Afrique: L'échec du traité de l'OMS sur les pandémies renforce l'inquiétude

Tedros Adhanom Ghebreyesus lors de la séance plénière d’ouverture de la 77e Assemblée mondiale de la santé, le 27 mai 2024 au Palais des Nations à Genève, en Suisse.
11 Juin 2024

GENEVE — Les tentatives visant à conclure un traité pour gérer les futures pandémies risquent de s'essouffler, ont prévenu les dirigeants de la santé réunis à l'Assemblée mondiale de la santé. Ce alors que les craintes grandissent face aux épidémies de grippe aviaire aux États-Unis et de variole du singe en République démocratique du Congo (RDC).

Des villes surpeuplées, les voyages à travers le monde et le changement climatique augmentent le risque de virus zoonotiques (ceux transmis entre humains et animaux), faisant planer le spectre d'une autre pandémie comme la COVID-19, ou pire.

Les scientifiques sont particulièrement préoccupés par l'augmentation des cas de grippe aviaire - connue sous le nom de H5N1 - parmi les bovins aux Etats-Unis, et par une épidémie de mpox - anciennement connue sous le nom de variole du singe - qui fait rage en RDC.

« Nous avons le H5N1 qui frappe à la porte », déclare Ayoade Alakija, président de FIND, une organisation à but non lucratif basée à Genève, qui promeut le développement de technologies de diagnostic. « Nous n'avons pas le temps d'attendre », dit-il.

"Nous avons le H5N1 qui frappe à la porte. Nous n'avons pas le temps d'attendre"Ayoade Alakija, président de FIND

Les Centres de contrôle des maladies des États-Unis ont mis en garde contre une épidémie en RDC provoquée par une souche de mpox - connue sous le nom de « clade I mpox » - qui est nettement plus dangereuse que la souche « clade II » qui s'est répandue dans le monde en 2022.

« Le nombre croissant de cas suspects de « clade I mpox » signalés en RDC constitue une menace mondiale de propagation potentielle », a déclaré l'agence au mois de mai 2024, ajoutant qu'il y avait eu plus de 20 000 cas suspects et 975 décès signalés dans le pays depuis janvier 2023.

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Cela survient alors que les 194 États membres de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ont terminé leur réunion annuelle à Genève en Suisse le samedi 1er juin, sans l'accord qu'ils avaient prévu de trouver sur les questions très controversées de prévention, de préparation et de réponse aux pandémies.

Les négociations se poursuivront, stimulées par le succès de dernière minute à Genève d'un effort parallèle moins remarqué visant à mettre à jour le Règlement sanitaire international (RSI), un ensemble de règles visant à prévenir la propagation des maladies au-delà des frontières.

Cependant, les experts en maladies présents à la réunion ont exprimé leur inquiétude quant au fait qu'avec les menaces de pandémie imminentes, les deux accords pourraient être trop limités et trop tardifs. Ni l'un ni l'autre n'entreront en vigueur avant 2027 au plus tôt.

COVID-19

Après que les échecs de la réponse internationale à la COVID-19 ont empêché les pays à faible revenu d'acquérir des vaccins adéquats pendant que les pays riches stockaient des millions de doses, rares sont ceux qui contestent le fait que le monde ait besoin de meilleurs moyens de gérer les pandémies.

Les négociations pour un traité avaient été amorcées en décembre 2021, alors que le COVID-19 faisait encore des ravages, avec 2024 comme date limite.

À la fin des négociations prévues le 24 mai dernier, les négociateurs à Genève ont déclaré avoir résolu 80 % de leurs désaccords initiaux. Les États-Unis l'ont qualifié de « partie intégrante d'un effort plus large visant à améliorer l'infrastructure sanitaire mondiale », tandis que les 55 Etats membres de l'Union africaine ont déclaré qu'ils « parlaient d'une seule voix » en faveur du traité.

Toutefois, « des divergences fondamentales subsistent sur des questions essentielles », a fait savoir aux délégués le secrétaire américain à la Santé, Xavier Becerra. Ces questions concernent principalement ce que les délégués à Genève ont appelé le « grand accord » du traité : l'accès aux agents pathogènes et le partage des bénéfices.

Cela appelle les pays, y compris les pays à faibles revenus où le risque de nouvelles maladies est le plus élevé, à partager les échantillons d'agents pathogènes et les données de séquençage génomique pour permettre aux scientifiques de suivre les agents pathogènes et de concevoir des vaccins, des médicaments et des diagnostics contre eux.

