Ile Maurice: Mona Le Cunff - «Prier pour un adulte maltraitant demande la miséricorde divine»

interview

Cette Française a fondé «Un Enfant Dans La Prière», une association qui encourage des personnes à prier pour les enfants maltraités et les adultes maltraitants.

Mona Le Cunff sera à Maurice la semaine prochaine pour en parler. Enseignante d'histo-géo à la retraite, mariée depuis 39 ans et maman de deux fils adultes, elle a été abusée à l'âge de huit ans par un prêtre. Victime d'autres abus, elle avait perdu la foi. Jusqu'à ce que Dieu la rattrape. En marge de son arrivée, elle a bienveillamment répondu à nos questions par mél.

Vous avez été abusée sexuellement par un prêtre alors que vous n'étiez qu'une enfant ? Quand avez-vous eu le courage de le dénoncer et est-ce pour cela que vous avez fondé «Un Enfant Dans La Prière» (UEDLP) ?

Mon oeuvre est liée à la maltraitance sous toutes ses formes. Les abus sexuels ne sont malheureusement qu'un aspect de la maltraitance. J'ai d'abord été battue, humiliée, abusée. Ce prêtre n'a pas été le seul. Il y a eu d'autres hommes. Cela a duré entre mes huit et 14 ans. Je n'ai rien dénoncé et j'ai vécu dans le silence jusqu'à mes 38 ans et je n'en ai parlé publiquement que depuis quatre ans.

Comment vos proches ont-ils réagi ?

Ils n'en ont rien su, du moins mon père, qui est décédé. Je ne l'ai avoué que récemment à ma mère de 87 ans.

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Après ces abus, vous avez perdu la foi et cette rupture s'est traduite comment ?

J'ai perdu totalement la foi vers l'âge de 16 ans à la suite de la maladresse et du refus de dialoguer d'un prêtre de l'aumônerie du lycée que je fréquentais alors et à qui j'essayais d'en parler. J'ai totalement coupé avec l'Église. J'ai beaucoup lu à l'époque, j'ai étudié les religions dans le but de me convaincre que Dieu n'existait pas. Je haïssais le clergé.

Qu'est-ce qui vous a incitée à reprendre le chemin de la prière et à opérer un retour vers Dieu/Le Christ/ la Vierge Marie ?

Cela s'est fait brusquement à la sortie d'une célébration pénitentielle où je venais chercher mon fils ainé. J'étais restée dans la voiture mais à un moment, j'ai dû entrer dans l'église pour rencontrer le prêtre en vue de la profession de foi de mon fils. Et brusquement, j'ai pris un rendez-vous avec le prêtre pour me confesser, tout en pensant que je devenais folle

. C'est à l'issue de ce sacrement que j'ai reçu une grande paix et surtout la prière en abondance. En fait, c'est le Seigneur qui m'a rattrapée. Après s'en est suivi un accompagnement spirituel. Il m'a fallu plusieurs années pour prier Marie car elle était tout ce qui m'était «insupportable» au regard de mes blessures car elle est pure, vierge.

C'est après la confession que j'ai compris que ce qui manquait lorsque je recevais des enfants de mon collège au Point Écoute que je coordonnais à l'époque - j'ai été dans l'Éducation nationale pendant 43 ans, dont 36 comme professeur d'histoire-géographie - c'était la prière. J'ai proposé au curé de ma paroisse de faire prier pour ces enfants maltraités. Ce n'est qu'un an après que j'ai accepté de confier aussi des prénoms d'adultes maltraités à la prière de notre oeuvre.

Avez-vous suivi une thérapie ?

Oui, avec une psychologue à la naissance de notre premier fils et pendant deux ans. Puis une seconde fois, avec une psy chrétienne, quand j'ai commencé mon accompagnement spirituel de trois mois. C'est important. J'ai aussi pu m'entretenir avec Mgr Jacques Benoit Gonnin, évêque de Beauvais-Noyon-Senlis. Il a fait preuve d'écoute et de soutien. J'ai été également en contact avec la cellule d'écoute des victimes de mon diocèse ainsi qu'avec l'instance indépendante de reconnaissance et de réparation mise en place en France.

Vous avez écrit un livre intitulé «Un Enfant Dans La Prière - De la maltraitance à la miséricorde». Son écriture a-t-il constitué une étape importante dans votre cheminement de guérison ?

