Méouane — La tension a baissé d'un cran à Taïba Ndiaye et Méouane, avec la levée, lundi, des barrages érigés par un collectif représentant les populations impactées par les activités des sites d'extraction et de traitement de l'acide phosphorique des Industries chimiques du Sénégal (ICS) dans ces deux communes de la région de Thiès (ouest), pour exiger de cette société un meilleur régime d'indemnisation.
Cette accalmie survient alors qu'une solution est attendue de la rencontre prévue ce mardi entre le ministre de l'Intérieur, Jean-Baptiste Tine, un collectif de personnes impactées et des dirigeants des ICS, pour les réconcilier.
Les deux parties sont en conflit depuis le 28 mai. Le différend porte sur l'indemnisation des riverains des sites d'extraction et de traitement de l'acide phosphorique des Industries chimiques du Sénégal.
Les barrages érigés par les membres de ce collectif ont eu pour conséquence l'arrêt des activités minières des ICS dans les sites d'extraction et de traitement de l'acide phosphorique, un important produit d'exportation utilisé dans la fabrication des engrais, déclarait mercredi dernier le service de communication de l'entreprise.
"Depuis samedi 1er juin 2024, la ligne de chemin de fer reliant [ces] sites a été bloquée. Ce qui empêche l'évacuation de l'acide phosphorique et provoque, par conséquent, un arrêt progressif de la fabrication de ce produit", s'inquiétaient les ICS.
Il était à craindre, à terme, une dégradation de la situation "mettant progressivement à l'arrêt les activités de l'entreprise", selon la même source.
Abdallah Sall, le maire de Mboro
La tension est retombée dans l'arrondissement de Méouane depuis la levée des barrages, lundi, après la visite du préfet de Tivaouane, Mamadou Guèye.
Les activités des ICS, une entreprise de très grand poids dans l'industrie sénégalaise, concernent l'exploitation minière, la production d'acide phosphorique et d'engrais.
L'activité minière se déroule en deux phases, dont la première porte sur l'exploration, au cours de laquelle des études sont conduites pour analyser les spécifications du minerai sur des zones précises, afin de savoir s'il est approprié ou pas pour l'exploitation, la seconde phase.
Une révision du régime d'indemnisation demandée
Ensuite, en fonction du plan d'expansion de la mine et de la décision d'investissement, les zones en question sont qualifiées ou pas pour l'exploitation, qui correspond à la phase d'extraction du minerai.
La compensation relative à la première partie de la campagne d'exploration de 2023 est à l'origine du malentendu.
Les impactés demandent aux ICS d'appliquer les mêmes tarifs à l'exploitation et à l'exploration. Ces deux phases correspondent respectivement à l'acquisition des terres et à la phase de recherche.
Cette réclamation des riverains est rejetée par la société minière, confirme Sandrina Gomes, la responsable de la communication et du développement durable des ICS.
"Ce que les impactés exigent ne se fait dans aucune société minière au Sénégal ou dans le monde", soutient-elle.
Cheikh Sall, le maire de Méouane
"Les ICS ne se sont jamais engagées à acquérir des zones faisant juste l'objet de sondages d'exploration [avec des résultats incertains]. Donc, elles ne peuvent pas s'engager à payer les mêmes montants que pour les zones acquises il y a quelques mois à des fins d'exploitation minière", argue Mme Gomes.
La dernière acquisition, de même que la campagne de sondage, objet du litige, ont eu lieu presque au même moment. Mais elles ne sont pas de la même nature, précise-t-elle à l'APS, ajoutant que la dernière acquisition et la campagne de sondage ont des implications différentes.
La responsable de la communication et du développement durable des ICS assure que les propriétaires qui cultivaient leurs terres peuvent continuer à le faire, lors de l'exploration.
"Contraindre les sociétés minières à investir dans l'exploitation, sans phase d'exploration, représenterait un risque sérieux pour le développement du secteur minier", avertit-elle, arguant qu"'il n'est pas envisageable d'investir pour acquérir des ressources dont la qualité et la quantité ne sont pas connues".
