Ile Maurice: Une analyse de la sécurité alimentaire locale de 2014 à 2023

analyse

Ce dossier portant sur la sécurité alimentaire du pays couvre la période de 2014 à 2023, depuis l'accession au pouvoir de ce gouvernement à la fin de 2014. Le point de départ est la première présentation du Budget en 2015, suivie du plan stratégique non-sucre 2016-2020, publié en janvier 2016.

Ce plan répertorie la nouvelle politique agricole du gouvernement ainsi que les objectifs à atteindre d'ici 2020. L'auteur estime qu'il était important pour lui d'entreprendre cet exercice, car le ministère de l'Agro-industrie est resté jusqu'ici silencieux sur le bilan de la situation alimentaire basé sur ses propres objectifs.

1. Introduction

En janvier 2016, le ministre de l'Agro-industrie dévoilait le Plan stratégique agricole (non-sucre) 2016-2020, dont les grandes orientations pour le secteur alimentaire et, en particulier, pour les filières maraîchère et fruitière respectivement, s'inspirent du programme gouvernemental 2015-2019.

Présenté comme un plan de redressement ou encore comme une feuille de route pour la relance du secteur primaire et celui de la transformation, il vise, entre autres, à améliorer la couverture de notre sécurité alimentaire, à augmenter la résilience du pays vis-à-vis des bouleversements géopolitiques et climatiques, à assurer une production axée sur le développement durable et économique du secteur, et à garantir la salubrité des aliments en appliquant des normes sanitaires clairement définies.

%

Pour atteindre ces objectifs, le programme fait référence à l'usage de pratiques agricoles durables et à des méthodes de production respectueuses de l'environnement en ayant recours à l'introduction et à la promotion de nouvelles pratiques culturales, tout en favorisant la création d'un environnement propice visant à stimuler la réalisation des objectifs de production, d'ici à l'échéance 2020.

Ainsi, la norme dominante du plan est axée sur le développement et la croissance de la production primaire des légumes et, à un degré moindre, des fruits, à travers l'agriculture biologique intensive, la permaculture, l'aquaponie tout en promouvant la culture protégée. Il est également prévu l'introduction d'un volet légal pour réguler la production bio et la création de zones de production dédiées à ce mode de production à travers l'île.

L'agro-industrie occupe aussi un rôle important et stratégique dans ce plan, car les autorités se sont engagées à réduire la dépendance du pays des importations des produits transformés en développant le secteur agro-industriel. Le secteur d'élevage, notamment les filières viande bovine et lait frais, est aussi appelé à croître à travers une augmentation de la production primaire et de la disponibilité d'animaux de race supérieure visant à améliorer la productivité.

Il serait opportun de faire ressortir qu'à la page 89 du programme stratégique, il est mentionné, je cite : "...It is believed that by the end of this Plan's timeframe (NdlR : 2020), the country would have witnessed a significant transition into sustainable agricultural development, fully prepared to meet the challenges of food security and safety, with Agriculture well equipped to cope with the additional risks that climate change may present.

2. Les objectifs

Dans les points ci-dessus, l'accent a été mis sur une présentation sommaire du plan stratégique, notamment, de la nouvelle orientation donnée au secteur alimentaire, l'urgence et la nécessité d'augmenter la production locale, sans oublier les engagements pris par le gouvernement à travers les mesures mises en place pour atteindre les buts et objectifs fixés, à l'échéance du plan stratégique, notamment 2020, dont quelques-uns des plus importants sont :

· Produire 50% de la production de légumes sous le label bio et promouvoir une agriculture durable, financièrement viable.

· Renforcer la résilience de la production locale face aux chocs alimentaires mondiaux et aux changements climatiques.

· Réduire la dépendance alimentaire du pays vis-à-vis des importations, augmenter la production primaire des légumes, des fruits, de lait et de viande tout en mettant l'accent sur la salubrité des produits.

· Développer et consolider les filières où l'autosuffisance est atteinte.

· Promouvoir le développement du secteur agro-industriel et le transformer en un hub régional.

· Augmenter les exportations alimentaires, avec l'accent sur la qualité et la diversification des produits avec l'aide de l'EDB.

· Réduire le déficit commercial entre exportations et importations de produits alimentaires.

· Accroître la contribution du secteur agricole non-sucre dans l'économie nationale.

· Produire une partie de nos besoins alimentaires dans la région.

3. Bilan de la situation alimentaire 2014-2023

La présente section est consacrée à un inventaire du marché alimentaire domestique, permettant ainsi de mesurer de manière tangible le volume exclusivement destiné à la consommation locale et de tirer les enseignements sur les retombées de la nouvelle politique alimentaire décrite dans le plan stratégique.

Ce bilan, dont les indicateurs se trouvent ci-dessous, se réfère aux produits alimentaires émanant du domaine végétal et animal (incluant les intrants et autres produits destinés à l'alimentation des animaux d'élevage pour la production de viande, de lait et d'oeufs mais excluant toutefois les filières sucre et halieutique.

.. La production primaire locale.

.. Les importations nettes (importations brutes-réexportations).

.. Les exportations domestiques.

Il importe de souligner que les statistiques mentionnées et analysées dans ce document ont été obtenues auprès des organismes suivants, ainsi qu'à partir des recherches personnelles :

(i) Statistics Mauritius (production primaire locale).

(ii) Chambre de Commerce et d'Industrie (Importations brutes, réexportations et exportations).

