Guinée: Le Contrefeu de la contestation

7 Juin 2024
analyse

La visite du ministre des affaires étrangères russe Sergeï Lavrov en Guinée, la première depuis l’arrivée au pouvoir du colonel Mamadi Doumbouya, suscite beaucoup de commentaires « urbi et orbi »

Quoi de plus normal dira-t-on, dans un contexte local avec une tension assez perceptible entre le pouvoir et l’opposition, notamment en ce qui concerne  la lancinante question de la durée de la transition (comme un peu partout en Afrique de l’Ouest) dont le terme était prévu initialement pour décembre 2024.

A priori, cette visite au regard des relations historiques postindépendances entre la Guinée et la Russie (alors URSS) n’aurait pas dû poser quelques interrogations que ce soit, sauf que le timing choisi fait sens.

A tort ou à raison, d’aucun y voit un soutien de taille à la junte au pouvoir qui, aujourd’hui fait face à une opposition vent debout, pour hâter le processus de transition, et aller vers des élections libres et transparentes à date échue.

Le colonel Doumbouya, qui a choisi une sorte de « neutralité positive » vis-à-vis des régimes militaires au pouvoir réunis au sein de l’AES, à cause de sa bienveillance « supposée » envers la France, d’une part et d’autre part, par le traitement « spécial et différencié » dont il jouit de la part de la Cedeao, doit faire face en interne.

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L’arrivée de Lavrov à Conakry, bien qu’elle soit de courte durée, donne un signal fort du jeu de position qui se déroule sur le champ de la Cedeao, et qui, aux yeux de certains, sonne  comme une marque de soutien à un  pouvoir dont la légitimité n’est pas encore assurée.

En effet, le pouvoir du Président Doumbouya semble quelque peu isolé diplomatiquement parlant, de la dynamique en cours autour de lui, mais pourrait bénéficier d’un coup de pouce du « vieil ami » Russe pour se « connecter » à ses voisins de l’hinterland, avec qui la Russie entretien d’excellentes relations et une coopération militaire avérée.

Le fait que Lavrov soit venu en Guinée, 1ère étape d’un périple qui doit le mener au Congo, au Tchad et au Burkina Faso, donne une idée claire, qu’au plan stratégique, la question des mines est très importante, qu’il s’agisse de la Guinée (bauxite), du Congo, du Tchad (pétrole) et du Burkina Faso (or).

Mais l’impératif de tracer une ligne d’horizon partant du golfe de Guinée jusqu’au Tchad, pour créer une zone d’influence au sahel, sur laquelle la Guinée, pays portuaire constituerait un débouché, dans une approche gagnant- gagnant dans les deux sens, vis-à-vis de la Russie et des autres pays enclavés, est un enjeu de taille.

De ce point de vue, il n’est pas à exclure que le récent différend frontalier entre le Niger, un allié de la Russie, et le Bénin, s’invite dans les discussions entre le chef de la diplomatie russe et son homologue du Burkina Faso, dans la perspective d’un corridor devant rallier Conakry.

On le voit donc, au-delà des apparences ce déplacement de Lavrov à ce moment précis indique qu’il y a des signes d’une recomposition géopolitique, qui à terme contribuera à raffermir la solidarité des juntes militaires décidés à se maintenir au pouvoir y compris au prix d’un retour de ces hommes en uniforme à la vie civile pour se « muer » en politiciens.

D’ici là bien sûr, le régime du colonel Doumbouya sera aux commandes de la Guinée, et nul doute que bénéficiant de ce soutien, il a réussi à trouver le parfait contrefeu pour éclipser la contestation de l’opposition sur un éventuel report de l’échéance de la transition, qui est devenu aujourd’hui quasi certaine, car aucun signe ne laisse entrevoir d’ici décembre, la possibilité de tenir des élections.

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