Dans le cas présent, le collectif exige des ICS le versement de 756 millions de francs CFA, pour toutes les opérations de sondage qu'elles ont effectuées dans les communes de Méouane et Taïba Ndiaye.
La société minière, en ce qui la concerne, propose la somme de 344 millions.
Dans la phase d'exploration, l'entreprise doit verser, en plus du barème de 1.050.000 francs CFA l'hectare, une compensation en fonction des trous de sondage et des dégâts causés aux cultures.
Pour la phase d'exploitation, la compensation fait l'objet d'une négociation tripartite (ICS, impactés et administration territoriale), sanctionnée par la signature d'un accord de transfert définitif des droits d'usage des terres des impactés aux ICS.
Selon la responsable de la communication de l'entreprise, à la suite d'un premier blocage en mai dernier, les ICS avaient proposé à titre exceptionnel, pour dénouer la situation, de permettre aux impactés de cultiver encore pendant deux campagnes agricoles, celles de 2023 et 2024.
Cela, en plus du paiement des impenses habituelles liées à la phase d'exploration et d'un forfait, pour niveler les sillons.
Sandrina Gomes soutient que "la proposition des ICS est juste". Mme Gomes affirme que la société qu'elle représente est celle qui paye "les impenses les plus élevées au Sénégal".
"Cela explique, malgré un blocage de quatorze jours et les pertes colossales pour toutes les parties concernées, que les ICS ne varient pas dans leur position", signale-t-elle.
"Personne ne gagne dans ce bras de fer"
Le porte-parole du collectif des impactés, Matar Thiam, s'insurge contre la rigidité de la posture de l'entreprise.
Son camp a lâché du lest à la suite de l'intervention des autorités administratives, fait-il valoir.
"Nous avons arrêté notre mouvement de protestation pour aller répondre au ministre de l'Intérieur, parce que le discours très rassurant du préfet de Tivaouane a soulagé la quasi-totalité des impactés", déclare-t-il.
"Il a su bien nous parler. Parce que nous sommes des personnes très responsables, il fallait lever tous les barrages", dit-il à l'APS.
Le maire de Mboro, Abdallah Sall, un cadre des ICS, tout comme Cheikh Sall, qui dirige le conseil municipal de Méouane, salue ce vent d'apaisement.
Abdallah Sall, également président de l'Association des maires de l'arrondissement de Méouane, estime que "personne ne gagne dans ce bras de fer entre les deux parties". "Il faut continuer le dialogue, car les populations pour lesquelles nous agissons saluent cette accalmie, qui débouchera, j'en suis sûr, sur un horizon mutuellement gagnant", prédit-il.
Des membres du collectif des riverains impactés par l'activité des ICS
La commune de Méouane est le chef-lieu de l'arrondissement du même nom, dans lequel se trouvent les mairies de Mboro, Taïba Ndiaye et Darou Khoudoss, qui abrite l'usine.
Kène Diop, notable de Ndomor et retraité des ICS, encourage les deux parties, dont les intérêts sont liés, à "tenir des rencontres périodiques pour éviter certaines frustrations accumulées".
Les ICS, pendant longtemps considérées comme un fleuron de l'industrie sénégalaise, étaient au bord de la faillite en 2014, lorsque le géant asiatique Indorama a racheté 78 % de son capital.
Depuis lors, une embellie a été notée, qui engendre de nouvelles revendications.
À partir du 23 janvier dernier, le Syndicat des travailleurs des ICS (SYNTICS) avait observé un arrêt de travail d'une semaine pour réclamer des augmentations de salaires au profit de quelque 1.200 agents. Ces derniers exigent une amélioration de leurs conditions de vie.
Après d'âpres négociations, sous les auspices du gouverneur de Thiès, Oumar Mamadou Baldé, et d'autres médiateurs, l'entreprise avait accepté de verser 2 milliards 850 millions de francs FCA.
Le SYNTICS réclamait 6 milliards 290 millions, ce qui représente, selon ses dirigeants, 1 % du bénéfice réalisé par les ICS au cours des trois dernières années. La convention minière de l'entreprise prendra fin en septembre prochain.