La phase analysée s'étend de 2014 à 2023, avec 2014 comme année charnière car elle représente la fin d'une époque où l'usage des produits chimiques (engrais et pesticides) dans les plantations est une pratique courante et normale. En effet, le basculement vers un nouveau mode de production, comme annoncé dans le plan stratégique, avec l'agriculture biologique comme fer de lance, sous-tend une réduction progressive de l'usage des produits chimiques dans les champs.

En prolongeant le cycle examiné à 2023, cela a permis d'évaluer de manière plus objective l'impact de la nouvelle politique, introduite depuis 2015/2016, et d'évaluer si les actions et mesures initiées pour corriger et améliorer les dysfonctionnements des précédentes stratégies nationales, ont contribué à aider à rehausser le niveau de sécurité alimentaire du pays et à améliorer sa résilience face aux perturbations comme la crise sanitaire du Covid, aux changements climatiques et autres crises géopolitiques, sans oublier leurs effets pervers sur le pouvoir d'achat des consommateurs.

La synthèse qui suit a été élaborée essentiellement sous forme de statistiques (tableaux/graphiques), et dépeint la production locale, les exportations domestiques, les importations nettes et finalement le volume alimentaire destiné exclusivement à la consommation locale entre 2014 et 2023.

Pour terminer, il est important de noter qu'en raison de l'arrondissement des chiffres, certains pourcentages présentés dans cet article pourraient ne pas correspondre à la somme totale additionnée.

A. Production de légumes en plein air (incluant épices et condiments) : 2014-2023

*Provisoire

B. Production fruitière (ananas et banane)

Selon Statistics Mauritius, les chiffres officiels de production de bananes et d'ananas sont obtenus du FAREI et couvrent environ 85 % de leur production respective. Les 15 % restants émanent du dernier recensement national agricole effectué en 2014. Concernant la production des autres fruits, celle-ci est estimée sur la base du recensement national agricole de 2014 ainsi que sur celui du Housing Census de 2011. Ainsi, basé sur ces informations, il est estimé que la production annuelle oscillerait, dépendant des années, entre 25 000 et 30 000 tonnes. Ces chiffres doivent donc être utilisés avec circonspection.

Cela étant, intéressons-nous, sous ce présent chapitre, et ce pour des raisons évidentes, aux deux seuls fruits (ananas et banane) figurant dans les statistiques officielles des foodcrops publiées par Statistics Mauritius, comme démontré ci-dessous. Du reste, ce sont de loin les deux plus importants fruits cultivés commercialement localement.

Production d'ananas et de banane

2014-2023

Tonnes

*Provisoire

C. Production primaire des produits carnés, de lait et d'oeufs

Le tableau ci-après montre l'évolution de la production primaire des produits carnés, de lait et d'oeufs entre 2014 et 2023.

Production primaire de produits carnés, d'oeufs et de lait

2014-2023

Tonnes

*2022 : Estimations.

^2023 : Provisoire

1Incluent la production ovine et caprine de Rodrigues, comme figurant dans les statistiques officielles.

D. Exportations domestiques : 2014-2023

Ce chapitre aborde l'évolution, en volume et en valeur, des exportations alimentaires domestiques destinées à l'alimentation humaine et animale (production de viande, de lait et d'oeufs), excluant toutefois le sucre et les produits halieutiques, entre 2014 et 2023.

Volume et valeur

Exportations alimentaires domestiques

Volume et Valeur

2014-2023

Tonnes et Rs/Mrd

Part des groupes de produits alimentaires dans les exportations domestiques (% volume et valeur)

Le graphique suivant fait référence à l'apport des différents groupes alimentaires, sous formes de pourcentage, dans le volume et la valeur des exportations au cours de deux périodes distinctes, notamment 2014 et 2023.

Exportations domestiques par groupe de produits

% du volume total

2014 et 2023

Exportations domestiques par groupe de produits

% de la valeur totale

2014 et 2023

Exportations domestiques de légumes (frais et transformés) : 2014-2023

E. Importations nettes

La présente section traite des importations nettes exclusivement destinées à la consommation locale (incluant les intrants pour l'industrie de la transformation mais excluant les filières sucre et halieutique respectivement). Ces statistiques ont été mesurées à partir des importations brutes et des réexportations et couvrent la période 2014 à 2023.

F. Consommation locale 2014-2023

La comptabilisation du volume net destiné exclusivement à la consommation locale est calculée tenant compte de la production locale, des importations nettes et des exportations domestiques. S'agissant du présent exercice, la variation des stocks d'une année à l'autre n'a pas été considérée. Même si elle l'avait été, cela n'aurait pas changé grand-chose au résultat final.

Le graphique ci-dessous montre l'évolution du volume net destiné à la consommation locale entre 2014 et 2023.

G. Origine géographique des denrées alimentaires destinées à la consommation locale (2014-2023)

Sous ce chapitre, l'accent est mis sur l'origine géographique (locale ou importée) des produits alimentaires (frais, transformés, intrants utilisés par l'industrie de la transformation) destinés exclusivement au marché local.

H. Evolution de la consommation des produits alimentaires frais et transformés sur le marché local (%)

Le graphique qui suit donne un aperçu de la consommation alimentaire locale sous forme de produits frais et transformés (incluant les intrants pour l'industrie de la transformation mais excluant le sucre et les produits halieutiques), entre 2014 et 2023.

4. Analyse de la situation alimentaire : 2014-2023

A. Recul de la production locale et accroissement des importations alimentaires

Le bilan de la situation alimentaire présenté ci-dessus fait voir un contexte différent de celui énoncé dans le plan stratégique 2016-2020. Cette situation particulière illustre les lacunes de notre système productif, peu compétitif et performant, s'adaptant difficilement face aux soubresauts affectant la situation alimentaire locale (l'année 2020 en est le parfait exemple), découlant ainsi sur une augmentation de nos importations.

