Ile Maurice: Au-delà des mesures populaires

À quelques heures de la lecture du Budget 2024-2025, la population retient son souffle. Pour cause, ce cinquième et dernier Budget de la présente législature a été vendu comme un Budget «labous dou», entendons par là populiste, voire électoraliste, par le gouvernement sortant de Pravind Jugnauth.

Pour cela, son ministre des Finances, Renganaden Padayachy, n'a pas droit à l'erreur. Il doit pouvoir répondre aux nombreuses attentes de la population. Cela par des annonces qui vont la faire sursauter, voire la faire rêver et sur lesquelles le leader du MSM compte surfer pour gagner la confiance de l'électorat dans sa campagne électorale en vue d'un troisième mandat à l'issue des prochaines élections générales.

À l'Hôtel du gouvernement, le mot d'ordre est de ne rien fuiter en laissant jouer le suspense jusqu'au dernier moment quand Renganaden Padayachy, comme le Père Noël, dévoilera son panier de mesures en distribuant des cadeaux à tour de bras, ciblant les différents segments de la population. «Chacun y trouvera son compte», nous dit-on de ce Budget.

Sans doute, il y a des urgences comme la cherté de la vie où le ministre des Finances aura à apporter des solutions pour que les familles, toutes classes sociales confondues, rattrapent la perte du pouvoir d'achat qui s'est grandement effrité ces quatre dernières années. C'est d'ailleurs la principale préoccupation de plus de 70 % de la population âgée de plus de 18 ans, comme un sondage de Synthèse/ l'express l'avait révélé en octobre 2023. Les ménagères, dont une bonne partie, selon certains observateurs, ne parviennent pas à mettre les pieds dans les supermarchés, se demandent comment stopper la dépréciation de la roupie qui depuis 2019 a perdu plus de 28 % de sa valeur vis-à-vis du dollar.

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Ces dernières années, le ministère des Finances a eu recours au maintien des subsides couplés aux allocations de la Contribution sociale généralisée ainsi que d'autres prestations sociales comme l'augmentation de la pension de vieillesse pour contenir la colère des familles. Est-ce qu'il va poursuivre la même politique en jouant sur le clavier fiscal et en privilégiant davantage le social compte tenu du contexte électoral ? On est tenté de le croire.

À titre d'exemple, on peut s'attendre à ce que face aux pressions syndicales, le gouvernement va lâcher du lest en proposant le réajustement de salaires tant dans le privé que dans le public suivant l'augmentation du salaire minimum au début de l'année. La grande réforme annoncée l'année dernière, pour éliminer le taux d'imposition fixe à 15 % sur le revenu en introduisant un régime fiscal progressif, sera appliquée cette année et devrait permettre à certaines catégories de contribuables, soit les low income earners, de quitter le filet fiscal tout en réduisant le montant d'Income Tax pour d'autres. À n'en point douter, le timing de la mise à exécution de la nouvelle réforme en pleine année électorale contribuera à créer un feel-good factor.

Pénurie de main-d'oeuvre

Cependant, au-delà des mesures populaires, le ministre tentera-t-il de démontrer au cours de son discours qu'il «means business» ? Ce qui a été d'ailleurs le souhait des commentateurs économiques et autres observateurs, espérant que Renganaden Padayachy ne privilégie pas que le social dans son dernier exercice budgétaire, malgré la dissolution prochaine du Parlement, et qu'il fera preuve de clairvoyance économique et surtout de vision stratégique.

Requinqué par la performance économique dressée par les experts du Fonds monétaire international (FMI) dans son dernier rapport, même s'il a exprimé des inquiétudes sur l'absence d'une consolidation fiscale pour reconstituer des marges budgétaires face à d'éventuels chocs économiques, le ministre Padayachy ne doit pas pour autant perdre de vue d'autres défis que d'autres institutions étrangères et locales ont relevés.

Il y a le défi démographique, où dans 25 ans, le pays manquera de bras pour soutenir la croissance, le gaspillage de fonds publics, la pénurie de main-d'oeuvre qui s'aggrave, l'exode de jeunes, le réchauffement planétaire, le changement climatique, l'apport de l'intelligence artificielle dans le développement de certains secteurs économiques ou encore l'explosion de la dette publique qui devrait encore être sous pression face certainement à une vague de nouvelles mesures populistes.

Sans doute, il faut parallèlement espérer que l'objectif du ministre de fixer un PIB de Rs 1 trillion d'ici 2029, en se basant sur une projection du FMI, ne soit pas un slogan creux mais qu'il fasse au contraire des réflexions sérieuses quant au modus operandi à être adopté pour l'atteindre. Même si à première vue des économistes estiment que c'est un défi réalisable mais qu'il faudra bien distinguer entre une hausse nominale et réelle du PIB.

Reste la marge de manoeuvre du ministre. Or, tous s'accordent à dire qu'il en dispose une qui est financièrement confortable en s'appuyant sur deux leviers : des revenus fiscaux estimés à Rs 176,7 milliards au 30 juin 2024 et l'endettement. Pour la même période, l'État avait projeté des dépenses courantes de Rs 178 milliards. Pour les autres indicateurs, on s'attend à ce que le ministre les énumère.

Face à la crise pandémique doublée d'une crise économique, le ministre Padayachy peut s'enorgueillir d'avoir pu renverser la vapeur. À la faveur de son bilan de cinq ans qu'il dressera cet après-midi, il pourra dire qu'il a fait le job, passant d'une croissance négative de 14 % en 2020 à 4,9 %, selon le FMI, et de 6,5 % selon la Banque de Maurice.

Après cinq ans aux manettes du Trésor public, est-ce qu'il pourra sortir de l'ombre du Premier ministre pour récolter des dividendes politiques ?

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