En échange, les pays à revenus élevés qui produisent ces contre-mesures s'engagent à les partager avec les pays à faibles revenus, ainsi que le savoir-faire nécessaire à leur fabrication.

Le traité appelle également à une chaîne d'approvisionnement et à un réseau logistique à l'échelle mondiale pour garantir que les fournitures vitales, telles que les vaccins, les flacons et les seringues, soient expédiées là où elles sont nécessaires.

Toutefois, les pays à revenu élevé hésitent à céder des produits, notamment un savoir-faire protégé par les droits de propriété intellectuelle. Lors des discussions, Thiru Balasubramaniam de Knowledge Ecology International a accusé les dirigeants de donner « la primauté aux objectifs industriels et commerciaux au détriment de la santé ».

Alors que minuit approchait à Genève le 1er juin, le directeur général de l'OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, a déclaré aux délégués épuisés que les négociations sur le traité se poursuivraient jusqu'à l'assemblée de 2025 « au plus tard ».

Un compromis entre les pays africains qui souhaitaient une date limite en décembre et les États-Unis, qui estimaient que les questions complexes pourraient prendre deux ans à être réglées.

Mais une certaine dynamique de peur pourrait s'atténuer. « Lorsque nous avons décidé de rédiger cet accord, nous portions tous des masques », a rappelé le Sud-Africain Precious Matsoso, coprésidente des négociations.

Aujourd'hui, l'urgence étant passée, « la fenêtre d'opportunités se ferme », a-t-elle prévenu. Si les discussions s'éternisent, craint-elle, « ce sera presque comme si la COVID-19 n'avait jamais eu lieu ».

Les négociateurs sont toutefois encouragés par l'accord de dernière minute à Genève sur les révisions du RSI, qui oblige les pays à détecter, signaler et répondre aux épidémies susceptibles d'affecter le commerce et les voyages, et pas seulement aux pandémies potentielles.

Urgence pandémique

En 2005, le cadre a été mis à jour pour définir l'urgence de santé publique de portée internationale (PHEIC), l'avertissement le plus fort que l'OMS puisse donner en cas d'épidémie - ce qu'elle a fait pour la COVID-19 en janvier 2020.

Mais après des querelles autour de l'épidémie de grippe porcine de 2009, l'OMS avait abandonné le mot « pandémie ». Sans cela, de nombreux pays n'ont pas pris au sérieux les avertissements concernant la COVID-19 jusqu'à ce que l'OMS parle finalement de pandémie en mars 2020 ; trop tard pour que beaucoup puissent y réagir efficacement.

Désormais, le RSI définira une « urgence pandémique », une « PHEIC-plus » pour les maladies qui pourraient se propager à l'échelle mondiale.

Les révisions, conclues à la dernière minute des pourparlers qui se sont déroulés certains jours jusqu'à 4 heures du matin, créent également des réseaux de pays pour répondre aux besoins d'investissements accrus dans la surveillance des maladies et la capacité de réponse dans les pays à faibles revenus.

Toutefois, le plus gros problème avec les traités est leur application, explique Mark Eccleston-Turner, maître de conférences en droit mondial de la santé au King's College de Londres.

Il dit qu'il n'y a pas grand-chose dans le RSI révisé ou dans le projet de traité sur la pandémie, qui empêcherait les pays d'ignorer les règles lorsque cela leur convient. C'est exactement ce qui s'était produit pendant la COVID-19 avec la lenteur de la Chine à alerter le monde.

Une campagne extrémiste sur les réseaux sociaux a affirmé que le RSI et le traité sur la pandémie étaient des tentatives de la part de l'OMS de s'emparer de la souveraineté des pays ; affirmations répétées dans un bus qui circulait à Genève tout au long de la réunion et scandées par des manifestants postés devant les bâtiments de l'ONU.

Les délégués nationaux ont déclaré à plusieurs reprises lors de la réunion qu'aucune mesure sanitaire ne porterait atteinte à leur souveraineté, tandis que Tedros Adhanom Ghebreyesus s'est tourné vers les réseaux sociaux pour qualifier ces affirmations de fausses nouvelles.

Le RSI mis à jour stipule que l'OMS vérifiera les rapports faisant état d'une épidémie en proposant d'aider le pays concerné dans la conduite des investigations.

Si le pays refuse l'accès, comme la Chine l'a fait début 2020, l'OMS « devrait » en informer les autres pays. Une formulation alternative, selon laquelle l'OMS « doit » faire cela, a été rejetée, ayant été jugée trop extrême.

La version originale de cet article a été produite par l'édition mondiale de SciDev.Net.

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