Entre 2014 et 2023, le volume des produits alimentaires, destinés exclusivement à la consommation locale, a augmenté de quelque 88 000 tonnes, passant de 683 260 tonnes à 770 957 tonnes (+12,8%), soutenu par un accroissement des importations, de 499 905 tonnes à 568 712 tonnes (+13,8%), alors que la production locale progressait de 183 355 tonnes à 202 844 tonnes (+10,6%).

Il découle de cette situation, un taux d'autosuffisance, diminuant de 27% en 2014 à 26% en 2023 (après avoir dégringolé à 22% en 2020) alors que notre dépendance des importations s'affirmait, passant de 73% à 74% (après avoir atteint un pic de 78% en 2020).

Ainsi, en pratiquement une décennie, l'objectif du gouvernement de réduire la dépendance du pays des importations alimentaires s'est avérée irréalisable, mais prévisible, alors que la situation locale continue à se dégrader, entraînant dans son sillage des conséquences pénibles sur le pouvoir d'achat des consommateurs, en particulier sur celui des économiquement faibles.

Ce constat est la conséquence des stratégies inappropriées, diamétralement opposées aux réalités du terrain. Par exemple, l'entêtement à vouloir à tout prix favoriser, d'un trait de plume et ce sur une échelle démesurée unique en son genre sur le plan mondial en termes de pourcentage par rapport à la production locale, la culture biologique au détriment de celle conventionnelle, est aussi en grande partie responsable de la situation qui prévaut aujourd'hui dans la filière des légumes frais.

Par ailleurs, la faiblesse de la politique alimentaire domestique et de son incapacité à faire face à la situation géopolitique et climatique ainsi qu'aux problèmes inhérents à la situation locale, plus particulièrement depuis 2020, mettent en relief les énormes contraintes rencontrées par la grosse majorité de l'industrie locale, dont les plus marquantes sont le manque de compétitivité et une productivité déficiente dans son ensemble.

B. La performance des filières

Légumes frais (incluant les épices et plantes aromatiques)

Le tableau qui suit montre la disponibilité des légumes périssables frais (laitue, haricot, tomate, concombre, filants, crucifères, etc.), incluant les condiments mais excluant la pomme de terre, l'oignon et l'ail, pour la consommation domestique entre 2014 et 2023.

Disponibilité de légumes frais pour la consommation locale

2014-2023

Tonnes

*Excluant la pomme de terre, l'oignon et l'ail.

^Contribution dans la consommation locale.

Les chiffres présentés sont indéniables et font voir que le pays est quasi auto-suffisant en légumes frais, avec un seuil d'autosuffisance moyen de 99%. Le 1% restant provenant des importations. Quant à la culture bio, dont l'objectif avait été fixé à 50% de la production locale d'ici 2020 (soit quelque 45 000 tonnes uniquement pour les légumes), celle-ci demeure toujours à l'état de promesse et demeure, jusqu'ici, un boulet que les autorités peinent à traîner.

Ainsi, malgré les faiblesses inhérentes à la production primaire de légumes, les conditions climatiques de plus en plus défavorables, en particulier durant la saison des pluies, ainsi que les nombreux manquements qui lui sont imputés, comme les prix de vente scandaleux appliqués et l'usage des pesticides (nous y reviendrons dans un prochain article), la filière des légumes frais, avec 80% de la production provenant des petits planteurs, assume toujours pleinement sa responsabilité qui consiste à nourrir la population, tout en permettant au pays de maintenir sa quasi-autosuffisance.

Pomme de terre, oignon et ail

Intéressons-nous maintenant à l'évolution de la production locale et aux importations de pomme de terre, d'oignon et d'ail entre 2014 et 2023 et dont le bilan contraste avec celle des légumes périssables.

S'agissant de la pomme de terre, la production a subi un net recul entre 2014 et 2023, s'effondrant de 19 404 tonnes à 13 719 tonnes (-29%), et ce malgré les généreuses mesures incitatives accordées aux planteurs (semences subventionnées à hauteur de 75% du prix de vente et un prix minimum garanti aux producteurs, supérieur à celui déterminé par le coût de production), au grand dam des consommateurs. Notons qu'entre 2022 et 2023, la consommation a chuté de 23%, en raison d'une pénurie, quoique démentie par les autorités, ayant pour origine une baisse de 17% dans la production locale et de 30% dans les importations, par suite de la décision de l'Inde de réduire l'exportation de cette denrée stratégique.

Concernant l'oignon, la production a évolué en dents de scie entre 2014 et 2023, chutant de 5 912 tonnes en 2014 à 3 219 tonnes en 2019 pour ensuite augmenter à 7 443 tonnes en 2022 et retomber à 5 403 tonnes en 2023 (-27%) malgré une superficie récoltée plus conséquente (380 hectares en 2023 contre 330 hectares en 2022). Ainsi, la baisse dans la production est essentiellement due à une chute alarmante de 37% du rendement moyen.

A noter que les producteurs d'oignon ont bénéficié des mêmes mesures incitatives que celles accordées aux planteurs de pomme de terre, alors que le prix de vente au détail passait, comme pour la pomme de terre, à Rs 50 le kilo.

A propos de la production d'ail, les indicateurs de performance font voir un secteur qui se rétrécit comme une peau de chagrin, avec une production s'effondrant de 163 tonnes en 2014 à 52 tonnes en 2023 (-68%), malgré toutes les mesures d'accompagnement allouées pour booster la culture.

