux Forces de défense et de sécurité (FDS) et aux Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) pour avoir « désinfecté » la zone du terrorisme, le producteur a dit sa fierté de retrouver son champ avec ses ouvriers.

De Niangoloko, nous mettons le cap sur Nafona, village situé dans les encablures de Banfora, aux abords des champs de la canne à sucre. Là, plusieurs producteurs de piment nous attendent. Salia Sirima est l'un d'eux. Il nous fait visiter son champ qui s'étend sur près d'un ¼ ha.

Trois millions F CFA de bénéfice par an

Ce champ présente une bonne physionomie. Le piment, aux différentes couleurs (rouge, vert ou jaune) pend sur leurs supports dont certains ploient sous le poids des fruits qu'ils portent. Producteur de piment depuis près de huit ans, M. Sirima dit faire chaque année un bénéfice de près de trois millions F CFA. A quelques encablures de

sa plantation, son voisin, Bamassi Héma, nous accueille. Avec une daba aux épaules, il nous fait voir avec un brin de découragement son exploitation. Son champ ne présente pas les mêmes caractéristiques que celui de Salia Sirima.

Les plantes ne portent pas assez de fruits, les feuilles, sans doute attaquées par des maladies, se sont recoquillées sur elles-mêmes, par terre gisent beaucoup de piments pourris récoltés par des femmes employées ce jour pour cette tâche. Déçu du rendement de son exploitation, Bamassi Héma n'est pas loin d'abandonner la culture du piment pour embrasser d'autres cultures de contre-saison. Les producteurs que nous avons rencontrés à Karfiguela, Tingrela, Lemouroudougou, ou Kossara reconnaissent tous que la culture du piment est rentable. Beaucoup d'entre eux font des bénéfices allant de 1 à 2 millions F CFA, voire plus par an.

Ils font souvent face à certaines difficultés liées au manque de semence de qualité, de produits de traitement et d'eau. Ce sont d'ailleurs ces raisons qui ont sapé le moral de Bamassi Héma. « Nous rencontrons actuellement des difficultés. Le prix de l'engrais a augmenté. Les produits de traitement et les semences de piment que nous achetons ne sont pas de qualité. Ce qui fait qu'au moment de la récolte, nous enregistrons des pertes parce que les plantes ne donnent pas assez de fruits », se lamente Bamassi Héma qui rejoint les femmes venues l'aider à récolter les quelques fruits restants.

Difficulté de commercialisation

Et, l'un des goulots d'étranglement dans la production du piment est l'écoulement. Produit « très » périssable, les paysans sont obligés de vendre aussi rapidement que possible leur piment afin qu'il ne se retrouve pas dans les poubelles. Aussi, la plupart des producteurs de piment récoltent au même moment poussant ainsi l'offre à dépasser la demande, ce qui entraine des baisses du prix d'achat.

En outre, faute d'organisation, les producteurs sont amenés à vendre leurs produits au prix fixé par les acheteurs et ont souvent quelques incompréhensions avec leurs clients. Lacina Sagnon, producteur de piment à Karfiguela en témoigne. « Les clients viennent acheter à bord champ notre piment au prix qu'ils veulent. Certains achètent même à crédit pour nous rembourser après-vente. Souvent, ils reviennent dire que soit le piment a pourri en cours de route, ou le prix de vente a baissé en Côte d'Ivoire.

Ce qui joue sur nos revenus, car nous sommes obligés de prendre ce qu'ils nous donnent », témoigne-t-il avec amertume. Bibata Traoré, acheteuse, entre deux sacs pleins de piment qu'elle vient d'acheter, se défend. « Nous achetons le piment pour aller vendre à Abidjan en Côte d'Ivoire. Souvent, nous gagnons. Mais, il y a des moments où le prix chute. Ce qui fait que nous n'arrivons même pas à avoir le prix auquel nous avons acheté ici à Banfora », se justifie l'acheteuse.

Parfois, poursuit-elle, à la suite à des pannes de véhicule, le piment se gâte en cours de route. La plupart des acheteurs de piment évoquent ces mêmes difficultés qu'ils ont tant dans le transport du piment que dans la vente sur les marchés en Côte d'Ivoire. Les producteurs de Banfora souhaitent alors que des solutions soient trouvées à la conservation ou la transformation du piment sur place.

Pour une unité de transformation

Ce voeu est partagé par Djema Héma qui milite pour la transformation du piment afin d'éviter les aléas liés à son exportation. Il se soucie néanmoins de la disponibilité de cette matière première pour faire tourner les unités de transformation. « Qui parle de transformation parle de disponibilité de la matière première. Il faut commencer petit à petit

pour garantir l'approvisionnement en matière première afin de transformer le piment. Si, nous arrivons à la chaîne de transformation, les productions vont augmenter.

Cela sera de l'emploi pour les jeunes et va inciter d'autres personnes à aller dans l'entrepreneuriat. Il faut investir dans la créativité et la diversité de la production », argue Djema Héma. S'agissant de la disponibilité du piment, des producteurs, comme Madjouama Soura, rassurent.

« Nous n'avons pas peur pour cela. Nous pouvons remplir plus de 30 remorques par jour. Le piment sera bien disponible », dit-il. Le président de la Chambre régionale d'agriculture des Cascades (CRA/Cascades), Moussa Koné, opte également pour la transformation du piment à Banfora. « La transformation peut se faire à deux niveaux. On peut faire une transformation en poudre et d'autres produits dérivés, mais on peut aussi opter pour une conservation à l'état », soutient M. Koné.

