Cela fait trois jours que les hommes en noir ont rangé leurs robes au Burkina Faso. Et ce mouvement d'humeur des avocats est prévu pour se poursuivre jusqu'au 8 juin prochain et cela, sur toute l'étendue du territoire national.
Qu'est-ce qui donc a poussé les confrères du Bâtonnier de l'Ordre national, Siaka Niamba, à déserter les salles d'audiences? La réponse se trouve dans leur plateforme revendicative adressée au gouvernement de la transition duquel il exige, entre autres, le respect des règles régissant la procédure pénale au Burkina Faso à l'égard de toute personne mise en cause, l'application de l'article 6 du Règlement n°5/CM/UEMOA/ du 25 septembre 2014 relatif à l'harmonisation des règles régissant la profession de l'avocat et le respect et l'exécution des décisions de Justice.
Comme on peut en faire le constat, le courroux des avocats est destiné à garantir aux Burkinabè et au-delà, à tous ceux qui ont recours à la Justice, les droits et libertés prévus par la Constitution et les lois en vigueur au Burkina Faso. De ce point de vue, le mouvement est à saluer car il vise l'intérêt commun, y compris de ceux qui tiennent aujourd'hui les rênes du pouvoir.
L'ombre de l'avocat poursuivi par la Justice militaire pour « complot contre la sureté de l'Etat » plane sur cette lutte
En effet, il n'est un secret pour personne que la roue de l'histoire tourne et il n'est donc pas exclu que ceux qui pourraient se sentir au-dessus des lois, se retrouvent un jour à demander leur protection. Du reste, le bras de fer entre le Barreau et l'Exécutif, ne devrait pas avoir sa raison d'être, à partir du moment où les deux institutions ont la même mission : celle de garantir aux Burkinabè, la pleine jouissance de leurs libertés individuelles et collectives.
S'il y a donc conflit, il y a lieu de s'interroger sur les causes réelles de cet antagonisme. L'une des pommes de discorde est certainement ce que l'on peut désormais consacrer sous l'appellation de « l'affaire Maitre Kam ». Si la libération de leur confrère n'est pas expressément inscrite dans la plateforme revendicative des hommes en robes noires, il n'en demeure pas moins que l'ombre de l'avocat poursuivi par la Justice militaire pour « complot contre la sureté de l'Etat » et « association de malfaiteurs » et écroué à la Maison d'arrêt et de correction des forces armées (MACA), plane sur cette lutte.
L'on sait, en effet, que l'homme qui a été détenu au secret pendant près de 4 mois, avait bénéficié d'une ordonnance de libération de la part de la Justice mais qui n'a finalement jamais été exécutée et cela, malgré les protestations de ses avocats. L'on comprend pourquoi figure dans la plateforme des avocats, le point sur le respect et l'exécution des décisions de Justice.
Si les rédacteurs de cette plateforme n'ont pas expressément mentionné le nom de Maitre Kam, c'est sans nul doute pour éviter que la lutte engagée ne soit taxée de corporatiste par le régime et ses soutiens. Et c'est bien le reproche que l'on peut faire à ce mouvement : de nombreux justiciables sont dans l'attente d'exécution de décisions de Justice sans que les avocats ne montent sur leurs grands chevaux pour les défendre. C'est donc un sentiment du deux poids, deux mesures.
Il faut s'asseoir autour d'une table de négociations et se parler sans langue de bois
L'autre raison de la discorde entre les avocats et le gouvernement de la Transition, c'est certainement le contexte national marqué par la lutte contre l'insécurité qui, selon certains acteurs de la scène politique nationale, sert de prétexte pour non seulement remettre en cause les acquis de la Justice, mais aussi pour fouler au pied les libertés individuelles et collectives.
L'on cite, en exemple, les réquisitions pour le front sur la seule base des opinions, les enlèvements et les différentes menaces qui planent sur ceux qui ont un regard critique sur la gestion du pouvoir par le MPSR 2. Il s'en dégage l'impression d'une atmosphère de « trop plein » pour les hommes de droit. Mais quelles que soient les causes réelles ou avérées de ce bras de fer entre les hommes du Barreau et l'Exécutif, il est lourd de conséquences pour les populations.
A titre illustratif, l'on peut prendre certains procès qui ne peuvent plus se dérouler pour des prisonniers qui doivent se ronger leurs freins dans les différentes geôles du pays et cela, au grand désespoir de leurs familles respectives. Au-delà de cet exemple, c'est sans nul doute tout le fonctionnement de l'appareil judiciaire qui, pourtant, constitue l'un des piliers essentiels de l'Etat, qui est en souffrance.
Et cela, il faut le dire, est particulièrement grave dans un pays qui fait face à de nombreux problèmes imposés par la double crise sécuritaire et humanitaire. La question qu'il faut se poser est la suivante : que faire ? Pour répondre à cette question, il n'y a certainement pas mille possibilités qui puissent préserver l'intérêt supérieur de la Nation. Il faut s'asseoir autour d'une table de négociations et se parler sans langue de bois comme sous l'arbre à palabres africain en gardant à l'esprit que la justice est une quête permanente.