Partant du constat ci-dessus, le pays demeure toujours lourdement dépendant des importations de pomme de terre et d'oignon, et ce malgré toutes les mesures incitatives accordées aux producteurs, alors que pour l'ail il faut se rendre à l'évidence que le déclin de la production est d'une telle ampleur qu'il ne serait pas étonnant de voir sa culture commerciale disparaître dans le court à moyen terme.

Production locale et importation de pomme de terre, d'oignon et d'ail

2014-2023

Tonnes

*Provisoire

Fruits frais (ananas et banane)

La production locale de fruits frais, notamment l'ananas et la banane, a chuté de 13% entre 2014 et 2023, passant de 19 621 tonnes à 17 164 tonnes. En y regardant de plus près, l'on s'aperçoit que cette baisse a pour origine une régression substantielle dans la production d'ananas, dégringolant de 10 788 tonnes en 2014 à 5 918 tonnes en 2023 (-45%). Ainsi, l'ananas ne représentait plus, depuis 2021, le principal fruit produit localement, étant largement devancé par la banane, dont le volume a progressé de 8 833 tonnes en 2014 à 11 246 tonnes en 2023 (+11%). L'accroissement de la production de la banane est essentiellement dû à une hausse de 54% dans la superficie récoltée alors que le rendement moyen périclitait de 16% durant la même période.

Ainsi, les dires des représentants des planteurs qui justifient le prix élevé de ce fruit, qui peut varier entre Rs 10 et Rs 25 l'unité dépendant de la variété, en raison du désintérêt des planteurs à continuer sa culture, n'est qu'un leurre et n'est nullement acceptable pour un produit dont la qualité est en chute libre.

S'agissant de l'ananas, mention est faite dans le plan stratégique d'augmenter le rendement moyen de 27 tonnes/hectare à 50 tonnes/hectare, d'ici 2020. Cet objectif n'a non seulement pu être réalisé mais, pis encore, entre 2014 et 2023, le rendement moyen a chuté de 17% pour atteindre 20 tonnes/hectare.

Les produits d'élevage

Au niveau de l'élevage, il existe la filière avicole (poulet de chair et oeufs) et les autres. En 2023, la production de poulet de chair et d'oeufs représentait 97% du volume commercial primaire de produits carnés, d'oeufs et de lait, équivalant à une production de 71 700 tonnes (sur un total d'environ 74 000 tonnes), soit 21% de plus que celle de 2014 (59 000 tonnes).

Toutefois, force est de constater que malgré le fait que la filière avicole arrive à satisfaire, année après année, la totalité des besoins domestiques en poulet de chair et en oeufs, celle-ci, véritable success story locale, d'une importance stratégique pour le pays, au vu du poids qu'elle occupe dans l'économie, avec des revenus bruts nettement supérieurs à ceux des exportations de sucre, demeure, cependant, une activité extrêmement fragile et fondamentalement vulnérable.

En effet, la filière a une marge de manoeuvre fortement limitée au niveau de ses prix de vente, dictée par les coûts des matières premières, utilisées dans la fabrication d'aliments, dont la totalité est importée. D'ailleurs, il est regrettable qu'au vu de l'importance économique et stratégique du secteur avicole, celui-ci ne bénéficie malheureusement pas de la même considération que celle accordée par le gouvernement aux autres secteurs stratégiques, au vu des mesures incitatives et financières qui leur sont accordées. Effectivement, en parcourant les différents budgets présentés depuis 2015/2016, l'aviculture est probablement la filière alimentaire la moins lotie, pour ne pas dire la plus ignorée, en matière de mesures incitatives et fiscales. D'autre part, l'absence d'application de mesures et de normes de contrôle de biosécurité strictes chez les petits éleveurs avicole est une source de préoccupation majeure pour ce secteur porteur de croissance et de son importance socio-économique pour le pays. A se demander comment la filière avicole locale a pu, jusqu'ici, être épargnée des maladies contagieuses affectant les oiseaux domestiques.

Mis à part l'aviculture, la production de viande porcine, aussi étonnant que cela puisse paraître, est la seule autre activité d'élevage qui, malgré les énormes problèmes rencontrés dans ce secteur hautement compétitif, sans oublier les contraintes liées à l'aspect environnemental et sanitaire, se situe loin devant la production locale de lait et de viande bovine, avec une performance de 572 tonnes en 2023, en baisse de 7% comparée à 2014 (615 tonnes).

La production domestique de viande bovine fraîche est en chute libre, passant de 44 tonnes carcasse en 2014 (2%) à une estimation de 15 tonnes en 2023, soit moins de 1% du volume des produits d'élevage. Le volume produit est dominé par les animaux d'abattage importés qui représentent 96% de la consommation ; étonnamment, les 3% restants concernent les animaux de boucherie originaires de Rodrigues.

Quant au lait frais, la production suit le même cheminement que celle de la viande bovine, passant de 3,6% de la consommation locale (équivalent lait reconstitué) en 2014 à quelque 2% en 2023. Notons que la consommation de lait dans son ensemble (équivalent lait reconstitué) a chuté de 15% entre 2014 et 2023.

L'agro-industrie

L'agro-industrie locale demeure un secteur productif très fragile et structurellement faible. Si certaines entreprises ont pu, tant bien que mal, se démarquer et montrer une certaine résilience tout en réalisant des performances encourageantes au cours de ces dernières années, les résultats, dans leur globalité, ont été nettement en deçà des attentes. Par exemple, les faibles taux de croissance de la productivité et du seuil de valeur ajoutée, exacerbés par un coût de production élevé, pour ne citer que ceux-là, témoignent des difficultés auxquelles le secteur fait face.