Avec le Conseil régional des Cascades, Moussa Koné fait savoir que des réflexions sont en cours pour la faisabilité de cette unité de transformation de piment. « Elle peut être à l'image de l'unité de transformation de tomate que l'APEC (ndlr : Agence pour la promotion de l'entrepreneuriat communautaire) est en train de construire à Bobo-Dioulasso », dit-il. Avec plus de 10 000 t de piment produites chaque année, le président de la CRA/Cascades et ses collègues producteurs ambitionnent faire des Cascades la région par excellence de production et de transformation de piment au Burkina Faso.

« Si, nous voulons une plus-value économique, il faut transformer au moins 30% à 50 % de cette production », se convainc Moussa Koné, indiquant que cela va créer plus de valeurs ajoutées et plus d'emplois pour permettre à la filière d'être bien développée. Pour lui, le piment participe à l'économie locale, car la plupart de la production est exportée vers la Côte d'Ivoire et le Ghana.

De nombreuses initiatives pour booster la filière

« La spéculation fait nourrir beaucoup d'hommes et occupe la plupart de la jeunesse rurale de la commune de Banfora et mérite d'être soutenue par les autorités », plaide-t-il. La chambre d'agriculture, une institution consulaire qui joue le rôle d'interface entre les acteurs du monde rural et le pouvoir public, a entrepris dans ce sens des formations à l'endroit des producteurs de piment. C'est surtout dans l'utilisation de certains fertilisants et des produits phytosanitaires, vu que cette activité est beaucoup pratiquée au bord des cours d'eau, notamment la Comoé, afin d'éviter la pollution de l'eau.

Des concertations, à entendre Moussa Koné, sont en cours pour la commercialisation du piment, surtout dans son volet prix. « La grosse difficulté est l'instabilité des prix qui sont fixés par les acheteurs. Nous avons pu trouver des solutions dans ce sens. L'une de ces solutions était de voir comment on peut stratifier les zones de récolte pour ne pas avoir une abondance des produits sur le marché », informe M. Koné.

La solution, poursuit-il dans ses explications, a été de catégoriser les zones de productions. De concert avec les acteurs eux-mêmes, trois zones ont été identifiées. « Ce sont ces zones qui pourront faire, à tour de rôle, des récoltes afin de ne pas avoir beaucoup de produits sur le marché pour faire baisser les prix », détaille le président de la Chambre régionale d'agriculture.

Aussi, de l'avis de son président, la Chambre régionale d'agriculture est à la recherche de solutions au problème d'eau, des semences et des produits de traitement afin que le problème de disponibilité de cette matière première ne se pose pas une fois le projet d'unité de transformation réalisé. S'agissant de la question de l'eau, la solution, selon le président est de réaliser des forages de façon mutualisée par ces maraîchers eux-mêmes et d'installer des systèmes d'irrigation innovants, tel que le système d'irrigation goutte à goutte afin de rendre cette production plus professionnelle.

« Pour le moment, la production est saisonnière, mais, il y a des solutions qui peuvent permettre aux acteurs de produire à tout moment », soutient, Moussa Koné. Quant à la question des semences, M. Koné a interpellé les autorités pour qu'elles puissent mettre l'accent sur le contrôle de la qualité des semences, car, le taux de germination est bas (autour de 30 à 40%) si les semences ne sont pas de bonne qualité. « Cette filière doit être beaucoup maîtrisée. Nous allons voir au niveau de la Chambre d'agriculture pour mettre en place des comités de plainte en collaboration avec le ministère de l'Agriculture pour pouvoir dénoncer certains cas », prévient le président de la CRA/Cascades.

Des initiatives seront également entreprises pour maitriser le circuit des produits phytosanitaires. « La plupart des distributeurs de produit phytosanitaire mettent l'accent sur des produits qui concernent la production céréalière. L'encadrement et l'accompagnement doivent suivre cette production qui est de plus en plus pratiquée, car ces productions sont plus économiquement rentables par rapport aux cultures céréalières », indique Moussa Koné. Pour aller vers la transition de l'agriculture durable, suggère M. Koné, il serait bien de s'intéresser à ces acteurs. « Il n'y a pas de produit spécifique pour le traitement de ces légumes, si fait que le traitement est fait d'une manière aléatoire. Un regard soutenu doit être fait à ce niveau », conseille Moussa Koné.

Le chef de l'Etat et l'usine de transformation de piment à Banfora

Le chef de l'Etat, le capitaine Ibrahim Traoré, a échangé, mardi 23 avril 2024 à Banfora, avec les forces vives de la région des Cascades. La question de la construction d'une unité de transformation du piment a été au coeur des échanges entre les deux parties. Sur ce point, le chef de l'Etat a invité les opérateurs économiques de Banfora à s'organiser de telle sorte à réunir les 50% de la valeur d'une unité de transformation de piment.

« Si, ce quota est acquis, l'Etat se chargera de trouver les 50% restants pour construire l'usine de transformation de piment à Banfora », a rassuré le capitaine Ibrahim Traoré. L'Agence pour la promotion de l'entrepreneuriat communautaire (APEC) sera mise à contribution à cet effet. A ce qui nous est revenu, l'APEC et les acteurs économiques sont déjà en pourparlers pour la mise en oeuvre de ce projet dans la cité du Paysan noir.

 

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