J'ai écrit ce livre par obéissance à mon «père» spirituel et pour permettre aux personnes qui présentent l'association UEDLP de comprendre mon cheminement. J'avais déjà connu des guérisons. Je dis «des guérisons» car les traumatismes étaient profonds et nombreux. Je tourne des pages de ma vie, certaines blessures sont moins douloureuses, voire complètement cicatrisées.

La maltraitance marque à vie les personnes mais le Seigneur me porte. La devise d'UEDLP est Creuser la blessure pour que coule la miséricorde : il faut d'abord assainir les plaies et les regarder en face, accepter d'être victime, accepter d'être aidé par la psychologie, accepter que Dieu intervienne dans votre vie... et laisser Dieu mettre le baume de sa miséricorde sur nos plaies.

Quand avez-vous fondé UEDLP ?

Le 15 février 2000, jour de Saint Claude La Colombière, saint protecteur d'UEDLP, ainsi que celui de Sainte Maria Goretti. Aujourd'hui, cette association regroupe plus de 5 300 priants dans une quarantaine de pays.

Comment opère-t-elle et quels sont ses objectifs ?

Il s'agit de parrainer par la prière et non par l'action directe. Ne sont confiés à chaque priant qu'un prénom d'enfant et qu'un prénom d'adulte, sans aucun rapport entre eux, rien d'autre. Comme tout parrain ou marraine qui prie pour un.e filleul.le, on porte les deux prénoms confiés jusqu'à ce que le Père nous rappelle dans sa Maison.

Aucun contact, aucune précision sur l'âge, le niveau de maltraitance, le lieu de vie, etc. n'est donné sur les personnes confiées. Aucune nouvelle non plus sur le devenir de l'enfant ou de l'adulte. Il s'agit simplement d'unir notre prière à celle du Christ en communion avec les Saints, dans la certitude que Dieu est au coeur de chacune de nos vies et que sa divine providence peut agir de manière bien surprenante à nos yeux.

Chacun prie selon son coeur et à son rythme, chez lui. Quatre fois par an, un petit feuillet est envoyé pour faire le lien avec le priant, rien d'autre. Cette action est également gratuite.

C'est aussi un chemin de conversion pour chaque priant qui accepte de rejoindre UEDLP. Autant prier pour un enfant maltraité est dans la logique d'une tendre prière, autant s'engager à prier doucement pour un adulte maltraitant demande de laisser la miséricorde de Dieu investir notre coeur.

Doucement, il s'agit d'accepter d'ouvrir les yeux sur nous-mêmes, sur notre amour de pauvre, incapable d'aimer les méchants, mais aussi incapable de nous aimer comme Dieu nous aime. Ainsi, c'est permettre à Dieu d'oeuvrer dans notre vie pour que notre coeur devienne petite flamme de miséricorde, notre prière puisant sa force et son inspiration dans la contemplation et l'adoration du Coeur Sacré de Notre Sauveur.

Dans combien de pays vous êtes-vous rendue pour parler d'UEDLP ?

Personnellement dans quatre pays : au Québec, en Belgique, en Suisse et à Maurice, votre belle île où j'étais déjà venue il y a cinq ans. Je serai de retour dans votre île à partir du 13 juin et j'irai aussi découvrir Rodrigues. Je suis limitée par le fait que je ne parle que le français couramment.

Avez-vous pu noter le miracle de la prière ?

Dieu sait ce qui est bon pour chacun de nous mais nous avons besoin de savoir si notre prière porte du fruit. Nous ne savons rien des enfants maltraités et des adultes maltraitants qui nous sont confiés, hormis leurs prénoms. Il est donc difficile de répondre à cette question.

Mais néanmoins, un enfant qui retrouve confiance en lui et réussit en classe ; un père qui accepte de faire une thérapie familiale ; un prisonnier qui nous demande de prier pour lui et souhaite devenir priant ; une jeune fille abusée par son père, qui réussit à se reconstruire et à fonder une famille ; nous ont été donnés en témoignage... mais tant d'autres dont nous ne savons rien. C'est dans les mains de Dieu.

Combien de priants à Maurice ?

Il y a plusieurs centaines de priants à Maurice et je viens prier avec eux, les rencontrer et témoigner, accompagnée du père Christian Chassagne, notre référent pour l'océan Indien.

Avez-vous réussi à pardonner à votre agresseur ou y a-t-il des moments où ces épisodes horribles vous reviennent en tête ?