Nous ne cesserons jamais assez de le répéter. Cette situation astreignante et inquiétante est due à un nombre de facteurs parmi lesquels un élément domine de loin tout le lot et représente la principale cause de la précarité de l'industrie. Il s'agit de sa quasi-totale dépendance en matières premières importées. Et quand on réalise que, dans bien des cas, ces intrants peuvent représenter jusqu'à 70% ou plus du coût de production du produit fini, cela démontre clairement pourquoi les produits locaux sont difficilement compétitifs tant localement que sur le marché d'exportation.

Le secteur de la transformation est dominé par trois groupes de produits qui émergent largement du lot tant au niveau du marché domestique que celui de l'exportation. Ils sont les céréales, les aliments pour animaux d'élevage et les oléagineux, qui ont une particularité commune, l'intégralité de leurs matières premières est importée, comme c'est d'ailleurs le cas pour quasiment toutes les autres entreprises agro-alimentaires locales.

Il s'ensuit que la majorité des entreprises du secteur de la transformation, excluant les trois filières ci-dessus, n'ont d'autres alternatives que de se centrer davantage vers l'enclavement pour l'écoulement de leur production. En effet, les chiffres présentés dans cet article sont révélateurs et font voir, entre autres, l'incapacité des produits locaux transformés à s'exporter malgré les avantages qu'ils auraient normalement pu tirer avec la dépréciation soutenue de la roupie.

De manière générale, ce constat montre que la versatilité de la qualité de bon nombre des produits locaux transformés, le niveau élevé des coûts de production ainsi que la difficulté de nombreuses entreprises à innover en matière de diversification des produits et des marchés représentent un facteur déterminant dans le recul de la compétitivité de nombreuses entreprises locales vis-à-vis des produits équivalents importés. Et quand on réalise qu'en 2023, plus de 85% de notre consommation en produits transformés (incluant les intrants), provenaient des importations, l'on se rend compte de l'amplitude des problèmes dont le secteur agro-industriel fait face.

Le marché d'exportation

Le marché d'exportation (excluant le sucre et les produits halieutiques) demeure, année après année, très hétéroclite avec des fluctuations parfois importantes dans les volumes exportés. Par exemple, en 2023, le pays a exporté un volume total de 55 426 tonnes contre 64 284 tonnes en 2022 (-14%).

Le graphique présenté plus tôt dans la section «exportations» résume parfaitement la situation au niveau de cette portion de marché, largement surclassée par les produits transformés qui représentent en moyenne 96% des exportations totales. De ce volume, les trois groupes cités ci-dessus dominent considérablement le lot avec pratiquement 97% des exportations des produits transformés en 2023, en hausse de deux points comparés à 2014 (95%).

Quant aux fruits (frais et transformés), leurs exportations ont accusé une baisse, chutant de 2 230 tonnes en 2014 à environ 1 800 tonnes en 2023, soit un repli de 19%.

La domination des fruits frais mérite d'être mentionnée avec 99% du volume exporté. La quasi-absence de fruits transformés est due, quitte à le répéter, au manque de matières premières locales, impactant inévitablement sur la compétitivité et le développement de la filière.

Par ailleurs, il est intéressant de noter que l'ananas domine de loin le marché d'exportation des fruits frais avec 84% du volume acheminé en 2023, après avoir atteint un pic de 91% en 2021. Cette situation montre la difficulté de ce produit à maintenir une relative stabilité dans le volume exporté d'une année à l'autre et ce, depuis 2014.

Les nombreuses mesures annoncées dans les différents budgets avec l'objectif de booster les exportations de fruits frais, dont l'ananas, tout en visant des destinations non-traditionnelles comme la Russie, Dubayy et la Chine, avec le soutien inconditionnel de l'Economic Development Board (EDB), n'ont malheureusement été que des effets d'annonce découlant en des exportations annuelles dérisoires essentiellement vers la Russie.

En ce qui concerne les légumes (frais et transformés), la situation est tout autre avec des exportations décevantes, passant de 102 tonnes en 2014 à 69 tonnes en 2023 (-32%). Notons que les légumes ne représentaient, en 2023, que 0,1% des exportations domestiques.

Les problèmes liés aux règles phytosanitaires ainsi que l'absence de matières premières locales pour assurer une véritable production industrielle de produits transformés hypothèquent sérieusement le développement du marché d'exportation des légumes.

5. Estimation de la balance commerciale alimentaire 2014-2023

Dans le plan stratégique, il y est mentionné qu'un des objectifs phares vise à réduire le déficit annuel de la balance commerciale entre exportations et importations nettes. Ainsi, la balance commerciale, qui correspond à la différence entre les valeurs des produits exportés et importés, est un indicateur fiable et pertinent qui dénote la santé du secteur alimentaire domestique.

Le graphique ci-après affiche un solde négatif pharamineux, qui a plus que doublé entre 2014 et 2023, passant de Rs 17 milliards en 2014 à 35 milliards en 2023.

