Ile Maurice: Le plaisir du massage se trouve dans le dosage

On serait naïfs de croire que le discours du Budget 2024- 2025 est la dernière carte du gouvernement avant d'affronter les prochaines élections générales. Le mouvement socialiste opéré depuis 2014, et accentué depuis 2020, dans le sillage de la pandémie qui a presque tout chamboulé, ne s'arrêtera pas ainsi.

D'autres épisodes déterminants suivront. Il y aura bientôt les débats interminables sur la prescription préélectorale du Dr Renganaden Padayachy qui commencent dès demain avec un Arvin Boolell déterminé à contrecarrer la stratégie offensive du gouvernement et une MBC qui va mettre toute sa science au service du Parlement de Sooroojdev Phokeer et de la stratégie de conservation du pouvoir.

En traitant le Budget ni plus ni moins de «désastre économique», le leader de l'opposition risque de se mettre à dos ceux qui applaudissent les mesures électoralistes ; ils sont nombreux et il ne faudrait pas les effaroucher, estiment les stratèges qui travaillent pour l'opposition sur les différents éléments de la reconquête du pouvoir. Il faut trouver le ton juste.

Le FMI est un cas d'école ; il dit des choses entre les lignes, il caresse et pince en même temps. Carotte, bâton, re-carotte. Chacun trouve son plaisir quand il dit que le gouvernement n'a pas tout à fait tort de foncer dans telle ou telle direction, puis vient ajouter, dans le même souffle, qu'il n'a pas tout à fait raison non plus. Résultat : Pravind Jugnauth et Navin Ramgoolam peuvent tous les deux brandir le dernier Article IV pour soutenir leurs arguments respectifs pourtant diamétralement opposés.

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Dans un pays où chaque bloc politique prétend attendre jusqu'au dernier jour le camp adverse avant de publier son manifeste, dans un jeu politique où l'un accuse toujours l'autre de «gorer», on peut s'attendre à ce que le pacte social entre un bloc et les électeurs se raffermisse jusqu'à la veille du scrutin, dont la date devrait, selon nos sources, tourner entre fin août et septembre 2024. À moins que les astrologues pensent autrement.

Dans une déclaration à l'express hier soir, Navin Ramgoolam a affirmé que la deuxième augmentation de la pension universelle de Rs 1 000, due en janvier 2025, sera honorée non pas par le gouvernement Jugnauth mais par le sien. C'est une déclaration bien pensée, même s'il ne l'a pas pesée : il ne condamne pas la mesure, il la soutient même et confirme qu'il va honorer la promesse de Pravind Jugnauth.

La personne âgée qui n'a jamais eu Rs 15 000 d'un coup durant toute sa vie doit être cajolée. Il ne faut surtout pas lui dire que Renganaden Padayachy est irresponsable. Il faut adopter la prescription, voire sucrer la pilule de l'autre. Changer la boîte du médicament. Le générique ne va pas changer.

C'est dire que l'inflation des mesures dites sociales va s'accentuer au fil des semaines jusqu'au moment fatidique où l'on ira mettre sa croix dans l'isoloir, seul face à notre conscience, nos choix, notre idéal et notre nécessaire parti-pris. Ramgoolam, tout en critiquant le fait que le Budget ne s'adresse pas aux fondamentaux de l'économie, ni ne crée de nouveaux piliers de croissance, va plus loin dans son jeu de séduction en affirmant que Renganaden Padayachy a «copié» sur les 20 mesures-phares annoncées le 1er-Mai (par Ramgoolam lui-même) sur l'estrade à Port-Louis. Mesures applaudies par Paul Bérenger.

Évidemment que le Budget 2024-2025 n'allait pas se contenter de redresser le tableau économique, comme insistait un Xavier Duval qui n'a pas encore dit son dernier mot, mais devait aussi et surtout couper l'herbe sous les pieds de l'opposition, surtout eu égard à la pension de vieillesse.

Les liens entre l'économiste et le politique sont connus. L'économiste étudie les phénomènes sous le point de vue de sa science et le politique utilise les arguments des économistes pour développer sa propre synthèse économique, explique souvent le Dr Renganaden Padayachy, qui, après cinq Budgets, est bien rodé dans l'art de passer de la théorie à la pratique, réalisant l'écart entre le discours économique et les faits politiques.

Attention toutefois aux entrepreneurs (un autre genre) qui vont se plaindre des coûts additionnels des augmentations successives : la délocalisation des entreprises locales dans le secteur manufacturier notamment vise surtout à contrecarrer des prix de plus en plus élevés sur le marché du travail. Relativisons toutefois : le problème mauricien n'est guère insulaire.

Un fait mondial, depuis 2015 : plus de 25 % de la totalité des biens manufacturés produits dans le monde le sont par la Chine, condamnant les autres pays à se partager le reste dans un marché hyper-compétitif. L'autre réalité c'est que les entreprises, jadis séduites par une main-d'oeuvre bon marché et malléable, ont déjà commencé à se tourner vers des destinations où elles peuvent tirer un meilleur parti des nouvelles technologies (robotique de pointe, impression 3D, Internet des objets qui révolutionnent les procédés de fabrication et qui réduisent le poids relatif des salaires, fixés ou pas).

Malgré sa courtoisie et son envie empathique de bien faire, et de réduire les inégalités (son grand dada à la Piketty), Padayachy n'a pas eu les coudées franches à cause de l'endettement public et les agences de notation qui veillent notre centre financier au grain. La roupie qui ne cesse de glisser et le manque de devises provoquent par ailleurs d'autres complications dans l'équation.

Hélas, pour remporter les élections, la logique politique doit prendre le pas sur la sagesse économique. L'homme va demeurer une bête politique et comprend fort bien que les ambitions des uns et des autres sont illimitées alors que nos ressources sont, elles, limitées. On va devoir se serrer la ceinture, mais pas avant les élections.

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