Les résultats officiels de l'élection présidentielle tchadienne de mai 2024 ont confirmé la consolidation à long terme du pouvoir de Mahamat Déby.
Il est arrivé au pouvoir après la mort subite de son père, alors président Idriss Déby Itno, en avril 2021.
Les Tchadiens se préparent à un nouveau cycle de régime autoritaire. L'Occident, pour sa part, en particulier la France et les États-Unis, craint de perdre son dernier allié dans la région.
L'élection du 6 mai 2024 a marqué la fin d'une période de transition de trois ans après la prise de pouvoir de Mahamat Déby.
Le Conseil constitutionnel avait autorisé dix candidats à se présenter au scrutin. Les principaux candidats étaient le président de transition, Mahamat Déby, et son Premier ministre Succès Masra, qu'il avait lui-même nommé.
Masra avait la réputation d'être un opposant farouche, d'abord contre le père Déby, puis contre le fils. Il rentre au Tchad en octobre 2023 après un an d'exil. Déby le nomme Premier ministre en janvier 2024.
Le 9 mai, les autorités électorales ont publié les résultats provisoires. Déby a obtenu 61,5 % des voix. Masra a eu 18,53 % et l'ancien Premier ministre Albert Pahimi Padacké est crédité de 16,91 %. Les sept autres candidats ont obtenu moins de 1 % chacun.
Le Conseil constitutionnel a confirmé les résultats préliminaires le 16 mai.
Le 23 mai, Mahamat Déby a été investi Président pour cinq ans. Masra a démissionné de son poste de Premier ministre et n'a pas assisté à la cérémonie. Le même jour, Mahamat Déby a nommé l'ambassadeur du Tchad en Chine et ancien directeur général du protocole d'État à la présidence, Allamaye Halina, au poste de Premier ministre.
Dans le cadre de mes recherches sur la démocratisation en Afrique subsaharienne, j'ai suivi de près la politique tchadienne pendant de nombreuses années.
J'ai constaté que Mahamat Déby a utilisé, de manière impitoyable, tous les moyens à sa disposition pour asseoir sa légitimité en tant que président élu. Par conséquent, je dirais que le système autocratique que le Tchad a connu pendant 30 ans sous la gouvernance du défunt Idriss Déby se poursuivra sous son fils.
Il a eu recours à une oppression violente et à l'intimidation pendant la transition, et a veillé que l'élection ne soit pas transparente. Il a nommé un Premier ministre et un cabinet loyaux.
Violente oppression et intimidation
Les Tchadiens étaient habitués à la présence militaire et à la répression sous Idriss Déby. On a fait régulièrement usage des armes pour réprimer toute résistance et intimider la population.
Mahamat Déby a profité de la période de transition pour développer le secteur de la sécurité et créer des forces de sécurité loyales.
Plusieurs incidents ont montré que l'usage de la force par le fils dépassait celui du père. Le 20 octobre 2022, plusieurs centaines de personnes ont été abattues lors de manifestations contre la candidature de Mahamat Déby à l'élection.
La pression sur l'opposition a été intensifiée par l'exécution du chef de l'opposition Yaya Dillo le 28 février 2024.
Dillo était un cousin de Mahamat Déby et un candidat sérieux à l'élection présidentielle. Après son assassinat, presque toute l'opposition a été réduite au silence.
Même lors de la proclamation des résultats préliminaires de l'élection le 9 mai, les habitants de la capitale N'Djamena ont été encerclés par des chars et des militaires lourdement armés.
Le soir de la victoire de Mahamat Déby, les observateurs parlent de plus de 200 morts. La plupart des victimes ont été tuées dans les bastions de l'opposition.
Une élection problématique
Avant même le début du scrutin, de nombreux observateurs et analystes de la situation politique au Tchad, dont moi-même, présidant une victoire du président de transition et donc la continuité du pouvoir autoritaire de père en fils.
Un certain nombre d'étapes ont préparé le terrain :
- la nomination par Mahamat Deby des autorités électorales et des membres du Conseil constitutionnel
- une nouvelle loi électorale qui supprime l'obligation d'afficher les résultats dans chaque bureau de vote
- l'interdiction des photos du dépouillement dans les bureaux de vote et les bureaux régionaux
- le refus d'autoriser les agents des partis d'opposition à accéder aux centres de dépouillement. Des membres du parti de Masra Les Transformateurs ont été arrêtés alors qu'ils tentaient d'y accéder.
- le refus d'accréditer près de 3 000 membres de la société civile, financés par l'Union européenne pour observer l'élection.
- les récits de témoins oculaires sur les infractions commises le jour du scrutin.
Les observateurs des organisations régionales - la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest et la Communauté des États sahélo-sahariens - ont déclaré l'élection libre et équitable. Mais ils ont fait leurs annonces avant même la fin du dépouillement. Je ne peux que supposer qu'il y a des raisons politiques pour ne pas tenir le Président pour responsable de la fraude électorale.
Consolidation du pouvoir
Le cabinet de Mahamat Déby fait preuve d'une d'une forte dose de continuité, avec peu de nouveaux visages.
Le nouveau ministre des Affaires étrangères, Abderaman Koulamallah, et le ministre de l'Administration territoriale, Limane Mahamat, ont soutenu Déby pendant la transition.
Depuis 2016, Halina a d'abord servi Idriss Déby, puis son fils à la présidence. Dans ses mémoires, Mahamat Déby décrit Halina comme le plus loyal des loyaux.
Mahamat Déby a également affaibli les voix de l'opposition au sein du gouvernement. Après sa victoire, il a déclaré que le temps d'un gouvernement d'unité nationale était révolu. L'ancien Premier ministre a ainsi perdu toute influence politique.
Le rôle de l'Occident
L'Occident a soutenu Mahamat Déby depuis son arrivée au pouvoir en 2021.
A plusieurs reprises, le soutien international a été justifié par la stabilité du pays. La même justification a été donnée pour soutenir feu Idriss Déby.
La France et les États-Unis ont des bases militaires au Tchad qu'ils tiennent à conserver, d'autant plus qu'ils ont dû quitter le Mali, le Niger et le Burkina Faso. Il s'agit de zones d'influence dans la région du Sahel que l'Occident ne veut pas perdre au profit de la Russie ou de la Chine.
Mahamat Dèby sait comment alimenter les inquiétudes occidentales. Son voyage à Moscou en janvier 2024 illustre ce point : il savait que son audience avec le président russe Vladimir Poutine serait un avertissement montrant sa disposition à chercher de l'aide partout où il pouvait l'obtenir.
Helga Dickow, Senior Researcher at the Arnold Bergstraesser Institut, Freiburg Germany, University of Freiburg