6.L'effet pervers de la dépréciation de la roupie sur le pouvoir d'achat

La hausse substantielle des prix de vente des produits alimentaires importés sur le marché local ne peut être uniquement imputée à la situation internationale très instable, prévalant essentiellement depuis 2020. Quoiqu'il soit vrai que la crise sanitaire du Covid, la guerre en Ukraine, l'impact des changements climatiques sur la production primaire et le prix élevé du pétrole, ont eu une incidence négative sur les prix des produits alimentaires sur le marché local pendant un bout de temps, il est cependant indéniable que la grosse majorité des prix des produits de base importés, vendus sur le marché local, s'avère être nettement plus élevé en roupies contrairement aux mêmes produits commercialisés en dollar sur le marché international. Cette situation étant le résultat de la politique de la dépréciation de la roupie vis-à-vis des principales devises, particulièrement du dollar, utilisé pour payer 80% de nos importations alimentaires.

En effet, les données officielles disponibles auprès de Statistics Mauritius font voir qu'entre 2014 et 2023, la politique monétaire locale, exacerbée par la dépréciation continue de la devise locale vis-à-vis du dollar, a été nettement plus dommageable contrairement aux prix de vente des principales denrées pratiquées sur le marché international.

Il est à noter que, durant la période analysée, la dépréciation de la roupie trouve sa source en 2015. En fait, alors que le taux de change du dollar s'établissait à Rs 30,71 en 2014, celui-ci subissait brusquement une hausse moyenne importante de 14,3% en 2015, passant à Rs 35,11 pour ensuite atteindre Rs 45,52 en 2023. Ainsi, en l'espace d'à peine une décennie (2014 à 2023), la roupie s'est dépréciée de 48% (Rs de 30,71 à 45,52) comme démontré ci-après.

7. Des statistiques de production de légumes frais qui laissent sceptiques

Entre 2014 et 2019, hormis 2016 et 2017, la production primaire de légumes (excluant la pomme de terre, l'oignon et l'ail) a enregistré une chute soutenue passant de 68 857 tonnes à 59 927 tonnes (-13%) alors que la surface récoltée régressait de 6 415 hectares à 5 454 hectares (-15%).

Nonobstant la pandémie du Covid, en 2020, avec les conséquences que l'on connaît, la production atteignit 59 531 tonnes, soit pratiquement la même que celle de 2019 (59 927 tonnes), avec une surface récoltée de 2% supérieure à 2019. En dépit de cette année démentielle de 2020 qui est comparable à celle des années pré-Covid.

Cependant, en raison du confinement et de la fermeture obligatoire des marchés (bazars), entre autres, les chaînes d'approvisionnement et de distribution furent, dans l'ensemble, sérieusement ébranlées, causant un dysfonctionnement total du rôle crucial des opérations logistiques, résultant en une amplification des prix de vente des légumes frais.

Depuis, à l'exception de 2021, les prix de vente n'ont jamais plus retrouvé leur niveau pré-Covid mais, au contraire, ont continué leur hausse inqualifiable. Cette situation, selon les représentants des planteurs, est due aux conditions climatiques défavorables (pluies excédentaires ou sécheresses), qui se sont aggravées au cours de ces dernières années, auxquelles sont venues se greffer l'incidence des maladies et des insectes sur les cultures, entraînant des répercussions sur une chute de la production, avec pour résultat une hausse des prix à la consommation.

Toutefois, en analysant les statistiques publiées par Statistics Mauritius, il est étonnant de constater que les chiffres officiels exhibent une situation qui ne justifie nullement les prix de vente excessifs des légumes, tels que pratiqués.

Voyons les faits.

Entre 2020 et 2023, la production de légumes, excluant la pomme de terre, l'oignon et l'ail, a enregistré un bond impressionnant de 81%, passant de 59 531 tonnes à 107 546 tonnes, alors que la surface récoltée augmenta de 5 570 hectares à 6 973 hectares (+25%). S'agissant du rendement moyen, celui-ci augmentant de 10,7 tonnes/ha à 15 4 tonnes/ha (+44%).

Ces chiffres laissent apparaître une situation incohérente et paradoxale entre, d'une part, les informations circulées, relayées dans les médias et, d'autre part, les statistiques officielles.

Comment expliquer une telle montée en puissance de la production, après une régression quasi-continue depuis 2014, transcendant de loin toutes les performances antérieures, depuis que, d'autre part, les prix des légumes, au lieu de chuter dans le sillage de ces prouesses inégalées, continuent leur ascension irrationnelle, relayées par de courtes périodes de baisses très ciblées, pour ensuite reprendre une courbe ascendante ? Qu'on ne vienne surtout pas avancer que ce soudain surhaussement de la production est le résultat de l'introduction de nouvelles variétés plus performantes.

Prenons l'exemple de la production de la tomate produite en plein air. Celle-ci a connu une progression considérable, passant de 8 350 tonnes en 2020 à 12 300 tonnes en 2023 (+47%), alors que le rendement moyen bondissait de 13,3 tonnes/hectare à 21,2 tonnes/hectare (+59%).

Les chiffres de production des choux sont davantage impressionnants. Là, tous les records sont battus. Le volume produit en 2023 fut de 13 077 tonnes, représentant une augmentation démentielle de 227% comparé aux 4 000 tonnes de 2020. S'agissant du rendement moyen, celui-ci a enregistré un bond hors norme de 159%, avec 36,3 tonnes/hectare contre 14 tonnes/hectare en 2020. Malgré cette production record, le prix de vente unitaire est demeuré à un seuil anormalement élevé durant toute l'année 2023.

Quant aux cucurbitacées (concombre, pipengaille, giraumon, calebasse, chouchou, etc.), le volume produit en 2023 s'est élevé à 38 850 tonnes, soit 59% de plus que les 24 400 tonnes de 2020, alors que le rendement progressait de 33%, passant de 11,6 tonnes/hectare en 2020 à 14,4 tonnes/hectare en 2023.

