Ile Maurice: Projets sur le littoral - La transparence s'érode

L'EIA n'est plus adapté aux développements immobiliers accélérés de ces dernières années. C'est le «Strategic Environmental Assessment» qui est d'actualité.

Or, même les autorités en font fi. Et c'est le SIT, qui était supposé promouvoir l'agriculture, qui se lance dans des projets immobiliers et hôteliers. En attendant, la carte des «Environmentally Sensible Areas» pour nos côtes dort dans le tiroir du ministère de l'Environnement. Depuis 2020...

Notre littoral est de plus en plus menacé par les développements sauvages. Le dernier en date est le projet d'hôtel et de Smart City par Le Bouchon Development Company Ltd qui est la propriété de SIT (Sugar Investment Trust) Land Holdings Ltd, dont les actions sont détenues par 15 000 planteurs, employés et retraités de l'industrie sucrière. Bref, une association pour l'agriculture qui se lance dans l'immobilier en mettant 150 arpents de terres jadis sous culture de cannes et laissées à l'abandon à la disposition des Anglais de Curzon.

Les planteurs qui voulaient cultiver le terrain n'ont jamais reçu de réponse. Car le gouvernement voulait, depuis 2015, en faire un business immobilier, vu que le terrain est bien situé avec vue sur mer. On se rappelle de la rencontre personnelle, en 2021, entre Pravind Jugnauth et l'Anglais Martin Brage de Curzon Investments, lorsqu'il était au Royaume-Uni. Pour participer à la COP26 !

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Outre le gaspillage de terrains agricoles avec le projet d'hôtel et d'une Smart City, ce sont les dangers auxquels fait face l'environnement terrestre et marin de la région qui sont montrés du doigt. Rezistans ek Alternativ (ReA) a soumis ses commentaires sur le rapport d'Environment Impact Assessment (EIA) déposé par Le Bouchon Development, rapport préparé par Vyass Consulting Engineer Ltd, firme dirigée par l'ancien haut fonctionnaire Chandansingh Chutoori, qui obtient souvent des contrats de consultant pour notamment les projets de drains. ReA a, entre autres, attiré l'attention sur le danger de la montée d'eau salée vers les terres agricoles et même les nappes phréatiques.

Nouvelle route pour «Smart City»

Au tour de la Platform Moris Lanvironnman (PML) de se prononcer. Elle est aussi très critique envers ce projet. Elle demande que le rapport EIA soumis couvre tout le projet, y compris celui de Smart City et non de l'hôtel seulement. Elle demande aussi qu'une étude environnementale stratégique (SEA) pour cette région du sud soit entreprise par les autorités pour évaluer l'impact cumulé des autres projets. PML se pose aussi d'autres questions : qui financera la nouvelle route annoncée pour relier Plaine-Magnien à Souillac et qui desservira les grands projets immobiliers du Sud.

PML parle aussi des conséquences sociales du projet Le Bouchon. «Est-ce que des provisions ont été faites pour l'eau, l'électricité ? Quid de l'empreinte carbone qui augmentera avec l'afflux de nouveaux habitants ?» Tout en rappelant que Maurice a pris des engagements pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre. PML trouve aussi que les solutions offertes pour la protection de l'environnement par Vyass Consulting ne sont pas claires et pourront conduire à des conséquences non prévues.

L'effet cumulatif des projets immobiliers

Un SEA, contrairement à un EIA, étudie l'impact d'un projet non en isolation mais avec d'autres projets. «Un projet immobilier spécifique par exemple, explique Joanna Bérenger, peut ne pas avoir autant d'impact environnemental mais pris avec d'autres projets déjà existants ou à venir, l'effet cumulatif pourra être sévère. L'EIA concerne un projet spécifique. C'est pour cela que nous, de même que des ONG, demandons que l'on fasse plutôt des SEA comme c'est le cas au Rwanda, et cela aussi pour les projets privés avec leurs Smart Cities et centres commerciaux. Le SEA doit être fait par l'autorité concernée et non par le promoteur.» Elle rappelle qu'il y a un autre projet de Smart City de la Mauritius Investment Corporation en gestation tout près de celui de Le Bouchon. «Un SEA est ainsi encore plus indispensable pour ces deux projets.» Tout en soulignant que, selon la députée du MMM, il n'y a aucune raison économique, sociale et encore moins écologique pour que ces deux projets se fassent côte à côte.