Il y a quelques années, je disais avoir pardonné. Mais je me suis rendue compte que certaines situations et certains cauchemars me faisant trop mal, je n'avais pas pardonné en vérité. Aujourd'hui, je dis que je suis en chemin de pardon.

Dans l'Évangile selon Mathieu 18, 21-23, il est dit «Alors Pierre s'approcha de lui, et dit : Seigneur, combien de fois pardonnerai-je à mon frère, lorsqu'il péchera contre moi ? Serait-ce jusqu'à sept fois ? Jésus lui dit : Je ne te dis pas jusqu'à sept fois mais jusqu'à septante fois sept fois.» Toutefois, je pense que le pardon total ne se fera qu'au ciel, dans la lumière de Dieu.

Votre agresseur est-il toujours en vie et avez-vous pu lui dire en face que vous lui pardonnez ?

Les personnes qui m'ont maltraitée et abusée sont toutes mortes.

Quel message voulez-vous transmettre aux enfants maltraités/abusés de Maurice et d'ailleurs ?

Qu'ils sont d'abord des victimes et que le silence dans lequel ils s'enferment et sont enfermés par ceux qui les maltraitent est à briser. Que le chemin est long, difficile mais POSSIBLE vers un «aller-mieux» et qu'il est possible de se reconstruire. La maltraitance les a bousillés, marqués, mais qu'il existe en eux une force et qu'ils sont capables de reconstruire sur leurs ruines. Cela s'appelle la résilience. Et qu'ils sont précieux aux yeux de Dieu !

Quel message voulez-vous transmettre aux adultes maltraitants/agresseurs de Maurice et d'ailleurs ?

Qu'ils sont coupables et doivent regarder le mal qu'ils font en vérité, sans le minimiser, sans l'excuser. Qu'ils doivent se dénoncer et se faire soigner. Qu'ils doivent demander pardon à ceux qu'ils ont maltraités et agressés et demander pardon aussi au Seigneur. Que ce qui sera dénoué sur terre, n'aura plus à se faire au ciel. Qu'ils sont aussi victimes de la maltraitance qu'ils font subir aux autres. Et qu'ils sont aussi précieux aux yeux de Dieu car Dieu aime tous les pécheurs.

Leur dire qu'ils sont pardonnés, n'est-ce pas trop facile alors que des petites vies sont brisées et parfois à tout jamais ?

Pour une victime, dans un premier temps, c'est insupportable. Et il faut souvent lutter pour accepter de faire un chemin de pardon. C'est éprouvant, mais c'est aussi libérateur. Et cela apporte la certitude que le mal n'a pas gagné, ne nous a pas contaminés au point de devenir nous-même des méchants. Comprenez-moi bien, je n'excuse pas les personnes qui font du mal aux enfants. Ce sont des coupables qui doivent être punis et soignés. Je dis simplement que l'on doit prier pour eux. C'est dans l'Évangile en Luc 6, 28 qu'il est dit : «Bénissez ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous maltraitent.»

Estimez-vous qu'il soit possible de guérir toutes les blessures par la prière ?

Tout est possible à Dieu. Il y a des guérisons miraculeuses, il y a aussi des vies de souffrance, malgré la prière. La prière pour moi, c'est savoir que l'on n'est pas seul, que Dieu est à nos côtés dans nos épreuves et dans celles de notre prochain. C'est comme se réfugier dans ses bras, ceux de son Fils et ceux de Marie. Parfois, cela n'allège pas notre peine mais cela change tout car on n'est plus seul, cela éclaire notre vie.

Quel message voulez-vous transmettre aux parents d'enfants mauriciens ?

Les enfants maltraités et/ou abusés ont souvent honte de ce qui leur arrive. Ils se sentent même coupables du crime qu'ils subissent. Il faut donc, très jeune, leur expliquer ce qu'est la maltraitance et qu'ils ne sont pas seuls et qu'il faut libérer la parole. Je pense également aux jeunes victimes de harcèlement à l'école. Il faut aussi dire aux parents qui seraient tentés par la maltraitance sur leur enfant qu'un autre chemin est possible.

Cela ne veut pas dire que l'on ne doive pas se faire obéir. Mais le dialogue, l'apprentissage de certaines règles, dès le plus jeune âge, et l'exemple qu'ils donnent, permettent à leur enfant de se construire. Ce n'est pas facile d'être parent, surtout de nos jours, mais la violence ne sert à rien. Et à ceux qui auraient des pulsions perverses et pédophiles, je dis qu'il faut avoir le courage de se faire aider.

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