Production sous serres

La production sous serres (hydroponique et cultures protégées) n'a pas été comptabilisée dans cet article pour ne pas mal interpréter les analyses effectuées. En effet, les chiffres officiels provenant de ce mode de culture ne sont publiés que depuis 2021.

Néanmoins, il serait intéressant de prendre connaissance de la différence abyssale qui existe entre le rendement des cultures sous serres (cultures protégées et hydroponiques) comparé aux mêmes produits mais cultivés en plein air.

Notons que la production sous serres est largement dominée par la tomate, qui représente une moyenne de 70% du volume total produit, le concombre/courgette 13% et le poivron 9%. Ces cultures représentent à elles trois, 92% de la production sous serres.

En 2023, la production totale s'établissait à 11 282 tonnes, équivalant à un rendement moyen de 113 tonnes/hectare contre 9 237 tonnes (118 tonnes/hectare) en 2022. Notons que le volume produit sous serres ne représentait, en 2023, que 9% de la production totale de légumes frais (excluant la pomme de terre, l'oignon et l'ail) contre 91% pour le plein air.

Un aperçu du rendement entre la production en plein air et sous serres

Les statistiques officielles font voir qu'en 2023, le rendement moyen de la tomate, cultivée sous serres, fut de 177 tonnes/hectare contre 15 tonnes/hectare en plein air, soit un écart faramineux de 1,080% alors que pour le concombre/courgette, celui-ci fut de 145 tonnes/hectare contre 16 tonnes/hectare pour le plein air, soit une différence de 806%.

D'autre part, il est pertinent de souligner que, dans le but d'encourager la culture sous serres, le gouvernement accorde aux producteurs des subventions conséquentes, allant jusqu'à un maximum de Rs 500 000 par serre. Cette facilité est accordée pour un maximum de deux serres par producteur. Par ailleurs, la grosse majorité de la production provenant des serres est vendue dans les grandes surfaces et dans des points de vente spécialisés.

Malgré ces facilités financières conséquentes et, tenant compte des rendements démesurés obtenus, l'on est en droit de se demander pourquoi les tomates produites sous serres (en particulier les serres hydroponiques) sont vendues deux à trois fois plus cher que celles cultivées en plein air. Et quand on réalise que cette technique de production a un seuil de productivité, en termes de rendement, de 1,000% supérieur à la production traditionnelle, amortissant de manière conséquente le coût des investissements, cela ne fait que conforter nos interrogations. Est-ce le but recherché par le gouvernement en promouvant la production sous serres ?

8. L'échec de la politique alimentaire

Le plan stratégique mis en place par le gouvernement a laissé apparaître une incohérence généralisée de la politique alimentaire locale. Cette incohérence et le degré de divergence qu'elle implique est le résultat de nombreux mauvais choix stratégiques entre les différents domaines d'action, entraînant un impact certain sur les performances du secteur alimentaire sans, au préalable, aucune analyse approfondie. Citons la production de 50% de la production de légumes et de fruits sous le label bio, laquelle mesure s'est avérée être un fiasco total, mettant ainsi en évidence la vulnérabilité de notre modèle alimentaire basée sur des objectifs contradictoires et aux inefficacités coûteuses.

Comment peut-on dépenser autant d'argent dans un plan de développement sans enregistrer, sauf dans quelques rares cas, des résultats probants ? A quoi auront servi ces millions de roupies d'argent public, injectées sous différentes formes d'accompagnement pour booster la production locale, si ce n'est finalement pour se retrouver dans une situation qui, au lieu de s'améliorer, s'est détériorée, comparée à une décennie de cela, rendant le pays davantage vulnérable des importations et de la problématique inquiétante de notre approvisionnement, comme cela a été récemment le cas pour la pomme de terre, l'oignon et le riz, pour ne citer que ces trois produits, empirant de façon colossale le déficit commercial entre importations et exportations avec des répercussions dramatiques sur le pouvoir d'achat des consommateurs.

D'autre part, il est indéniable que la dépréciation de la roupie vis-à-vis du dollar (et de l'euro), depuis 2015, comme démontré plus tôt, a une grande part de responsabilité dans cette situation et que les grands perdants de cette politique sont les consommateurs et les entreprises locales. Ouvrons ici une parenthèse pour faire ressortir que, pour ne pas être en reste, les prix des légumes et des fruits frais locaux, qui ont pris l'ascenseur depuis la pandémie du Covid en 2020, ont, depuis (à l'exception de 2021), maintenu la même cadence que les produits importés.

9. Quelques pistes pour une politique alimentaire nationale et non sectorielle

Il est important de comprendre que la nouvelle direction que le gouvernement s'est engagé à donner à la production alimentaire et en particulier à la production de légumes frais découle d'une incohérence et d'une incompréhension alarmante de la situation locale.

Cette incohérence et le degré de divergence qu'elle implique sont le résultat d'un mauvais choix dans les objectifs stratégiques généraux, des incompatibilités et des contradictions entre objectifs, sans oublier les disparités flagrantes au niveau d'une même filière, comme, par exemple :

(i) Fixer, de manière unilatérale, un objectif de production de 50% de la production primaire de légumes et de fruits sous le label bio (équivalent à quelque 45 000 tonnes uniquement pour les légumes).

