Dakar — Le directeur de l'Institut fondamental d'Afrique noire (IFAN) de l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Abdoulaye Baïla Ndiaye, a reçu, mardi, une collection de près de 500 enregistrements sonores, des métadonnées et des fiches des tirailleurs sénégalais mobilisés dans les colonies françaises et prisonniers de la Première Guerre mondiale en Allemagne.
Ce lot d'archives sonores où on entend des voix de soldats déplorant les conditions météorologiques et leur désir de terminer leur mission pour rentrer dans leur pays a été remis par le docteur Christopher Li, responsable des archives au centre pour la technologie culturelle de l'Université Humboldt de Berlin.
Il était accompagné par la chercheuse allemande Alina Januscheck, anthropologue culturelle et sociale spécialisée dans la culture matérielle dans les archives.
Ces enregistrements de soldats africains réalisés lors de la Première Guerre mondiale de 1914 à 1918 offre du son, mais aussi, selon le directeur de l'IFAN, des données sur ces tirailleurs.
"Ces voix des tirailleurs sénégalais permettent de retracer l'histoire, d'analyser les cultures et les sociétés africaines du début du XXe siècle, de comprendre les dynamiques et l'évolution du langage et de préserver la mémoire collective", a indiqué le directeur de l'IFAN.
"L'objectif derrière, a dit M. Ndiaye, était un projet linguistique, mais il avait une approche aussi coloniale" qui explique qu'à leur niveau [l'Université Humboldt de Berlin], ils n'avaient pas tous les moyens d'exploiter ces données, en raison des questions d'éthique et de morale.
Selon Abdoulaye Baïla Ndiaye, c'est ce qui explique le retour de ces enregistrements en Afrique parce que ces tirailleurs viennent des communautés africaines et par rapport aux langues parlées (Wolof, Pulaar, Maures, Baoulé, Haoussa, Hassanya, etc.) les chercheurs africains qui comprennent ces langues sont à mieux de pouvoir les exploiter et les valoriser.
"Il y a également une question humaine et sociale parce que ces personnes appartiennent à des communautés qui ont besoin de savoir que sont devenus leurs proches partis à la guerre et dont certains ne sont pas revenus", a ajouté le directeur de l'IFAN qui estime qu'après la traduction de ces données, l'exploitation sera ouverte à tous les chercheurs africains qu'ils soient archivistes, historiens, anthropologues, ethnologues, etc.
Ces enregistrements sonores faits sans le consentement des soldats africains, selon le directeur de l'IFAN, renferment des informations sur leurs conditions de vie, mais aussi dit-il, "des messages codés et dits dans leur langue".
Cette démarche collaborative vise à "décoloniser" la recherche pour donner la parole aux Africains, selon le docteur Christopher Li qui précise que l'exploitation de ces enregistrements a été faite dans les années 1940 dans un objectif purement colonial.
Un financement à hauteur de quarante mille euros (environ 26.181.639 de francs CFA) acquis de la "fondation des arts perdus" d'Allemagne va permettre l'exploitation de ces données par des chercheurs africains, a fait savoir l'universitaire allemand.
Des archives sonores de soldats sénégalais sont exposées jusqu'au 21 juin au Musée des civilisations noires de Dakar.