Zones sensible: une étude qui dort dans un tiroir depuis 2020

Ces projets hôteliers et immobiliers ne semblent tenir aucun compte des dégâts causés par la saturation de tels projets sur notre littoral. Lors du passage du cyclone Belal, des établissements hôteliers ont été envahis par la mer et plusieurs plages ont vu leur sable partir dans l'océan. C'est pour cela qu'il est important de préserver le littoral et dans ce contexte un Environmentally Sensible Areas (ESA) 8Mapping* était attendu. C'est une carte montrant les zones sensibles sur nos côtes et l'état des dunes de sable et autres végétations qui protègent contre l'érosion.

L'United Nations Development Programme (UNDP) a financé pour Maurice des études et le consultant choisi est FCG ANZDEC Ltd, de la Nouvelle-Zélande, qui aurait déjà soumis un premier mapping en 2020. Cependant, cette carte n'a jamais été rendue publique. Tout comme le rapport sur les zones inondables du ministre Hurreeram... Il est intéressant de prendre connaissance comment le ministre Kavy Ramano a toujours fui les questions à ce sujet, en répétant à chaque fois les mêmes réponses, avec quelques variations, notamment en français.

La première question était posée par Fabrice David le 6 avril 2021 (B 168) et il voulait savoir du ministre de l'Environnement s'il déposerait le rapport commandité de la firme néo-zélandaise. La réponse de Ramano: «Discrepancies were observed on the ESA data and maps and same have been communicated to the UNDP on 18 January 2021 for onward transmission to the consultant.»

Le 27 juillet 2021, c'est Joanna Bérenger (B 803) qui veut savoir «where matters stand in respect of the validation by relevant authorities of the draft Environmentally Sensitive Areas Mapping...» Réponse de Ramano : «Le contrôle de la qualité des données effectué par la suite par les fonctionnaires de mon ministère le même mois a révélé que les écarts et les incohérences observés sur les ESA datasets avaient été seulement partiellement pris en charge...»

Un an plus tard, soit le 10 mai 2022, Joanna Bérenger (B546) revient sur ce dossier et veut savoir où en sont les choses. Réponse de Ramano: «In view of discrepancies and inaccuracies noted in the locations of some ESAs in sugarcane fields, roads and buildings, the consultant was requested to review the datasets.» Deux ans après, le 4 juillet 2023, la même députée (B 972) demande encore une fois si le rapport est prêt. Et rebelote de la part Kavy Ramano: «In view of discrepancies and inaccuracies identified, a review of the datasets was requested by my Ministry.» Un an plus tard, soit le 10 mai 2022, Joanna Bérenger (B546) revient sur ce dossier et veut savoir où en sont les choses. Réponse de Ramano: «In view of discrepancies and inaccuracies noted in the locations of some ESAs in sugarcane fields, roads and buildings, the consultant was requested to review the datasets.» Deux ans après, le 4 juillet 2023, la même députée (B 972) demande encore une fois si le rapport est prêt. Et rebelote de la part Kavy Ramano: «In view of discrepancies and inaccuracies identified, a review of the datasets was requested by my Ministry.»

En plus de la lecture d'une même réponse en quatre occasions, sur le fond, Ramano semble lui-même perdu. Sauf s'il veut cacher le rapport. Les ministères qui contestent le contenu de rapport d'experts, tout comme le ministère des Terres vient de le faire pour le projet d'Urban Terminal à La Vigie Curepipe ? «Pourquoi employer des experts si le gouvernement connait mieux», se demande Joanna Bérenger. Nous voulions demander à Vassen Kauppaymuthoo, le consultant local qui a travaillé sur ce projet si, comme l'a répété Kavy Ramano, la firme FCG ANZDEC Ltd s'était trompée dans ses données, mais à chaque fois, il nous a promis de revenir vers nous, en vain...

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