(ii) Appliquer des mesures dissuasives pour contraindre les planteurs à délaisser la production traditionnelle de légumes et de fruits et se tourner vers le bio ;

(iii) Augmenter la production locale de légumes, alors qu'il est reconnu que les rendements chutent d'au moins 30% en adoptant la production bio à la place de la culture conventionnelle ;

(iv) Subventionner le prix de vente des fertilisants chimiques, utilisés par les planteurs de légumes, tout en décourageant leur utilisation.

Soyons clairs. La façon de pratiquer la politique alimentaire chez nous doit être impérativement revue en profondeur pour rendre la production locale attractive et financièrement viable. A cet effet, des changements drastiques sont nécessaires dans la manière dont les décisions sont prises et les priorités fixées. Il faut une fois pour toutes mettre un terme à toutes ces mesures qui n'ont absolument aucun sens, sauf à faire plaisir à certains au détriment d'une véritable stratégie nationale qui, elle, serait axée sur la compétence, le professionnalisme et la productivité.

Nous sommes autosuffisants en légumes frais, et ce depuis des lustres. Pourquoi donc vouloir à tout prix, budget après budget, augmenter davantage la production locale. Et si encore nous étions performants sur le marché de l'exportation, on aurait pu comprendre. Mais, ce créneau n'a jamais décollé malgré tous les moyens (financiers et autres) alloués. C'est à n'y rien comprendre.

Focalisons-nous sur une restructuration complète de la filière des légumes frais et initions une fois pour toutes des mesures solides qui apporteront rapidement des résultats et ainsi faire la différence. Quelques-unes des mesures qui pourraient être considérées sont :

(i) Promouvoir et implémenter l'agriculture raisonnée.

(ii) Améliorer la productivité au niveau des cultures.

(iii) Consolider le rôle du service «Extension» du FAREI pour un accompagnement plus productif et personnalisé auprès des planteurs.

(iv) Mettre en place une brigade indépendante pour assumer le rôle de gendarme dans le suivi de l'usage des pesticides dans les cultures, être responsable de la collecte des échantillons des produits horticoles pour l'analyse des taux résiduels de pesticides et assurer la collecte les statistiques de production.

(v) Revoir la politique d'écoulement et de commercialisation de la production locale. Aujourd'hui, la spéculation prend une telle ampleur qu'elle doit être combattue avec fermeté.

(vi) Dissuader la production commerciale des légumes, épices et condiments dans des zones qui ne leur sont pas propices climatiquement. Par exemple, la culture de l'oignon dans des régions sur-humides de l'île ne devrait pas être encouragée.

(vii) Soutenir et encourager la professionnalisation du métier de planteur tenant compte, qu'aujourd'hui, 70% des «petits planteurs» opèrent de manière temporaire mais bénéficient des mêmes facilités que ces 30% restants qui sont dans leurs champs du matin au soir.

Soyons réalistes, les réformes indispensables au secteur ne pourront aboutir que s'il y a une réelle volonté politique pour mener à bien ces changements, que si les processus décisionnels se soustraient de la pression des lobbies, que si certains des acteurs existants, et non des moindres, notamment les établissements sucriers s'impliquent davantage dans la production alimentaire et soient enfin reconnus pour leur rôle stratégique dans le processus qui serait mis en place. Ce n'est qu'alors et seulement alors que l'on pourra enfin parler de politique nationale.

D'autre part, il est essentiel que Maurice se lance, à grande échelle, dans la production de certains produits agricoles stratégiques pour lesquels nous avons les connaissances et les compétences voulues. Par exemple, les données disponibles font voir que nous importons de plus en plus de produits transformés pour la consommation directe, dont une grande partie pourrait être produite localement. Voilà une piste intéressante qui mérite d'être approfondie avec l'idée d'encourager le partenariat avec des compagnies internationales spécialisées dans la transformation.

Pour être compétitifs, ces projets ne peuvent se réaliser qu'en ayant recours à la mécanisation intensive des cultures, allant de la préparation des terres à la récolte sans oublier le volet post-récolte et le stockage. C'est le seul moyen que nous avons pour être compétitifs. N'oublions pas que nos compétiteurs ne sont pas locaux mais sont les producteurs des pays fournisseurs traditionnels sur qui nous avons cependant un avantage stratégique non négligeable, notamment que nous n'avons pas à traverser les océans pour approvisionner le marché.

Les établissements sucriers, qui sont les plus gros propriétaires des terres agricoles de l'île, ont une responsabilité morale envers le pays et doivent s'impliquer davantage dans la production alimentaire contrairement à leur contribution actuelle. Cependant, il est important que le gouvernement mette en place un environnement propice (fiscal et financier) les intégrant dans cette mouvance nationale.

La production régionale qui, malheureusement, demeure toujours à l'état de promesse et ce depuis le début des années 90, est une condition sine qua non pour assurer une partie de nos besoins alimentaires stratégiques. Aujourd'hui, la situation internationale est différente de celle des années 2000. Contrairement à vingt ans de cela, le marché mondial des produits alimentaires est très imprévisible en raison des problèmes géopolitiques et climatiques qui prévalent sur la planète, Ainsi, avoir les moyens financiers ne représentent plus une garantie suffisante pour sécuriser le ravitaillement d'un pays en produits alimentaires importés.

Imaginons un seul instant ce qui se passerait si nos fournisseurs traditionnels de maïs (l'Argentine et le Paraguay) se retrouvaient dans l'incapacité de nous fournir les 125 000 tonnes de maïs dont nous avons besoin annuellement pour la fabrication des aliments pour animaux, notamment pour le secteur avicole, ou si encore nous ne pouvions importer des grains secs, oignon, pomme de terre, etc. que nous consommons en grands volumes.

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